Language selection

Rapport d'enquête aéronautique A97Q0032

Désintégration en vol
Cessna A185F C-GCTI
21 nm au nord de Sept-Îles (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Cessna A185F (no de série 18502495) sur skis et immatriculé C-GCTI décolle à 10 h 45, heure avancée de l'Est (HAE) de l'aéroport de Sept-îles (Québec) pour un vol à vue en direction de Wabush (Terre-Neuve). Peu après avoir atteint l'altitude de croisière de 4 500 pieds-mer, et à une vitesse indiquée d'environ 145 mi/h, l'avion se met en piqué prononcé. Le pilote réduit la puissance et tire sur la gouverne de profondeur pour stabiliser l'avion. L'appareil se stabilise pendant environ deux secondes, puis se désintègre.

Au moment de la dislocation, l'appareil survolait une région boisée d'une altitude moyenne de 1 000 pieds-mer. L'avion a été retrouvé à 14 milles marins au nord de l'aéroport de Sept-Îles; il s'était rompu en plusieurs morceaux. Le pilote et le propriétaire de l'appareil en place avant ont perdu la vie dans l'accident. Les deux passagers en place arrière ont survécu à la chute de près de 3 500 pieds.

Renseignements de base

Le pilote était titulaire de la licence de pilote professionnelle depuis 1991 et totalisait plus de 2 900 heures de vol. Au moment de l'accident, il occupait le poste de chef-pilote pour un transporteur aérien de la région. Rien n'indique que des facteurs physiologiques ou psychologiques aient pu perturber les capacités du pilote. L'examen toxicologique n'a rien révélé d'anormal.

Les conditions météorologiques à Sept-Îles étaient favorables au vol. Le rapport météorologique émis à 11 hNote de bas de page 1 faisait état de quelques nuages à 1 500 pieds et d'une visibilité de 30 milles. La température était de moins 22 degrés Celsius et les vents soufflaient du 270 degrés magnétique à sept noeuds. Aucun aéronef n'a signalé de turbulence ou de vents forts en altitude dans le secteur de Sept-Îles.

L'appareil avait été acheté du constructeur en avril 1975 par l'ancien exploitant. En décembre 1975, des skis Airglas LW3600-180A avaient été installés sur l'appareil. Lors des périodes hivernales subséquentes, l'exploitant n'avait pas installé les skis Airglas parce qu'il s'était procuré des skis d'un autre modèle. Lors de l'achat de l'appareil par le propriétaire actuel en novembre 1996, l'aéronef totalisait environ 1 680 heures de vol depuis sa construction. Au moment de l'achat, l'appareil était équipé de flotteurs, et les roues et les skis Airglas faisaient partie de la transaction.

En décembre 1996, un technicien d'entretien d'aéronef (TEA) a enlevé les flotteurs et a installé les roues. Environ trois heures de vol ont été effectuées ainsi, et aucune vibration ni anomalie permettant de suspecter une difficulté potentielle n'ont été observées sur l'aéronef. Le 13 février 1997, le propriétaire a fait installer les skis Airglas par le même TEA. Le TEA n'a rien observé d'anormal au moment de l'installation. Aucune recherche n'a été effectuée sur les consignes de navigabilité applicables au type d'aéronef; toutefois, les entrées dans les livrets techniques et l'amendement au rapport de masse et centrage ont été effectués conformément aux exigences de la réglementation en vigueur.

L'article 605.84 du Règlement de l'aviation canadien (RAC) stipule que :

Il est interdit à toute personne d'effectuer le décollage d'un aéronef dont elle a la garde et la responsabilité légales ou de permettre à toute personne d'effectuer un tel décollage à moins que la maintenance de l'aéronef ne soit effectuée conformément :

Une des exigences de la sous-partie 71 de la partie 5 du RAC stipule, entre autres, que la responsabilité du respect des consignes de navigabilité incombe au propriétaire de l'aéronef. Si le propriétaire désire que le TEA effectue des recherches à titre de maintenance distinct, il doit l'indiquer sur un document qui spécifie les ententes. La responsabilité est alors déléguée.

Le 17 février au matin, le pilote et un passager ont effectué un vol de familiarisation et de vérification en vue du vol pour Wabush prévu plus tard dans la matinée. Ils ont effectué deux circuits à l'aéroport de Sept-Îles. Au retour de ce vol, ils étaient tous deux satisfaits des performances de l'avion. Peu après l'arrivée du propriétaire de l'appareil et d'un autre passager, l'avion a décollé en direction de Wabush.

Les passagers en place arrière ont déclaré que, pendant le vol à l'altitude de croisière, ils ont soudainement remarqué qu'ils avaient les pieds dans le vide et qu'ils descendaient tout en tournant. Le fuselage s'était séparé entre les sièges avant et les sièges arrière, et le moteur s'était détaché de l'avion. Ils ont essayé de détacher leur ceinture de sécurité, mais la force centrifuge les en empêchait. La partie avant du fuselage a heurté la surface enneigée à l'envers et a traversé une couche de 5 ou 6 pieds de neige non compactée avant de percuter le sol. Le pilote et le passager avant qui étaient toujours attachés à leur siège dans le fuselage avant sont morts sur le coup. La partie arrière du fuselage où se trouvaient les deux autres passagers a percuté le sol sur le côté gauche. Le passager assis à droite n'a subi aucune blessure et a fait un feu pour protéger son compagnon du froid et assurer leur survie. Le passager qui était assis à gauche ne pouvait pas se déplacer, mais il a tout de même réussi, une heure après l'accident, à demander de l'aide avec son téléphone cellulaire. Près de trois heures plus tard, les secours arrivaient et ils étaient transportés à l'hôpital pour les examens d'usage.

À l'exception du train d'atterrissage droit retrouvé le 20 mai 1997, toutes les composantes majeures de l'appareil ont été retrouvées au cours des premiers jours de l'enquête. L'appareil a été acheminé au Laboratoire technique du BST pour une analyse approfondie. La répartition des pièces au sol ainsi que l'absence d'indication de vitesse longitudinale sont typiques d'une désintégration en vol. Voir le schéma de la répartition des débris à l'annexe A.

L'examen de l'appareil a montré que l'aile droite présentait des marques rouges et noires provenant du ski droit. Les marques se prolongeaient du bord d'attaque jusqu'au longeron principal ainsi que sur le hauban de l'aile. Après le longeron de l'aile, les déchirures étaient des déchirures en surcharge instantanée. L'attache de l'aile était toujours rattachée à la structure qui traverse le fuselage (structure traversante). Cette dernière s'est rompue en surcharge. L'aile gauche s'est également rompue en surcharge et a emporté avec elle le reste de la structure traversante. Le fuselage s'est séparé derrière les sièges. Il y avait des marques rouges sur la dérive ainsi que sur la gouverne de profondeur gauche.

Le ski droit présentait des marques de peinture blanche. La plaque de métal, vissée sur le devant du ski et servant de support pour l'extenseur et le câble d'acier avant avait été arrachée. L'extenseur s'est rompu près de l'attache avant du ski. Le câble d'acier présentait une rupture en surcharge typique.

Les quatre supports de moteur se sont rompus en surcharge instantanée. L'une des pales avait deux encoches près de son extrémité. La première, près de l'extrémité de la pale, était profonde et le diamètre rappelait celui du câble avant du ski. La deuxième encoche correspondait à la plaque de métal normalement vissée au devant du ski. Pour fins de simulation, le moteur a été remis momentanément en place. Cette simulation a permis d'établir que le câble avant du ski droit avait été coupé par l'hélice.

Figure 1 - Installation des cables et des extenseurs
Installation des cables et des extenseurs

Le 21 septembre 1979, le fabricant des skis Airglas avait émis le bulletin de service obligatoire LW3600-3. Les modifications indiquées dans le bulletin avait pour objet d'éliminer le basculement des skis vers le bas, basculement qui cause un déséquilibre très prononcé et rend l'appareil difficile à contrôler. Les extenseurs devaient être remplacés par des extenseurs mieux adaptés aux basses températures. Les points de fixation de l'extenseur et du câble d'acier avant devaient également être relocalisés près du pare-brise, et les points de fixation du câble d'acier arrière devaient être relocalisés sur les skis. De plus, lorsque l'aéronef serait équipé des skis, la vitesse indiquée de l'avion serait limitée à 160 noeuds, et une affiche de limitation de vitesse devait être apposée sur le tableau de bord. Le 12 mai 1980, la Federal Aviation Authority (FAA) avait publié la consigne de navigabilité 80-10-01, demandant aux propriétaires d'apposer une affiche demandant au pilote de ne pas dépasser la vitesse de 160 noeuds quand l'avion est équipé des skis, et d'exécuter le bulletin de service LW3600-3 d'Airglas moins de 50 heures en service après la date d'entrée en vigueur de la consigne de navigabilité, et par la suite, chaque fois que l'avion est équipé des skis. Le 21 juillet 1980, Transports Canada a publié la consigne 80-18 qui exigeait qu'avant le prochain vol, et après cela, chaque fois que l'avion est équipé des skis, qu'on se conforme au bulletin LW3600-3 d'Airglas, et qu'une affiche soit apposée sur le tableau de bord de l'avion indiquant que la limite de vitesse est de 145 noeuds quand l'avion est équipé des skis. La consigne de navigabilité n'avait pas été exécutée sur l'avion accidenté.

Le livret technique de l'aéronef contenait une feuille de notes sur laquelle était indiquée la consigne de navigabilité de Cessna 80-10-01 avec la description "ski, rotating tip down" et la note «non applicable, faire si équipement installé». Cette note avait été écrite par le TEA de l'ancien exploitant et lui servait d'aide-mémoire.

La figure 2 représente l'installation d'une jambe de train d'atterrissage sur le Cessna 185. Lorsque la jambe de train ne repose pas au sol, le boulon force en tension, sinon il sert de guide pour maintenir l'assemblage en position. Après l'accident, du côté droit de l'appareil, la partie supérieure du support de la jambe du train d'atterrissage était arrachée tandis que la partie inférieure externe montrait des signes de compression. La partie du plancher située au-dessus de la structure de l'attache du ski avait été défoncée par l'extrémité de la jambe du train d'atterrissage. Il y a un trou dans la structure de l'attache pour recevoir le boulon de type AN-7. À l'intérieur du trou et vers le fuselage, les filets ont laissé une marque distincte. Le nombre de filets correspond à celui observée lorsque l'écrou est vissé jusqu'au verrou de fibre. La partie inférieure de la structure de l'attache présentait des marques de forme hexagonale rappelant la forme de l'écrou. Ces marques d'écrou ainsi que les marques de filets n'ont pas été observées sur la structure de l'attache du train d'atterrissage gauche.

Figure 1 - Vue Du Train D'atterrissage Droit
Vue Du Train D'atterrissage Droit

Analyse

Le pilote possédait les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, et les conditions météorologiques étaient favorables au vol.

À l'altitude de croisière, le pilote a modifié l'assiette de l'appareil, et la vitesse a augmenté. Cette diminution de l'angle d'attaque a forcé le ski droit à basculer vers le bas. Il est possible que cette situation ait été aggravée parce que l'écrou AN-7 n'était pas suffisamment serré; le ski droit pendait plus bas que celui de gauche. Cette augmentation soudaine de la résistance quand le ski a basculé vers le bas a provoqué une descente. L'extenseur s'est tendu, a probablement résisté pendant quelques secondes puis s'est rompu. Cette courte période a permis au pilote de tenter de corriger l'assiette (voir l'annexe B - Séquence de la rupture en vol).

En se rompant, l'extenseur a permis au ski de continuer à pivoter. Les boulons qui retenaient la plaque de métal sur le devant du ski se sont rompus en tension, ce qui a permis au câble d'acier de partir comme un fouet en sens inverse et de se prendre dans l'hélice. Le plan de rotation de l'hélice a été modifié, ce qui a exercé une trop forte tension sur les supports du moteur qui ont cédé, et le moteur s'est détaché de l'avion. Pendant ce temps, le ski a continué à pivoter rapidement vers sa limite physique, imposant une force vers le bas sur la jambe du train d'atterrissage. L'écrou du boulon AN-7 a cédé, et le plancher s'est rompu.

Lorsque le moteur s'est détaché, l'appareil s'est cabré sous l'effet des forces aérodynamiques et la modification du centrage. Le ski a alors coupé le hauban de l'aile droite ainsi que le bord d'attaque jusqu'au longeron principal. Pendant cette séquence, la structure traversante avant a été endommagée, facilitant ainsi la séparation des deux ailes. Finalement, en l'absence d'une structure forte, le fuselage s'est séparé au niveau de la structure arrière de la porte. Des marques de peinture provenant du ski ont aussi été relevées sur la dérive ainsi que sur la gouverne de profondeur gauche, ce qui suggère que le fuselage a fait des tours vers la droite après avoir perdu l'aile droite. Après une descente de près de 3 500 pieds, les divers morceaux de l'avion se sont écrasés au sol.

Lors de l'installation des skis, le TEA n'a pas effectué de recherche concernant les consignes de navigabilité en vigueur, ni ne s'est rendu compte qu'il y avait une note à cet effet dans le livret technique. La consigne de navigabilité CF-80-18 n'a donc pas été exécutée par le TEA lors de l'installation des skis Airglas. Le RAC stipule que le respect des consignes de navigabilité incombe au responsable légal de l'appareil à moins que cette responsabilité n'ait été spécifiquement délégué dans un document stipulant l'entente.

L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

Faits établis

  1. Le pilote possédait les qualifications nécessaires pour effectuer le vol.
  2. La consigne de navigabilité CF-80-18 concernant l'installation des câbles d'acier et des extenseurs n'avait pas été exécutée.
  3. L'écrou du boulon AN-7 qui retient la jambe du train d'atterrissage avait été mal assujetti lors de l'installation des skis, et le boulon a cédé en vol.
  4. L'extenseur retenant le ski droit s'est rompu en vol et a permis au ski de pivoter. L'attache s'est détachée du ski et a été projetée dans l'hélice, et les supports du moteur ont cédé.
  5. Le ski et le train d'atterrissage droits se sont détachés et ont heurté l'aile droite de l'appareil.
  6. L'appareil s'est rompu en vol en plusieurs morceaux.

Causes et facteurs contributifs

Un écrou mal assujetti ainsi qu'une consigne de navigabilité qui n'avait pas été exécutée ont permis au ski et au train d'atterrissage droits de se détacher en vol et de heurter l'aile droite. L'appareil s'est ensuite désintégré avant de retomber au sol en morceaux.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles H. Simpson et W.A. Tadros.

Annexes

Annexe A— Schéma de la répartition des débris

Annexe B— Séquence de la rupture en vol