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Rapport d'enquête aéronautique A00P0206

Intrusion sur une piste
Incident entre un de Havilland DHC-8-100
Exploité par Air BC Ltd.
Et
Un de Havilland DHC-8-200
Exploité par Horizon Air
À l'aéroport international de Vancouver
(Colombie-Britannique)
Le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

À 19 h 9, heure avancée du Pacifique, le vol 31 de Horizon Air (QXE31) était positionné sur la piste 26 gauche (26L) à l'aéroport international de Vancouver, au niveau de l'intersection avec la voie de circulation E et attendait l'autorisation de décoller. Au même moment, le vol 523 d'Air BC (ABL523) roulait sur la voie de circulation D3 en direction de la piste 26L et s'approchait du point d'attente lorsque l'équipage a demandé l'autorisation de décoller. La tour n'a pas répondu à la demande de ABL523, mais a autorisé QXE31 au décollage. QXE31 et ABL523 ont tous deux accusé réception de l'autorisation de décollage, et ABL523 a amorcé sa course au décollage sur la piste 26L à partir de l'intersection D3 sans y avoir été autorisé alors que QXE31 décollait en avant de lui. Après que les deux avions eurent pris leur envol, la tour a ordonné à ABL523 de continuer sa montée au cap de piste et de poursuivre le vol selon les règles de vol à vue (VFR).

Renseignements de base

L'aéroport international de Vancouver possède deux pistes parallèles (la 08R/26L et la 08L/26R) et une piste transversale (la 12/30). Le soir de l'incident, la piste 26L était utilisée pour les décollages; il s'agit d'une piste en dur de 11 000 pieds de long. On peut s'engager sur cette piste à l'extrémité de la piste ou à partir d'une des nombreuses intersections le long de la piste.

Figure 1. Décollage à partir d'une intersection sur la piste 26L
Décollage à partir d'une intersection sur la piste 26L

Le pilote peut demander l'autorisation de décoller à partir d'une intersection lorsque le décollage ne nécessite pas toute la longueur de la piste. Une telle demande sera normalement accordée en autant que les procédures d'atténuation du bruit, le trafic et d'autres conditions le permettent. QXE31 avait demandé l'autorisation de décoller à partir de l'intersection E; tandis que ABL523 avait demandé à décoller de l'intersection D3.

Lorsque plusieurs avions font partie d'une même séquence de décollage en bout de piste, leur position dans la file est facile à établir puisqu'ils se placent les uns derrière les autres. Cependant, lorsque des avions sont en attente pour le décollage à partir de différentes intersections le long de la piste, la séquence de décollage n'est pas évidente pour les équipages. En général, les contrôleurs au sol et d'aéroport ne donnent pas de numéros aux avions qui attendent leur tour pour décoller. La réglementation en vigueur ne l'exige pas.

Dans le monde de l'aviation, les communications sont très importantes si l'on veut avoir une bonne vue d'ensemble et conserver une bonne idée de la situation. L'efficacité des communications dépend de plusieurs éléments, notamment la clarté du message, le degré d'attention du destinataire, le degré de compréhension du destinataire, le degré d'acceptation du message et l'efficacité de la rétroaction du destinataire envers le communicateur du message. Puisque ces éléments comportent un risque d'erreur dans les communications, il est essentiel de confirmer la réception et la compréhension du message. Ce procédé est souvent appelé « collationnement / écoute » et implique la vérification mutuelle de l'information véhiculée entre le contrôleur et le pilote. Lorsque le pilote collationne l'autorisation d'un contrôleur, il fait savoir qu'il a bien compris l'autorisation et il donne au contrôleur l'occasion d'identifier les erreurs qui auraient pu se glisser dans la communication. L'écoute est le processus au cours duquel le contrôleur porte une attention particulière au collationnement du pilote pour s'assurer que l'information collationnée est conforme à l'instruction d'origine. Grâce à la redondance obtenue par ce procédé de collationnement / écoute, les risques d'erreur de communication sont moins grands.

Les protocoles radio et la terminologie normalisée permettent de diminuer les erreurs de communication. L'indicatif d'appel identifie l'avion dans la file d'attente au décollage. Les équipages doivent écouter attentivement toutes les transmissions du contrôle de la circulation aérienne (ATC) pour s'assurer qu'ils les ont bien reçues et qu'elles sont collationnées seulement par l'équipage de l'avion à qui l'instruction est destinée.

Les données du système américain de rapports Aviation Safety Reporting System (ASRS) indiquent que les problèmes de transfert verbal d'information comptent pour environ 85 % de tous les incidents de transfert d'information signalésNote de bas de page 1. Dans certains cas, l'imprécision du langage couplé aux attentes liées à la situation peuvent donner lieu à une mauvaise interprétation des instructions du contrôleur. Les humains ont tendance à entendre ce qu'ils s'attendent à entendre, et souvent, à ne pas entendre ce qu'ils ne s'attendent pas à entendre. Dans le monde de l'aviation, les pilotes collationnent parfois une autorisation qu'ils s'attendent à recevoir et s'y conforment alors que le contrôleur ne leur a pas donné cette autorisation. De la même façon, les contrôleurs ne décèlent pas les erreurs dans les collationnements des pilotes parce que d'autres situations de contrôle, parfois plus importantes, retiennent leur attention. Les erreurs de collationnement / écoute donnent souvent lieu à des irrégularités d'exploitation, des risques de collision ou d'autres façons de procéder dangereuses.

La tour de contrôle de Vancouver a adopté une procédure visant à minimiser l'encombrement de la fréquence, procédure qui ordonne aux pilotes de surveiller la fréquence de la tour lorsqu'ils s'approchent de la piste et de s'abstenir d'appeler la tour pour obtenir une autorisation de décollage. L'idée est que le contrôleur de la tour sait que l'avion est au point d'attente de la piste et que, la plupart du temps, l'autorisation de décollage sera délivrée avant même que l'équipage de l'avion en ait fait la demande. Si le contrôleur de la tour n'autorise pas immédiatement le décollage, il est fort probable que des raisons spécifiques justifient le délai (par exemple, il se peut que la piste ne soit pas dégagée, qu'un avion décolle d'une intersection, qu'un avion soit en approche finale vers la piste ou qu'un véhicule traverse la piste). Le pilote en attente peut ne pas être au courant de ces situations.

Le Manuel d'exploitation - Contrôle de la circulation aérienne (MANOPS ATC) stipule que les contrôleurs sont tenus de s'assurer que le collationnement d'un message dont ils sont l'émetteur est exact (dans les cas où un collationnement mot à mot est nécessaire) et qu'ils sont tenus de déceler et de corriger toute erreur dans le collationnement, ou de répéter l'autorisation ou l'instruction au complet s'il existe une possibilité de confusion. Le collationnement mot à mot est seulement requis lorsqu'un contrôleur émet ou transmet les types de renseignements suivants :

  1. une autorisation de vol selon les règles de vol aux instruments (IFR) ou une instruction IFR;
  2. une modification à une autorisation IFR ou à une instruction IFR; ou
  3. une instruction à un avion ou à un véhicule d'ATTENDRE ou d'ATTENDRE À L'ÉCART d'une piste ou d'une voie de circulation.

Rien n'oblige le contrôleur à obtenir le collationnement exact d'une autorisation de décollage. Dans le cas de l'incident en question, QXE31 et ABL523 ont tous les deux collationné l'autorisation de décollage destinée à QXE31. La première partie du collationnement était inintelligible en raison du brouillage occasionné par les deux transmissions simultanées, tandis que la dernière partie était claire et s'est terminée par l'indicatif d'appel ABL523. Le contrôleur a vu QXE31 amorcer sa course au décollage, mais il ne s'est pas rendu compte lors du collationnement que l'autorisation avait aussi été acceptée et collationnée par ABL523.

L'ATC de Vancouver a adopté une procédure locale qui veut que le contrôleur mentionne l'intersection de voies de circulation sur laquelle se trouve l'avion lorsqu'il autorise cet avion à se positionner ou à décoller d'une intersection. Cette procédure ajoute un élément de sécurité puisque l'autorisation de décollage fait état de l'indicatif de l'avion et également de sa position sur l'aéroport. Dans le cas du présent incident, le contrôleur n'a pas mentionné l'intersection de voies de circulation dans l'autorisation destinée à QXE31 parce que l'avion était déjà en place sur la piste et à l'écart de l'intersection.

L'intrusion sur la piste s'est produite dans le noir, environ une heure et demie après le coucher du soleil. Les conditions météorologiques suivantes prévalaient : quelques nuages à 13 000 pieds au-dessus de la mer (asl), quelques nuages à 17 000 pieds asl, couche de nuages fragmentés à 24 000 pieds asl, vents du 310 degrés à 4 noeuds et température de quelque 9 degrés Celsius.

La nuit, l'acuité visuelle de l'oeil normal diminue beaucoup, les contrastes sont moins marqués, une tache aveugle apparaît au milieu de l'oeil, la perception des profondeurs est un peu moins bonne et l'oeil doit bouger sans arrêt pour s'accommoder aux situationsNote de bas de page 2. De plus, dans l'obsécuritéé, le champ de vision rétrécit d'environ un sixième et la perception des couleurs est moins bonne. Vu que les facultés de l'oeil humain diminuent dans le noir, les pilotes et les contrôleurs ont plus de mal à discerner les objets non éclairés, à identifier la position et le mouvement d'un objet au sol ou dans les airs et à évaluer la distance entre les objets; par conséquent, il est plus difficile de conserver une bonne vue d'ensemble uniquement à l'aide des éléments visuels.

Les procédures de l'ATC de l'aéroport de Vancouver sont adaptées régulièrement pour contrer la faible visibilité liée aux mauvaises conditions météorologiques. Les décollages à partir d'une intersection sont interdits dans ces conditions, et les avions au décollage doivent amorcer leur course à partir de l'extrémité de la piste en service. La tour est équipée d'un radar de surveillance des mouvements de surface (ASDE) qui permet de détecter les mouvements d'aéronefs au sol. Cependant, il n'est aucunement prévu d'adapter systématiquement les procédures ATC liées à l'utilisation de l'ASDE pour tenir compte de l'augmentation des risques liés aux opérations de nuit, contrairement à ce qui ce fait à l'heure actuelle en cas de faible visibilité.

Les procédures des compagnies aériennes exigent souvent que l'équipage allume les phares d'atterrissage et les feux à éclats de son avion après avoir reçu l'autorisation de décoller. Les feux de navigation et les feux anticollision (si l'avion en est équipé) de l'aéronef devraient déjà être allumés. La nuit, il peut être difficile, à cause de l'arrière-plan, de discerner un autre avion au sol à partir de l'arrière de l'avion. Dans ce cas, les seules lumières visibles de ce point de vue sont une petite lumière blanche sur l'empennage et un feu anticollision. Toutefois, dès que l'équipage reçoit l'autorisation de décoller, l'avion devient plus visible de derrière puisque ses feux anticollision et ses phares d'atterrissage s'allument et parce que ses phares d'atterrissage sont alors réfléchis par les hélices qui tournent, rendant le disque visible (comme ce fut le cas pour l'avion en question).

D'autres incidents du genre se sont produits à l'aéroport international de Vancouver avant le présent incident. Dans la plupart des cas, toutefois, les situations dangereuses se sont produites de jour. L'équipage ou le contrôleur en cause a décelé le problème visuellement et a pu prendre les mesures qui s'imposaient.

Analyse

Vu que le présent incident s'est produit dans l'obsécuritéé et alors que le ciel était couvert, il est raisonnable de conclure que ces éléments ont gêné la visibilité de l'équipage et du contrôleur.

Les chances d'identifier et de corriger une intrusion de piste à l'aide du protocole radio dépendent directement de la rigueur avec laquelle ce protocole est appliqué. Lorsque l'équipage de ABL523 a signalé à la tour qu'il était prêt à décoller au niveau de l'intersection avec la voie de circulation D3, il s'attendait à ce que le contrôleur l'autorise à décoller immédiatement ou lui ordonne d'attendre. Même si le contrôleur a bien entendu la demande d'autorisation au décollage d'ABL523, il n'a pas répondu parce qu'il exécutait des tâches plus importantes; entre autres, il autorisait le décollage de QXE31 à partir de la piste 26L selon la procédure Richmond 6 à 3 000 pieds. À l'exception de l'indicatif d'appel QXE31 au début du message, le libellé de l'autorisation qui a suivi répondait exactement aux attentes de l'équipage d'ABL523.

L'équipage de ABL523 a cru que l'autorisation lui était destinée parce qu'il n'a pas entendu l'indicatif d'appel dans le message destiné à QXE31, et parce que l'autorisation a été émise immédiatement après sa demande d'autorisation de décollage.

Le contrôleur n'ayant pas corrigé le collationnement de ABL523 lié à l'autorisation de décollage, l'équipage a conclu que le collationnement était bon et qu'il avait l'autorisation de décoller selon la procédure Richmond 6 à 3 000 pieds.

L'obsécuritéé, le fait que le contrôleur était concentré sur le départ d'un autre avion et d'autres distractions potentielles liées à la charge de travail ont fait qu'il a sans aucun doute été plus difficile pour le contrôleur de remarquer qu'un autre avion s'était positionné sur la piste. On ne sait pas pourquoi le contrôleur n'a pas détecté l'intrusion sur la piste grâce à l'ASDE. L'obsécuritéé et le fait que l'avion n'était pas très visible ont également empêché l'équipage de ABL523 d'apercevoir l'avion qui se trouvait sur la piste en avant de lui, tant qu'il n'a pas eu commencé la course au décollage.

D'autres incidents du genre se sont produits à l'aéroport international de Vancouver avant le présent incident, mais ces événements étaient survenus de jour, et l'équipage ou le contrôleur en cause avait décelé le problème visuellement et avait pu prendre les mesures qui s'imposaient.

Les risques d'intrusion de piste sont plus grands quand on utilise des intersections multiples pour les décollages parce qu'il est possible que plusieurs avions se trouvent à proximité de la piste prêts à décoller. Les chances de déceler les erreurs sont plus minces la nuit. Il est possible que les procédures ATC ne soient pas suffisantes pour contrer le risque accru qui existe la nuit.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

  1. L'équipage du vol ABL523, qui attendait d'être autorisé à décoller, a accepté et collationné l'autorisation de décollage qui était destinée à l'équipage du vol QXE31; dans l'autorisation, l'intersection de voies de circulation n'était pas mentionnée.
  2. Le contrôleur de la tour ne s'est pas rendu compte que l'équipage du vol ABL523 avait accepté l'autorisation.
  3. Le contrôleur n'a pas pu voir l'avion du vol ABL523 se positionner sur la piste à cause de l'obsécuritéé et parce que l'avion était peu visible pendant le roulage; ces éléments ont également empêché l'équipage de ABL523 de voir l'avion qui le précédait, avant le début de la course au décollage.

Faits établis quant aux risques

  1. Les chances de déceler une intrusion sur une piste et de corriger la situation grâce aux procédures radio sont plus minces quand les procédures de collationnement / écoute ne comprennent pas d'exigence pour les autorisations de décollage.
  2. Le risque d'intrusion sur une piste est plus grand quand des intersections multiples sont utilisées pour les décollages.
  3. Exiger que les pilotes s'abstiennent d'appeler la tour pour obtenir une autorisation de décollage réduit l'encombrement de la fréquence, mais cela augmente les incertitudes et ne permet pas aux pilotes d'avoir une moins bonne idée de la situation.

Mesures de sécurité

La tour de contrôle de Vancouver a formellement adopté une nouvelle procédure qui fait qu'on doit maintenant mentionner l'intersection des voies de circulation dans l'autorisation de décollage comme second indice pour identifier l'avion qui a été autorisé à décoller. L'adoption de cette procédure devrait fournir une protection supplémentaire contre ce genre d'erreur opérationnelle.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet incident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .