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Rapport d'enquête aéronautique A03A0013

Panne d'alimentation carburant et atterrissage forcé
du Cessna 188B N6606Q
exploité par ComputaPlane Ltd.
à 19 nm à l'ouest-nord-ouest de Badger
(Terre-Neuve-et-Labrador)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Cessna monomoteur 188B, immatriculé N6606Q et portant le numéro de série 18802951T, effectue un vol de convoyage du Canada vers l'Afrique et se trouve en route de Saint-John's (Terre-Neuve-et-Labrador) à Goose Bay. Pendant la première étape du voyage, environ une heure et demie après son départ, le pilote tente de transférer du carburant d'un réservoir modifié aux réservoirs d'aile. Le moteur s'arrête, et le pilote effectue un atterrissage forcé dans une tourbière gelée recouverte de neige. L'avion capote au cours de l'atterrissage et s'immobilise dans une assiette en piqué. Le pilote n'est pas blessé.

Un aéronef survolant la région capte le message de détresse MAYDAY envoyé par le pilote et se rend aux coordonnées transmises par ce dernier. Le pilote de l'aéronef trouve le lieu de l'accident et signale qu'il y a une personne debout à l'extérieur de l'avion. Le Centre de coordination des opérations de sauvetage de Halifax fait appel à un hélicoptère AS350, qui effectue alors un vol d'entraînement, et lui demande de se rendre au lieu de l'accident pour recueillir le pilote. L'hélicoptère arrive sur les lieux environ une heure après l'accident, prend le pilote et le ramène à Deer Lake.

Renseignements de base

Le pilote possédait une licence de pilote de ligne valide et il avait cumulé approximativement 2500 heures de temps de vol.

L'accident est survenu vers 16 h 25, heure avancée de Terre-Neuve, à 19 milles marins à l'ouest-nord-ouest de Badger. La station d'observation météorologique la plus proche, située à l'aéroport de Deer Lake à 40 milles à l'ouest-nord-ouest du lieu de l'atterrissage, annonçait de bonnes conditions météo au moment de l'accident : vents légers de l'ouest, visibilité de 15 milles terrestres, plafond de 2400 pi et température de −2 °C. Les conditions étaient similaires sur les lieux de l'accident.

Il s'agissait de la seconde tentative de convoyage du même avion du Canada à son nouveau propriétaire, une entreprise de Kampala, en Ouganda. Le 23 mars 2002, une tentative de convoyage de cet avion par un pilote différent avait échoué en raison de problèmes de transfert de carburant. L'avion avait réussi à retourner à Saint-John's en toute sécurité, où il est resté dans un hangar jusqu'au vol en question. Le problème de transfert de carburant n'avait pas été inscrit dans le carnet de bord et n'avait pas non plus été ajouté à la liste des anomalies techniques (indisponibilités) que le pilote du vol de mars 2002 avait envoyé par courrier électronique à l'entreprise de convoyage. Cependant, il y avait eu des échanges verbaux entre les deux parties sur le problème de transfert de carburant.

L'avion était exploité en vertu de la partie 91 des Federal Aviation Regulations (FAR) et, à ce titre, il n'était pas obligatoire qu'il ait un carnet de bord ni que l'anomalie soit inscrite dans un carnet de bord. L'article 91.7 des FAR précise que le pilote commandant de bord d'un aéronef civil est responsable de décider si son appareil est en état de voler en toute sécurité. D'après l'alinéa 91.403 (a) des FAR, il incombe au propriétaire ou à l'exploitant de l'appareil de maintenir l'aéronef en état de navigabilité. L'alinéa 91.405 (a) des FAR exige que le propriétaire ou l'exploitant s'assure de faire réparer les anomalies techniques entre les inspections exigées et que le personnel de maintenance fasse les inscriptions appropriées dans les dossiers de maintenance pour indiquer que le retour en service de l'aéronef a été approuvé.

L'exploitant a engagé à contrat une entreprise de maintenance locale pour effectuer des tâches de maintenance spécifiques sur l'avion après le premier vol de convoyage. Voici en quoi consistaient ces tâches de maintenance : inspecter les câbles de commande de mélange pour s'assurer de leur bon fonctionnement et de leur sécurité; remplacer le joint d'étanchéité sur la fenêtre en plexiglas se trouvant sur le dessus du réservoir de convoyage (pour faciliter le remplacement du joint, le réservoir de convoyage a été complètement vidé de son contenu, et une importante quantité d'eau a été trouvée dans le carburant); remplacer la roulette de queue; remplacer le compas magnétique; effectuer des points fixes périodiques du moteur. L'exploitant n'a pas demandé à l'entreprise de maintenance de rechercher les causes du problème de transfert de carburant, l'entreprise n'ayant pas cru qu'il s'agissait d'un problème causé par le mauvais fonctionnement du circuit carburant. C'est pour cette raison que la validité de l'autorité de vol américaine et sa validation canadienne sont douteuses.

En raison de la longue distance de convoyage, l'avion avait été équipé d'un circuit carburant modifié approuvé par la Federal Aviation Administration (FAA) pour accroître sa distance franchissable. Ce circuit permettait au carburant d'être transporté dans un réservoir auxiliaire qui est habituellement utilisé sur ce modèle d'avion pour l'épandage aérien de produits chimiques agricoles. Avec un tel circuit, le pilote utilise d'abord le carburant des deux réservoirs d'aile jusqu'à ce que les jauges de carburant indiquent qu'ils sont à moitié vides. Le pilote transfère alors le carburant du réservoir auxiliaire (de convoyage) pour remplir les réservoirs d'aile. Des pompes à carburant électriques font passer le carburant du réservoir auxiliaire à travers un filtre Wicks et l'introduisent dans le circuit carburant principal par la conduite carburant avant du réservoir de l'aile droite. Puisque les deux réservoirs d'aile sont reliés par un réservoir de carburant commun, le carburant transféré du réservoir auxiliaire remplit de façon égale le réservoir de l'aile droite et celui de l'aile gauche. Le filtre Wicks comprend un bol de verre transparent et un robinet de vidange qui servent à déterminer si le filtre est contaminé et à effectuer une vérification de purge du carburant pendant l'inspection prévol. Le supplément de vol ne comprenait aucune consigne particulière quant à l'inspection prévol du filtre.

Environ une heure après le décollage, l'avion était en palier à 5500 pieds d'altitude, le régime du moteur était réglé à 2400 tr/min et 24 pouces et le débit carburant était de 15 gallons à l'heure (gal/h). Sans changement de température à l'extérieur ni réglage du régime du moteur, le débit carburant a chuté à 13 gal/h et variait de plus ou moins 1 gal/h. Le pilote a donc mis en marche la pompe carburant auxiliaire, et le débit carburant a augmenté à 18 gal/h, puis s'est stabilisé à 17 gal/h lorsque le pilote a coupé la pompe.

Environ une heure et demie après le décollage, le pilote en question a essayé de transférer du carburant du réservoir auxiliaire aux réservoirs d'aile, desquels 25 gallons américains avaient été consommés. À ce moment, l'avion volait au-dessus d'une couche nuageuse à 5500 pieds d'altitude, et la température extérieure était de −16 °C. Après 30 minutes, le transfert du carburant ne s'était apparemment pas produit, et les jauges carburant des réservoirs d'aile indiquaient que celui de gauche n'était qu'à moitié plein et que celui de droite n'était rempli qu'au quart. Le pilote a remarqué une grosse bulle dans la conduite carburant transparente qui relie le réservoir auxiliaire aux pompes de transfert de carburant. Il a coupé les pompes de transfert et tordu les conduites carburant sur lesdites pompes pour vérifier la présence éventuelle d'un raccord desserré. Quand il a remis en marche les pompes de transfert de carburant, la bulle était toujours là. Il a alors remarqué que l'indicateur de débit carburant était tombé à zéro et que le moteur s'était arrêté, même si l'hélice continuait à tourner en moulinet. L'arrêt du moteur n'avait été précédé d'aucun signe indicateur d'un problème imminent, comme des ratés, des bafouillages ou des vibrations.

Lorsque le pilote en question était arrivé à Saint-John's pour entamer le vol de convoyage, il avait vérifié les documents de l'avion et les carnets de bord et les avaient trouvés en ordre. Aucune inscription dans le carnet de bord n'indiquait qu'il y avait eu un problème de transfert de carburant au cours du vol précédent. Lorsqu'il avait effectué son inspection prévol, le pilote avait trouvé que le réservoir auxiliaire était sec et propre, les échantillons de carburant tirés du circuit carburant principal étant de la bonne couleur et ne contenant aucun résidu. Le pilote n'avait pas essayé de purger le carburant du filtre Wicks du réservoir auxiliaire, peut-être parce que ce dernier était sec et propre et que les consignes d'exploitation du circuit carburant du réservoir auxiliaire ne précisaient pas de purger le carburant du filtre Wicks au cours de l'inspection prévol. Le pilote avait vérifié le fonctionnement des pompes de transfert de carburant lors de son inspection prévol et il avait constaté qu'elles aspiraient de l'air et qu'elles vibraient, mais aucun carburant n'a été pompé puisque le réservoir auxiliaire était vide. Avant l'avitaillement de l'avion, le gérant de l'entreprise d'avitaillement avait conseillé au pilote de vidanger le carburant qui restait dans les réservoirs principaux puisqu'il y était resté longtemps. Le pilote a refusé de le faire étant donné qu'il n'avait jamais eu de problèmes avec du vieux carburant. Il a quand même effectué une vérification des purgeurs des réservoirs principaux après qu'ils ont été remplis. Le carburant était toujours de la bonne couleur et ne montrait aucune trace de contamination.

Les comptes rendus ne concordent pas quant au fait de savoir si le pilote en question avait été mis au courant ou non du problème de transfert de carburant qui était survenu lors de la première tentative de convoyage ni du fait qu'il y avait de l'eau dans le réservoir auxiliaire lorsque ce dernier avait été vidé lors du remplacement du joint d'étanchéité sur la fenêtre en plexiglas. La partie 91 des FAR, en vertu desquelles l'avion était exploité, n'exigeait pas la consignation du problème de transfert de carburant dans le carnet de bord de l'avion, et le problème n'a donc pas été inscrit dans le carnet. L'inscription de maintenance dans le carnet de bord n'a pas non plus indiqué qu'il y avait de l'eau au fond du réservoir après que ce dernier avait été vidé pour faciliter le remplacement du joint. Cependant, l'entreprise de maintenance et des inspecteurs de Transports Canada avaient suggéré au pilote d'effectuer un vol d'essai avant le début du convoyage pour vérifier le bon fonctionnement du circuit de transfert du carburant. Aucun vol d'essai n'a été effectué.

Après l'accident, mais avant l'arrivée des enquêteurs du BST, le vent a renversé l'avion sur le dos. L'inspection de l'avion sur place a permis de constater que les réservoirs d'aile et le réservoir auxiliaire étaient vides. La coloration de la neige indiquait que du carburant s'était vidé des réservoirs après le renversement de l'avion, ce qui prouve qu'il y avait du carburant dans les réservoirs au moment de l'accident.

Une fois l'avion retiré des lieux de l'accident, les composants du circuit carburant ont été déposés et examinés. Les observations suivantes sont tirées de cet examen :

  1. Le filtre Wicks du réservoir auxiliaire contenait un mélange de carburant et d'eau, cette dernière comptant pour environ 60 % du mélange. Il y avait aussi une quantité importante de résidus de corrosion dans le filtre.
  2. Le bol du filtre à carburant de la cellule contenait seulement une petite quantité d'un mélange de carburant et d'eau, principalement constitué d'eau. L'intérieur du bol était très corrodé, et le filtre à carburant était fortement contaminé de particules solides.
  3. Une petite quantité de carburant se trouvait dans la conduite entre la cloison coupe-feu du moteur et la pompe carburant entraînée par le moteur. Le filetage de cette conduite avait été faussé sur le raccord de la pompe carburant, mais aucun signe de fuite de carburant n'était visible.
  4. Une petite quantité d'eau et de petites particules solides de contaminant ont été trouvées dans le filtre de servo-injection du carburant.
  5. Le filtre du diviseur de débit carburant était fortement contaminé par des particules solides et il montrait aussi des signes de contamination par l'eau.
  6. On a examiné les injecteurs de carburant en les tenant devant une lumière et en regardant à travers. La lumière est nettement visible à travers un injecteur propre, pourtant aucune lumière n'était visible à travers les injecteurs provenant des cylindres 1, 3 et 5. Les injecteurs des cylindres 2 et 4 laissaient passer environ 20 % de la lumière normalement visible à travers un injecteur propre, tandis que l'injecteur du cylindre 6 laissait passer environ 80 % de la lumière visible dans un injecteur propre.

La conduite carburant se trouvant entre la cloison coupe-feu du moteur et la pompe carburant entraînée par le moteur a été acheminée au Laboratoire technique du BST où elle a été soumise à un essai de dépression, à un essai de pression et à un examen interne. Aucune anomalie n'a été découverte qui aurait empêché le carburant de circuler dans la conduite. La pompe carburant entraînée par le moteur a été examinée et mise à l'essai dans l'atelier du bureau régional du BST, et elle fonctionnait normalement.

Analyse

L'ensemble du circuit carburant était fortement contaminé par de l'eau et par des particules solides de contaminant. L'eau qui se trouvait dans le circuit a probablement causé la corrosion interne qui a entraîné l'importante contamination des filtres à carburant par des particules solides.

L'effet combiné de la contamination par des particules solides et de la glace qui s'est formée après l'exposition aux températures froides en altitude a probablement causé une obstruction partielle qui serait à l'origine de la chute initiale du débit carburant. L'action de la pompe carburant auxiliaire a augmenté la pression du carburant et a temporairement dégagé cette obstruction. Cependant, les particules de contamination et la glace ont finalement bloqué complètement l'arrivée du carburant au moteur, lequel s'est ainsi arrêté. Le problème de transfert de carburant peut aussi être attribuable à la glace qui s'est formée à la suite du gel de l'eau se trouvant dans la conduite carburant reliant le réservoir auxiliaire aux pompes de transfert.

L'eau qui contaminait le circuit avait pu provenir soit de la pluie qui se serait introduite par le joint défectueux de la fenêtre en plexiglas du réservoir auxiliaire avant ou pendant la tentative de convoyage précédente, soit de la condensation d'eau qui s'était formée dans les réservoirs partiellement remplis de carburant au cours des neuf mois que l'avion a passé au sol; elle avait pu aussi s'introduire au cours de l'avitaillement en carburant précédent de l'avion.

La conclusion selon laquelle le problème initial de transfert de carburant était attribuable au fonctionnement défectueux du circuit de transfert ne reposait sur aucune donnée précise. Un examen approfondi du circuit carburant après la tentative initiale de vol de convoyage aurait probablement révélé des anomalies, comme un mauvais fonctionnement du circuit carburant ou la contamination du carburant, anomalies qui auraient été corrigées avant la seconde tentative de convoyage.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

Faits établis

Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

  1. La contamination par l'eau a causé la corrosion interne du circuit et la contamination par des particules solides des filtres à carburant. La contamination et l'eau (la glace) ont bloqué complètement l'arrivée de carburant au moteur, et ce dernier s'est arrêté.
  2. L'exploitant n'a pas cru que le problème de transfert de carburant lors de la première tentative de convoyage était attribuable au mauvais fonctionnement du circuit carburant. L'exploitant n'a pas demandé à l'entreprise de maintenance, engagée à contrat pour accomplir des tâches spécifiques, d'effectuer une inspection approfondie du circuit carburant du réservoir auxiliaire.
  3. Un examen approfondi du circuit carburant à la suite du premier vol de convoyage aurait probablement révélé des anomalies, comme le mauvais fonctionnement du circuit carburant ou la contamination du carburant, anomalies qui auraient été corrigées avant le second vol de convoyage.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .