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Rapport d'enquête aéronautique A03O0341

Perte de contrôle après le décollage
du de Havilland DHC-3 (Otter) C-GOFF
exploité par Huron Air & Outfitters Incorporated
à Jellicoe (Ontario)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Vers 9 h, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 1, le pilote arrive à la bande d'atterrissage et prépare l'avion à skis de Havilland DHC-3 (Otter), immatriculé C-GOFF et portant le numéro de série 65, pour le vol du matin. Le pilote doit transporter jusqu'à un endroit éloigné deux passagers et des approvisionnements pour une longue période, y compris une motoneige et du matériel de camping. Le pilote charge l'avion et attend que les conditions météorologiques s'améliorent.

Vers 12 h HNE, le pilote et les passagers montent à bord de l'appareil et ils décollent en direction est. L'avion prend l'air près de l'extrémité de départ de la bande d'atterrissage et, peu après, l'aile droite heurte quelques buissons et la cime d'un bouleau. L'appareil descend dans une assiette de piqué prononcée avec l'aile droite basse et heurte la surface d'un lac gelé situé en contrebas à quelque 70 pieds sous l'altitude du terrain d'aviation. L'avion s'immobilise sur le dos en étant partiellement submergé, seule la partie arrière du fuselage demeurant hors de la glace (voir la photo 2). Tous les occupants portent une ceinture abdominale. Le pilote et le passager du siège avant sont mortellement blessés, tandis que le passager du siège arrière survit à l'impact et parvient à sortir de l'appareil avec difficulté, car il est blessé aux jambes. Le lendemain matin, quelque 22 heures après l'accident, un exploitant aérien local parti à la recherche de l'avion manquant localise le passager survivant et lui porte secours.

Renseignements de base

Photo 1. Vue vers le bas à partir de l'extrémité de la bande d'atterrissage
Photo of Vue vers le bas à partir de l'extrémité de la bande d'atterrissage

Le pilote n'étant pas revenu à sa base d'attache à Armstrong (Ontario) et n'ayant pas donné de ses nouvelles, l'exploitant de la base a d'abord supposé que les piles du téléphone satellitaire qu'il transportait à bord étaient déchargées, ou que le pilote avait été retardé et avait peut-être choisi de demeurer au campement avec les passagers. Ce n'est que le lendemain matin que l'exploitant de la base a lancé les recherches en contactant un autre exploitant aérien basé près de Jellicoe pour lui demander de trouver l'avion manquant et de porter secours aux occupants. On n'a rapporté aucun signal d'une radiobalise de repérage d'urgence (ELT) qui aurait été reçu par un autre aéronef ou par le centre de coordination des opérations de sauvetage (RCC) de Trenton.

Le pilote était titulaire d'une licence de pilote professionnel valide et il était qualifié pour le vol. Les dossiers indiquent que le pilote avait de l'expérience en pilotage du DHC-3 monté sur skis. Le pilote totalisait 5016 heures de vol, dont 540 heures sur l'avion en cause depuis qu'il avait été modifié par l'installation d'un turbomoteur Walter M601E. Au cours des 90 derniers jours, il avait accumulé 46 heures de vol et, d'après son horaire de travail, il ne devait pas être fatigué. Selon les résultats de l'autopsie, rien ne permet de croire qu'une incapacité ou des facteurs physiologiques aient pu compromettre le rendement du pilote.

Les deux passagers connaissaient bien le DHC-3 et les appareils de ce type, car ils se rendaient souvent dans des régions nordiques éloignées. Le passager survivant a déclaré qu'il avait reçu un exposé sur les procédures d'urgence avant le vol, mais il ne pouvait se rappeler si l'exposé contenait des renseignements sur l'emplacement et le mode d'emploi de l'ELT.

Au moment de l'accident, le message météorologique régulier pour l'aviation (METAR) pour Geraldton (Ontario), municipalité située à quelque 26 milles terrestres des lieux de l'accident, était le suivant : vent du 010° vrai à 4 noeuds; visibilité de 2 milles terrestres dans de la neige légère; couche de nuages fragmentés à 800 pieds au-dessus du sol (agl), ciel couvert à 1100 pieds agl; température de −3 °C et point de rosée de −4 °C. Selon ce qui a été rapporté, de la neige était tombée sur Jellicoe pendant la plus grande partie de la matinée. Le pilote a balayé la neige qui recouvrait l'appareil et, lorsque le soleil a percé au travers des nuages, la visibilité s'est améliorée et la température s'est suffisamment réchauffée pour faire fondre toute la neige qui pouvait encore se trouver sur les ailes de l'avion.

Le terrain d'aviation est situé sur une propriété privée, et la bande d'atterrissage orientée est/ouest mesure environ 3400 pieds de longueur. L'entretien pendant la saison hivernale se limite au déneigement d'un chemin pour véhicules qui permet l'accès à un hangar de maintenance. La bande d'atterrissage est bordée par des arbres des côtés ouest et sud et, à l'extrémité est de la piste, il y a une dénivellation d'environ soixante-dix pieds jusqu'à un lac. Une tour métallique, équipée d'un anémomètre, d'une manche à vent ainsi que de transmetteurs de température et d'humidité, est située à mi-distance de la bande d'atterrissage du côté nord.

La bande d'atterrissage était couverte d'une épaisseur d'environ 18 pouces de neige qui recouvrait une croûte de neige glacée. Le pilote avait l'intention de circuler sur la bande d'atterrissage afin de tasser la neige et d'améliorer ainsi les performances au décollage de l'avion en réduisant la traînée des skis s'enfonçant dans la neige. Toutefois, pour une raison inconnue, il ne l'a pas fait. Les trois traces laissées dans la neige par les skis du train principal et de la roulette de queue pendant la course au décollage étaient encore visibles lorsque les enquêteurs sont arrivés sur place. La longueur des traces de skis, et par conséquent de la course au décollage, était d'environ 2800 pieds.

L'examen des traces dans la neige a révélé que les skis du train d'atterrissage principal et de la roulette de queue sont demeurés en contact avec la piste pendant toute la course au décollage et ont quitté le sol au même moment, soit juste avant l'extrémité de départ de la bande d'atterrissage. La distance entre le point de déjaugeage et le point à l'extrémité de la bande d'atterrissage où l'aile de l'avion a heurté un premier buisson était d'environ 370 pieds, et la collision avec l'arbre s'est produite à peu de distance de là. Selon les témoignages obtenus du propriétaire de la bande d'atterrissage, du passager survivant et d'un exploitant aérien local qui utilise également un Turbo Otter, ce type d'avion déjauge normalement à mi-distance de la bande d'atterrissage, soit approximativement à la hauteur de la tour métallique.

Photo 2. Avion immobilisé sur la surface du lac gelé
Photo of Avion immobilisé sur la surface du lac gelé

On a retiré l'épave du lac afin de l'examiner. Le poste de pilotage et la plus grande partie du fuselage à l'arrière du poste de pilotage étaient lourdement endommagés. Les deux ailes s'étaient détachées du fuselage au niveau des points de fixation entre l'aile et le fuselage. L'aile droite était beaucoup plus endommagée que la gauche, car c'est elle qui a absorbé les forces de l'impact initial avec la surface gelée. La partie située entre le milieu du fuselage et l'empennage n'était que légèrement endommagée. L'hélice s'était séparée du moteur, mais une partie du réducteur y était demeurée fixée. Le gondolage et la déformation en torsion prononcée des pales d'hélice laissent croire que le moteur produisait une grande puissance au moment de l'impact. L'examen des commandes de vol n'a révélé aucune anomalie. Le train d'atterrissage principal était équipé de roues et de skis. L'examen de l'épave a révélé que les deux skis étaient abaissés pendant le décollage. Les traces laissées dans la neige sur la bande d'atterrissage indiquent également que les skis étaient en position basse. L'examen des roues et des skis n'a pas révélé la présence de contamination sur la base des skis.

On a relevé les positions du compensateur du stabilisateur et des volets afin de les comparer à celles d'un avion de même type en état de marche. En faisant correspondre l'allongement des vérins, on a déterminé que le compensateur du stabilisateur était en position de braquage maximal en piqué. Les vérins des volets étaient sortis d'environ 1¾ pouce, ce qui correspond à une position de sortie des volets entre la montée et le décollage. Des discussions avec un autre exploitant qui connaît bien ce type d'appareil ont révélé qu'il était de pratique courante de régler le compensateur du stabilisateur en position de braquage maximal en piqué pendant la course au décollage afin de faciliter le soulèvement de l'arrière de l'avion. Une fois que la roulette de queue a quitté le sol, le compensateur est réglé en position de décollage, encore que, s'il demeure en position de braquage maximal en piqué, le pilote peut néanmoins contrer l'action du compensateur en exerçant une plus grande force sur le manche.

On n'a pu qu'estimer la masse totale de l'aéronef, car on ignorait la quantité exacte de carburant à bord. Le supplément au manuel de vol ne mentionne pas la consommation réelle de carburant du turbomoteur Walter M601E, mais selon d'autres sources de renseignements, la consommation moyenne serait de 350 livres de carburant à l'heure. Le vol prévu, y compris une réserve de 30 minutes, aurait nécessité une charge de carburant d'au moins trois heures. À partir de cette donnée, la masse minimale de carburant requise pour le vol aurait été de 1050 livres. La masse totale de l'avion au décollage a été estimée à environ 7985 livres, soit 15 livres de moins que les 8000 livres de la masse maximale totale autorisée au décollage. La masse du fret a été estimée à partir du contenu de l'appareil. Il a été impossible de déterminer si une partie de la cargaison avait été perdue au moment où l'avion était en partie passé au travers de la glace. La cargaison était chargée dans la partie avant de la cabine et on a estimé que le centre de gravité s'inscrivait dans les limites prescrites.

La plupart des marchandises à bord de l'avion n'étaient pas assujetties. Les seuls signes d'arrimage étaient les cordes trouvées près de la motoneige. Les autres pièces d'équipement semblaient avoir été disposées autour de la motoneige et par-dessus. Le fret comprenait notamment quelques réservoirs de gaz propane et des bidons de carburant d'une capacité de cinq gallons.

Photo 3. Siège du survivant - la flèche indique la languette de fixation en position inversée
Photo of Siège du survivant - la flèche indique la languette de fixation en position inversée

On a déterminé que le siège utilitaire pliant de cabine sur lequel était assis le passager survivant s'était rompu en surcharge. Un examen plus poussé a révélé que les languettes de fixation (voir la photo 3) situées sous les pieds du siège et qui sont insérées à l'intérieur du panneau de plancher pour assujettir le siège avaient été montées en faisant face vers l'arrière. Un bulletin de service d'alerte de de Havilland (A3/49, 19 juillet 1991) demandait l'inspection de ces languettes pour vérifier si elles faisaient bien face vers l'avant. Dans le cas présent, compte tenu de la force de l'impact, le siège ne serait sans doute pas demeuré assujetti, même si les languettes avaient été correctement montées.

On a retrouvé l'ELT fixée dans sa ferrure de support à l'arrière de l'appareil, et le sélecteur de réglage était en position armée. Le câble coaxial de l'ELT s'était détaché au niveau de la base de l'antenne externe, et l'antenne s'était brisée et séparée du fuselage. L'antenne externe était située à l'avant de l'empennage. L'ELT de type portatif était munie d'une antenne distincte, située sur la ferrure de support, que l'on pouvait fixer à l'ELT lorsqu'on la retirait de l'avion. Le survivant ne savait pas où était placée l'ELT à bord de l'avion, ni qu'il s'agissait d'une unité portative que l'on pouvait actionner manuellement. De toute façon, compte tenu de la gravité de ses blessures et de l'assiette de l'avion dans l'eau, le survivant aurait sans doute éprouvé beaucoup de difficulté à atteindre l'ELT.

On a déposé l'ELT pour la transporter dans un atelier de réparation d'avionique afin qu'elle y subisse des essais préliminaires. Lorsqu'on réglait le sélecteur externe sur la position de marche, le signal était audible et l'ELT émettait sur la fréquence de 121,5 MHz. Les piles étaient complètement chargées et elles n'avaient pas dépassé leur durée de vie en service prévue. On a subséquemment envoyé l'ELT au Laboratoire technique du BST (rapport LP 007/2004 - ELT Examination (Examen d'une ELT)) pour lui faire subir d'autres examens et essais. L'interrupteur du détecteur d'écrasement interne qui déclenche la mise en marche de l'ELT, communément appelé contacteur à inertie, est constitué d'un tube et d'une bille qui peut se déplacer librement à l'intérieur de ce tube. En cas d'impact, la bille se déplace le long du tube et elle actionne le contacteur à inertie. Ce type d'interrupteur est unidirectionnel, et un impact perpendiculaire à l'orientation de l'ELT, comme dans le cas présent, ne produit pas une force suffisante pour déplacer la bille et actionner le contacteur à inertie. Il existe aujourd'hui des modèles d'ELT munis d'un contacteur à inertie multidirectionnel qui fonctionne sous des charges d'impact se produisant dans l'un ou l'autre de six axes.

En décembre 2002, le certificat de type supplémentaire (CTS) SA01-111 a été délivré pour permettre le remplacement du moteur Pratt and Whitney R-1340 de l'avion de Havilland DHC-3 (Otter) par le turbomoteur Walter M601E et, par la même occasion, il y a eu délivrance du CTS SA02-112 pour autoriser l'installation de l'hélice AVIA Hamilton Standard VJ8-510 sur la version terrestre du DHC-3. Au moment où l'appareil en cause se trouvait dans un atelier de maintenance, un inspecteur de Transports Canada a remarqué que l'hélice portait le numéro de modèle AVIA V508E-AG106A, numéro qui n'est pas mentionné dans le STC SA02-112 mais qui correspondait à une hélice approuvée uniquement pour être installée sur la version hydravion du DHC-3. Par la suite, soit le 14 novembre 2003, Transports Canada a délivré un permis de convoyage, valide pendant 30 jours à partir de sa date de délivrance, qui autorisait l'exploitant à effectuer un seul vol afin de ramener l'avion à sa base d'attache à Armstrong. Aucun autre vol n'était autorisé avant que l'une des conditions suivantes n'ait été remplie : l'exploitant devait réinstaller l'hélice AVIA VJ8-510 ou Transports Canada devait délivrer une approbation pour l'installation de l'hélice AVIA V508E-AG106A sur la version terrestre du DHC-3. Tout vol effectué sans se conformer à ces conditions risquait de compromettre la validité du certificat de navigabilité de l'avion. Les inscriptions faites dans le carnet de bord de l'avion ont révélé que l'appareil avait effectué de nombreux vols depuis son retour à Armstrong sans que les conditions susmentionnées n'aient été respectées.

À la suite de la délivrance des CTS, un supplément au manuel de vol approuvé par la Federal Aviation Administration (FAA) avait été fourni à l'exploitant du Turbo Otter. Lorsque le CTS a été transféré à une compagnie canadienne, ce supplément a également été accepté et incorporé par renvoi au CTS canadien approuvé par Transports Canada. L'examen du supplément au manuel de vol a révélé que la section consacrée aux performances ne fournissait aucune information sur les distances de décollage et d'atterrissage, mais faisait simplement référence aux ressemblances et aux différences au niveau des performances entre le Otter équipé du moteur Pratt & Whitney R-1340 et l'avion en cause équipé du turbomoteur. Le manuel ne précise pas si le manuel de vol original du DHC-3 Otter doit être utilisé comme référence pour déterminer les données relatives aux performances.

Analyse

Le pilote avait d'abord eu l'intention de circuler au sol le long de la bande d'atterrissage afin de tasser la neige. Étant donné que l'avion était sans doute presque à sa masse maximale totale et que la couche de neige était relativement épaisse, les skis se sont enfoncés profondément dans la neige, ce qui a nui à l'accélération de l'appareil. Il n'a pas été déterminé pourquoi le pilote n'avait finalement pas effectué cette opération de préparation de la piste. L'avion a donc accéléré lentement et, près de l'extrémité de la bande d'atterrissage, le pilote l'a forcé à prendre l'air alors que la vitesse n'était pas suffisante pour sortir de l'effet de sol et franchir les obstacles. Au moment où il a heurté les buissons et la cime de l'arbre, l'appareil volait à la vitesse de décrochage ou presque; le pilote a alors perdu la maîtrise de l'appareil, lequel s'est écrasé sur la surface gelée du lac.

Le pilote n'a pas tenté d'interrompre le décollage avant la fin de la bande d'atterrissage. Le soulèvement de la roulette de queue est, pour un pilote, le signe que l'avion accélère correctement et qu'il va pouvoir décoller. Comme on a pu le constater par les trois traces distinctes de ski et de pneu laissées dans la neige, la roulette de queue de l'appareil n'a pas quitté le sol avant que l'avion au complet ne prenne l'air à l'extrémité de la bande d'atterrissage.

L'ELT ne s'est pas mise en marche, sans doute parce qu'elle était équipée d'un contacteur à inertie unidirectionnel. Toutefois, même si l'ELT s'était mise en marche, elle n'aurait probablement pas alerté le RCC, car son antenne externe avait été sectionnée pendant la séquence d'impact.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Fait établi quant aux risques

  1. Les contacteurs à inertie unidirectionnels présents dans de nombreux types d'ELT ne fonctionnent pas systématiquement lorsque les forces d'impact ne s'exercent pas dans l'alignement de la direction habituelle du vol.

Autres faits établis

  1. La validité du certificat de navigabilité de l'avion était remise en cause au cours de tous les vols autres que le vol de convoyage autorisé en vertu d'un permis délivré par Transports Canada.
  2. Le montage du siège arrière du passager n'était pas conforme aux instructions du bulletin de service d'alerte A3/49 de de Havilland en date du 19 juillet 1991.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .