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Rapport d'enquête aéronautique A04P0033

Rupture en vol
de l'hélicoptère Robinson R22 C-FILW
exploité par Bear Creek Contracting Ltd
à Kumealon Inlet (Colombie-Britannique)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L'hélicoptère Robinson R22 (portant l'immatriculation C-FILW et le numéro de série 1457M) effectue un vol aller-retour en partance d'un chantier forestier situé à Kumealon à destination de Prince Rupert, ce qui correspond à une distance de quelque 40 milles marins. Il transporte un passager pendant l'étape du vol vers Prince Rupert, mais le pilote revient seul. Comme l'hélicoptère n'arrive pas au chantiet forestier, des recherches sont lancées et, le lendemain, on repère l'épave de l'hélicoptère dans la forêt, près de la destination prévue, c'est-à-dire Kumealon Inlet. L'hélicoptère a subi une rupture en vol et il manque l'une des deux pales de son rotor principal. Le pilote a subi des blessures mortelles au moment de la rupture en vol. Son corps est retrouvé à 15 mètres de l'épave. Aucun incendie ne s'est déclaré. L'accident est survenu vers 12 h 40, heure normale du Pacifique.

Renseignements de base

Ce jour-là, les conditions météorologiques signalées à Prince Rupert convenaient au vol à vue, et le vent soufflait de 10 à 18 noeuds. L'équipage d'un hélicoptère Boeing 107 avait signalé de la turbulence variant de modérée à forte ainsi qu'un vent soufflant de 30 à 40 noeuds sur la région ce jour-là. L'équipage de ce même hélicoptère avait également rencontré de la turbulence dans la région et vers l'heure où est survenu l'accident, c'est-à-dire 12 h 40, heure normale du PacifiqueNote de bas de page 1. Cette turbulence avait suffi à projeter dans les airs tout le contenu de la tasse de café du copilote, et elle a été décrite comme une sorte de projection brusque inhabituelle pour le Boeing 107, hélicoptère qui est lourd et qui supporte assez bien la turbulence.

Bear Creek Contracting Ltd était le propriétaire et l'exploitant de l'hélicoptère en cause dans cet accident, lequel hélicoptère était utilisé par le gestionnaire en exploitation forestière, à savoir le pilote, pour se déplacer dans la région (comme on utilise une camionnette lorsque le relief et les routes le permettent). L'appareil avait une immatriculation privée.

Le pilote avait procédé à une importante inspection prévol avant la première étape du vol au cours duquel est survenu l'accident. Le vol vers Prince Rupert a été normal et relativement stable. Quelques instants avant l'heure à laquelle on a estimé que l'accident était survenu, l'hélicoptère a été vu alors qu'il se dirigeait vers le chantier forestier, sa destination.

Le manuel de vol du Robinson R22 comporte des restrictions de vol dans les cas où la vitesse des vents de surface dépasse 25 noeuds ou dans les cas où l'écart dans les rafales de vent dépasse 15 noeuds. Il existe également des restrictions relativement au vol continu dans de la turbulence modérée, forte ou extrême; cependant, ces restrictions ne s'appliquent qu'aux pilotes totalisant moins de 200 heures sur les hélicoptères, ou moins de 50 heures de vol sur le type d'hélicoptère en cause, ou n'ayant pas suivi la formation de sensibilisation mentionnée dans la Special Federal Aviation Regulation no 73 des États-Unis. Le pilote totalisait quelque 1200 heures d'expérience de pilotage sur des hélicoptères Robinson R22, il avait suivi la formation de sensibilisation mentionnée et il connaissait bien le milieu environnant.

Dans la région se trouvant près des lieux de l'accident, on a examiné les arbres pour voir s'ils portaient des marques produites par les pales du rotor principal. Aucune marque n'a été décelée, mais les branches des arbres se trouvant immédiatement au-dessus de la zone d'impact du corps de l'épave étaient endommagées. Les dommages décelés ne correspondaient cependant pas aux dommages provoqués par des pales en rotation qui heurtent un arbre.

Photo 1. Lieu de l'accident
Photo of Lieu de l'accident

Trois jours après l'accident, on a retrouvé à quelque 150 mètres du corps de l'épave la pale qui s'était détachée du rotor principal. Elle était pliée de plus de 90 degrés vers le bas, à quelque 78 cm de son emplanture. Le guignol de pas était plié et la biellette de changement de pas s'était rompue. Comme l'inspection de l'épave a permis d'établir que le boulon de fixation de la pale s'était rompu à l'articulation de conicité, on a entrepris des recherches importantes dans la région. Une semaine plus tard, on a retrouvé une partie du boulon en question. On l'a inspecté au moyen d'un dispositif de grossissement optique et il a été établi qu'il avait subi une rupture/un cisaillement par surcharge. On a inspecté l'autre boulon de fixation de pale, et il a été établi qu'il présentait des marques de cisaillement imminent. La dureté et les dimensions des boulons ont été vérifiées; les deux boulons respectaient les normes de conception.

L'inspection a également permis de déceler des dommages aux butées d'affaissement et de basculement du système du rotor. Les butées de basculement étaient de conception ancienne, faites de ferrures en aluminium munies de tampons en élastomère, lesquels étaient absents. Les butées d'affaissement avaient été cisaillées comme lorsque des systèmes de rotors semblables sont soumis à des charges négatives. Cependant, contrairement aux accidents antérieurs au cours desquels des systèmes de rotors avaient perdu toute sustentation, il n'y avait aucune marque apparente d'impact du rotor principal avec la cabine, le train d'atterrissage ou la queue.

En 1995, l'hélicoptériste Robinson Helicopters avait publié un bulletin de service (SB-78) invitant à remplacer les butées d'affaissement par des dispositifs d'une nouvelle conception fabriqués de ferrures en acier inoxydable munies de tampons en élastomère. Ce bulletin de service visait à réduire les risques de perte des tampons en élastomère à cause de ruptures des ferrures en aluminium. Même si l'hélicoptériste mentionnait une date d'entrée en vigueur (31 juillet 1995) pour ce bulletin de service ayant trait à la navigabilité aérienne, Transports Canada n'exige aucunement de se conformer aux bulletins de service. Il faut cependant noter que ce bulletin de service ne concernait que des problèmes rencontrés au démarrage et à l'arrêt des rotors dans de grands vents.

Les marques de dommages au rotor principal n'indiquaient pas un régime rotor particulièrement faible. Le moteur et ses accessoires portaient des marques qui montraient que le moteur fournissait une puissance/tournait à l'impact. Le point de fixation de la transmission du rotor principal était tordu et déformé. La cloison pare-feu structurale - la paroi arrière de la cabine - avait été déformée vers l'avant. Le pare-brise et le toit en plexiglass s'étaient rompus, et des morceaux ont été retrouvés à quelque 100 mètres des lieux d'impact où se trouvait l'épave. Le montant central du pare-brise s'était également rompu, et on en a retrouvé une partie avec le compas, près du corps du pilote, lequel reposait le long de la trace laissée par les débris, avant les lieux d'impact où se trouvait le corps de l'épave. Le bord d'attaque de la pale du rotor principal qui était demeurée fixée à l'hélicoptère comportait des taches de sang entre 91 et 101 centimètres de l'emplanture de la pale. D'après les dommages qu'ont subis le rotor de queue et la poutre de queue, tout indique que le rotor de queue s'est affaissé sur la poutre de queue.

L'embrayage à roue libre était endommagé et fortement usé de façon inégale, et il présentait des signes d'embrayage dur et de glissement. Alors que l'hélicoptériste avait attribué à l'embrayage à roue libre une durée de vie de 2200 heures, l'embrayage à roue libre installé sur l'hélicoptère en cause dans cet accident totalisait 2906,5 heures de vol consignées. Plusieurs autres composants dépassaient le nombre maximal d'heures de vol qui leur était prescrit, mais ils ne comportaient aucune marque d'usure ni de détérioration excessive.

Une analyse des ampoules a révélé que le voyant d'avertissement du détecteur de limaille de la transmission principale (MR CHIP) était allumé à l'impact.

L'autopsie a permis d'établir que le pilote avait subi, en plus d'autres blessures, une déchirure partielle de la jonction médullo-pontine du tronc cérébral. Les blessures mortelles que le pilote a subies au haut du corps et à la tête correspondent à des blessures pouvant être causées par les violentes forces d'agitation qui ont déformé l'hélicoptère en vol.

Analyse

La trace laissée par les débris de l'épave, les dommages aux arbres, l'endroit où reposait le corps du pilote et les dommages à l'hélicoptère indiquaient qu'il y avait eu rupture en vol.

Tout indique que l'hélicoptère et le pilote en cause dans cet accident ont rencontré de la turbulence relativement forte. Cette turbulence, plus précisément un courant descendant, a fait que le rotor a perdu toute sustentation, comme le montrent les dommages qu'ont subis les butées d'affaissement et les tampons des butées de basculement. Comme les butées et les tampons des deux pales avaient subi des dommages, on en a conclu que certains de ces dommages s'étaient produits avant que l'une des pales du rotor principal ne se détache.

Lorsque le courant descendant a fait perdre toute sustentation au du rotor, cela a suffi pour que les pales du rotor principal puissent se rabattre et basculer suffisamment pour cisailler les butées d'affaissement et endommager les ferrures en aluminium. À un moment donné, les tampons en élastomère se sont rompus et ont permis au rotor principal de basculer fortement tout en provoquant une surcharge de la biellette de changement de pas associée à la pale du rotor principal qui s'était détachée. Cette biellette de changement de pas s'est rompue, ce qui a donné lieu à une perte de maîtrise du du rotor et de l'hélicoptère. Le pas de la pale a probablement été réduit, ce qui a permis aux forces aérodynamiques de plier cette dernière. Le comportement intempestif des pales du rotor a probablement imposé au rotor des charges dépassant sa résistance nominale, et l'un des boulons de l'articulation de conicité s'est rompu. Les charges ont immédiatement été libérées de la pale et du boulon de l'articulation de conicité opposés, ce qui fait que, même si ce dernier présentait des marques de rupture imminente, il ne s'est pas rompu. La pale associée au boulon qui s'est rompu s'est détachée parce que ce boulon servait à fixer la pale à la tête de rotor principal.

Le déséquilibre provoqué par le détachement de l'une des deux seules pales du rotor principal a secoué violemment l'hélicoptère. La transmission du rotor principal a basculé vers l'avant, vers la gauche, vers l'arrière et vers la droite lorsque la partie supérieure du mât a été arrachée de son centre de rotation. La structure principale à châssis tubulaire a été déformée et s'est rompue, et la cloison pare-feu arrière de la cabine a été déformée vers l'avant. Cette déformation de la cloison pare-feu de la cabine a permis au système de retenue du pilote de se desserrer, et le corps du pilote a été éjecté au travers du pare-brise, sur la trajectoire de la pale du rotor principal qui était demeurée fixée à l'hélicoptère.

Le fait que le voyant d'avertissement du détecteur MR CHIP se soit allumé a probablement été causé par la rupture en vol.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. L'hélicoptère a rencontré de l'air turbulent qui a fait perdre toute sustentation au rotor principal, ce qui a causé des dommages qui ont entraîné la perte de maîtrise de l'hélicoptère. Par la suite, des forces ont provoqué une surcharge ainsi que la rupture de l'un des boulons de fixation d'une pale du rotor principal, et cette pale s'est détachée.
  2. Un violent déséquilibre a provoqué la déformation du point de fixation de la transmission du rotor principal, et il y a eu rupture en vol de l'hélicoptère.

Faits établis quant aux risques

  1. L'embrayage à roue libre était fortement usé et détérioré, probablement parce qu'il était toujours en exploitation alors qu'il avait dépassé de plus de 700 heures sa durée de vie prévue.
  2. L'exploitant a continué d'exploiter l'hélicoptère, même si la durée de vie de certains de ses composants était dépassée.
  3. L'exploitant n'avait pas incorporé les mesures que préconisait le bulletin de service SB-78, mais il n'était pas tenu de le faire. Même si cela n'était pas mentionné dans le bulletin de service, en cas de forte turbulence, il y avait risque de rupture en vol des butées de basculement.

Mesures de sécurité

Le 11 mars 2004, le Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada a publié un bulletin d'information sur l'événement révélant les faits pertinents qui étaient alors connus.

Le 27 mai 2004, Robinson Helicopter a publié une mise à jour du bulletin de service (SB-78A) comportant des renseignements sur les antécédents relatifs à un récent accident et au risque de basculement excessif du rotor principal en cas de rupture des ferrures. Ce bulletin de service demandait aux propriétaires, aux exploitants et aux centres de service de vérifier si le bulletin de service SB-78A avait été exécuté et, dans la négative, de se conformer aux directives figurant dans le bulletin de service SB-78A.

Dans le cadre de son processus réglementaire, la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis a l'intention de publier une consigne de navigabilité (CN) pour rendre obligatoire l'installation des ferrures des butées de basculement plus robustes de l'hélicoptériste.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .