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Rapport d'enquête aéronautique A04Q0089

Risque de collision
entre
l'Airbus A320 C-FDRP exploité par Air Canada
et
le Cessna 172 C-FGIM exploité par Pro Aviation
à l'aéroport international de Québec
Jean-Lesage (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

À 9 h 33 min 44 s, heure avancée de l'Est, l'Airbus A320 d'Air Canada, immatriculé C-FDRP (vol ACA513), est autorisé à décoller de la piste 24 de l'aéroport international de Québec / Jean-Lesage (Québec). Seize secondes plus tard, le contrôleur demande au Cessna 172 de Pro Aviation, immatriculé C-FGIM, de s'aligner sur la piste 30. À 9 h 34 min 50 s, le contrôleur aperçoit le Cessna 172 rouler, puis décoller en direction de l'intersection des pistes 30 et 24. Sans délai, le contrôleur ordonne à deux reprises à l'Airbus A320 d'interrompre le décollage. Voyant que l'Airbus A320 poursuit sa course au décollage, il ordonne à trois reprises au Cessna 172 de virer à gauche. Aucune de ces tentatives de communication avec les pilotes ne réussit, car le contrôleur a au préalable désactivé la fonction d'émission de la radio de contrôle de l'aéroport en tentant d'améliorer la qualité de la réception radio. À environ 1000 pieds de l'intersection, à la vitesse de cabrage, le commandant de bord de l'Airbus A320 voit le Cessna; il ordonne aussitôt au copilote de ne pas décoller avant d'avoir franchi la piste 30. Le Cessna passe à environ 200 pieds au-dessus de l'Airbus A320, à la verticale de l'intersection des pistes. L'incident ne fait aucun blessé.

Renseignements de base

Le vol ACA513, un Airbus A320 avec à son bord 2 membres d'équipage de conduite, 4 membres du personnel de cabine et 140 passagers, effectuait un vol régulier selon les règles de vol aux instruments depuis l'aéroport international de Québec / Jean-Lesage (Québec) à destination de Toronto (Ontario). À 9 h 33 min 44 s, heure avancée de l'EstNote de bas de page 1, le vol ACA513 a été autorisé à décoller de la piste 24. Le commandant de bord, responsable des communications avec le contrôle de la circulation aérienne, était bilingue. Étant donné que le copilote était unilingue anglophone, l'équipage communiquait en anglais avec le contrôleur.

Le Cessna 172 de Pro Aviation effectuait un vol selon les règles de vol à vue depuis l'aéroport international de Québec / Jean-Lesage jusqu'à l'aéroport de Trois-Rivières (Québec), avec un pilote et un passager à son bord. À 9 h 34, le contrôleur a donné l'instruction au Cessna 172, qui se trouvait sur la voie de circulation Charlie, de s'aligner sur la piste 30. Les instructions ont été données au pilote du Cessna 172 en français. L'équipage du vol ACA513 n'a pas entendu le contrôleur communiquer avec le pilote du Cessna 172.

Figure 1. Trajectoire des appareils
Figure of Trajectoire des appareils

À 9 h 34 min 34 s, un Cessna Citation qui se trouvait sur l'aire de stationnement a communiqué avec le contrôleur sol de Québec. L'intensité de la communication était faible, et le pilote était pratiquement inaudible. Afin d'améliorer la qualité de la réception, le contrôleur a désactivé le bouton de communication de la fréquence air. Il a alors constaté que le Cessna 172 avait amorcé sa course au décollage sans autorisation et qu'il se trouvait par le travers de la voie de circulation Bravo. Immédiatement après, le contrôleur a ordonné à deux reprises à l'équipage du vol ACA513, qui roulait à 58 noeuds par le travers de la voie de circulation Alpha, d'interrompre le décollage. Après s'être rendu compte que l'Airbus A320 ne ralentissait pas, il a demandé à trois reprises au pilote du Cessna 172 d'amorcer immédiatement un virage à gauche. Les communications avec le vol ACA513 et le Cessna 172 ne pouvaient être entendues sur la fréquence air parce que le contrôleur avait désactivé le bouton d'émission de fréquence air.

À 9 h 35 min 20 s, à environ 1000 pieds de l'intersection des pistes 24 et 30, lorsque l'Airbus A320 a eu atteint sa vitesse de cabrage (146 noeuds), le commandant de bord a aperçu le Cessna 172 en vol sur une trajectoire convergente. Il a aussitôt ordonné au copilote qui était aux commandes de retarder le cabrage et de ne décoller qu'après avoir traversé la piste 30. Les données radar révèlent que le Cessna 172 a survolé l'Airbus A320 à 200 pieds à la verticale de l'intersection des pistes.

Les conditions météorologiques étaient propices au vol à vue. Le vent était calme, il n'y avait aucun nuage au-dessous de 5000 pieds, la visibilité était de plus de six milles et il n'y avait aucune précipitation. Le message du service automatique d'information de région terminale (ATIS) précisait que les pistes sécantes étaient en service.

Le pilote du Cessna possédait les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Il était titulaire d'une licence de pilote privé depuis 1981 et il totalisait 83 heures de vol. En 2002, il avait suivi de nouveau la formation théorique de pilote privé chez Pro Aviation, puisqu'il n'avait pas piloté depuis plus de deux ans. Au terme de cette formation, il avait réussi un examen. Le pilote avait effectué 10 vols en 2003 et 3 vols avant l'incident, en 2004. Six de ces vols avaient été effectués en compagnie d'un instructeur de Pro Aviation. Il croyait que l'instruction de s'aligner sur la piste signifiait qu'il avait l'autorisation de décoller. Le pilote, qui comprenait l'anglais, n'a pas porté attention aux communications entre la tour et l'équipage de l'Airbus.

Le contrôleur, qui était également le surveillant en service, avait commencé sa carrière en 1991. Il était contrôleur à l'aéroport international de Québec / Jean-Lesage depuis l'an 2000. Il était surveillant de quart depuis mars 2004. Comme surveillant, il avait, entres autres, les responsabilités suivantes :

Le surveillant avait suivi la formation ATS de formateur en milieu de travail en 1995 et en 2002. Cette formation consistait avant tout à perfectionner les techniques de relations interpersonnelles et les techniques d'enseignement. Aucun cours ne fournit une simulation en cas d'urgence ou lors de panne d'équipement. Selon ses pairs, le surveillant possédait des habiletés et des connaissances de contrôle supérieures à la moyenne.

Le programme opérationnel de maintien des compétences ATS de NAV CANADA attribue aux surveillants immédiats ou à un évaluateur délégué compétent la responsabilité de s'assurer que les aptitudes en communication des contrôleurs répondent aux normes établies. D'emblée, tous les surveillants sont reconnus comme des évaluateurs délégués compétents. L'évaluation des compétences en communication du surveillant, comme pour tous les surveillants de la tour de Québec, est effectuée par un autre surveillant de l'unité. Le plus récent contrôle des aptitudes en communications opérationnelles du surveillant remontait au 28 avril 2004. L'évaluateur délégué, également surveillant à la tour de contrôle de Québec, avait noté 2 erreurs parmi 80 communications. Lorsqu'on a écouté la bande ATC de l'événement, on a constaté un certain nombre d'erreurs de phraséologie. Donc, le BST a examiné l'enregistrement effectué lors de la vérification la plus récente des aptitudes en communications opérationnelles du surveillant. On a identifié de nombreux cas de phraséologie non conforme qui n'avaient pas été notés par l'évaluateur délégué.

La tour de contrôle de Québec dispose de cinq postes opérationnels liés à l'exploitation. Les postes de contrôle sol, de contrôle air et de coordonnateur peuvent être regroupés sur une console de travail. Les postes de spécialiste technique d'exploitation de l'ATC et de surveillant sont complémentaires aux opérations. Selon l'ATSAMM et le manuel Tour de contrôle de Québec, Directives administratives, le surveillant peut accorder des pauses au personnel en combinant les postes d'exploitation, à condition que le volume de travail en cours et prévu le permette et que les employés puissent être rappelés rapidement.

Le jour de l'incident, deux contrôleurs, un surveillant et un spécialiste technique d'exploitation étaient disponibles pour le quart de travail de 7 h. Vers 6 h 45, le surveillant a rempli le registre des postes. Le tableau suivant résume l'assignation des postes :

Heure Sol Coordonnateur Air Surveillant Pause
7 h Regroupé Aucun Contrôleur A Surveillant Contrôleur B
8 h Contrôleur A Aucun Contrôleur B Surveillant Aucun
9 h Contrôleur B Contrôleur A Surveillant Aucun Aucun

À 7 h, lors du regroupement des postes, le contrôleur en service a sélectionné les commandes radio appropriées pour permettre de communiquer à la fois sur les fréquences sol et air. À 8 h, le surveillant a modifié l'assignation des tâches des contrôleurs comme suit :

Heure Sol Coordonnateur Air Surveillant Pause
8 h Regroupé Aucun Contrôleur B Surveillant Contrôleur A
9 h Regroupé Aucun Surveillant Aucun Contrôleur A
Contrôleur B

Au moment de l'incident, le surveillant, assis au poste air 1, occupait les postes de contrôle air et de contrôle sol. Les deux contrôleurs étaient alors en pause. L'un d'eux était dans la cabine de la tour de contrôle, disponible en cas de besoin; aucune tâche ne lui était assignée et il n'observait pas le trafic. Les mouvements horaires d'aéronefs (départs, arrivées et survols) enregistrés à l'aéroport de Québec le 13 juin 2004 étaient les suivants : 9 mouvements entre 7 h et 8 h, 9 mouvements entre 8 h et 9 h et 15 mouvements entre 9 h et 10 h (7 entre 9 h et l'heure de l'incident). NAV CANADA évalue le trafic de chacune des plages horaires de 7 h, 8 h et 9 h comme étant faible.

Les procédures de contrôle de la circulation aérienne sont décrites dans le MANOPS ATC de NAV CANADA. Si le numéro d'un aéronef est 1 dans la séquence de départ, le contrôleur peut demander à cet aéronef de s'aligner sur la piste sans lui mentionner qu'il doit attendreNote de bas de page 2. Le pilote doit attendre en piste l'autorisation de décoller. Le MANOPS ATC ne fournit pas une définition de « numéro un au décollage » Dans cet événement, le contrôleur n'a pas demandé au Cessna 172 d'attendre après lui avoir demandé de s'aligner sur la piste 30. Il a considéré que le Cessna 172 était le numéro 1 dans la séquence de départ parce que l'Airbus A320 avait reçu l'autorisation de décoller.

Le contrôleur peut autoriser plusieurs aéronefs à circuler pour prendre position en vue de décoller sur des pistes sécantes :

Lors d'opérations de circulation au sol, le contrôleur doit recevoir un collationnement fidèle après avoir communiqué une instruction d'attente ou d'attente avant l'entrée sur une piste ou sur une voie de circulation à un aéronef ou à un véhiculeNote de bas de page 5. En ce sens, le paragraphe 4.2.5 de la section RAC (Règles de l'air et services de la circulation aérienne) de la Publication d'information aéronautique (A.I.P. Canada) précise que, pour améliorer la protection des aéronefs sur les pistes en service et prévenir les incursions sur piste, le pilote qui reçoit une autorisation de circuler au sol contenant les instructions « ATTENDEZ » ou « ATTENDEZ À L'ÉCART » doit accuser réception en collationnant l'instruction ou en répétant le point d'attente. Le MANOPS ATC ne mentionne pas explicitement l'exigence d'obtenir le collationnement d'une instruction de « circuler pour prendre position et attendre ».

L'enquête a permis d'identifier des similitudes entre la phraséologie utilisée par les contrôleurs du Canada et des États-Unis pour autoriser un aéronef à entrer sur une piste en vue d'attendre et la phraséologie de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) utilisée pour autoriser un aéronef à attendre à l'écart d'une piste (voir le tableau 1). Même s'il n'a pas été démontré que ce problème avait constitué un facteur contributif à cet événement, ces similitudes peuvent contribuer à la détérioration de la sécurité du système de transport aérien. Au Canada et aux États-Unis, l'utilisation du mot « position » est associée à une position sur une piste, alors que ce même mot est utilisé dans la phraséologie de l'OACI pour désigner une position d'attente à l'écart d'une piste.

Les équipages nord-américains qui volent dans des parties du monde où la phraséologie de l'OACI est utilisée peuvent confondre l'expression « circulez jusqu'à la position d'attente » et « circulez pour prendre position ». Une telle confusion peut faire qu'un équipage roule sur une piste en service, alors qu'il a été autorisé à rouler jusqu'à un point situé à l'écart de cette piste. Dans une lettre en date du 25 avril 2003, l'OACI mentionnait qu'un équipage de conduite provenant d'un pays qui ne connaissait pas la phraséologie de l'OACI avait confondu « CIRCULEZ JUSQU'À LA POSITION D'ATTENTE » et « CIRCULEZ POUR PRENDRE POSITION ET ATTENDEZ », et qu'il s'était par conséquent aligné sur la piste. Ces similitudes dans la phraséologie peuvent avoir des conséquences catastrophiques.

Tableau 1. Phraséologie utilisée par différents organismes
Attendre à l'écart de la piste Circuler sur la piste
OACI Circulez jusqu'à la position d'attente Alignez-vous [et attendez] *
Canada Attendez à l'écart de la piste xx Circulez pour prendre position [et attendez] *
États-Unis Attendez à l'écart de la piste xx Prenez position et attendez
*Remarque : Le texte entre [crochets] est facultatif

Le contrôleur doit espacer un aéronef au départ d'un aéronef utilisant une piste qui croise cette dernière ou une autre piste si leurs trajectoires de vol se croisent, en s'assurant que l'aéronef au départ ne commence pas sa course au décollage avant que l'aéronef au départ qui le précède ait franchi l'intersection, traversé la piste de décollage ou effectué un virage pour éviter tout conflitNote de bas de page 6.

Quelques mois avant l'incident, des problèmes techniques avaient amené NAV CANADA à modifier deux fois la fréquence air de la tour de Québec. Les contrôleurs avaient alors remarqué qu'à l'occasion, un bruit parasite de courte durée perturbait momentanément les fréquences de la tour. Toutefois, cette anomalie n'avait ni été signalée au service technique ni été consignée dans un registre de défectuosités, comme elle aurait dû l'être. La vérification des radios de la tour après l'incident n'a révélé aucune défectuosité. Il a également été établi que la désactivation de l'émetteur air n'avait eu aucune incidence sur la réception de la fréquence sol.

L'examen de la bande ATC a révélé que, dans les 15 minutes qui ont précédé l'incident et pendant les 5 minutes qui ont suivi, 62 des 136 communications effectuées sur les fréquences air et sol l'avaient été par le contrôleur. Selon une application stricte des normes du MANOPS ATC, on a découvert un grand nombre d'écarts par rapport à la phraséologie normalisée, notamment omission d'identifier la station, séquence inexacte des renseignements communiqués, omission d'information, mauvais indicatif d'appel lors d'une autorisation de décollage ainsi que phraséologie et terminologie incorrectes pour annuler l'autorisation de décollage de l'Airbus A320 et du Cessna 172.

L'aéroport de Québec est un aéroport contrôlé qui possède deux pistes : la piste 06/24 qui mesure 9000 pieds de longueur sur 150 pieds de largeur, et la piste 12/30 qui mesure 5700 pieds de longueur sur 150 pieds de largeur. Les pistes se croisent à 5800 pieds du seuil de la piste 24 et à 4300 pieds du seuil de la piste 30. Parce que les installations aéroportuaires se situent entre les deux pistes, un pilote qui se trouve sur la piste 24 ne peut voir le seuil de la piste 30 que lorsque son appareil est à environ 2900 pieds du seuil de la piste 24.

La tour de contrôle se trouve à l'est de l'intersection des pistes. Au moment de l'incident, le surveillant était assis au poste air 1; la piste 24 lui faisait face et était entièrement visible. À la gauche du contrôleur, les consoles de travail obstruent en partie la piste 30 quand le contrôleur est assis. Pour observer le seuil jusqu'à la voie de circulation Bravo, le contrôleur doit se lever légèrement. À la suite de l'évaluation de l'unité en juin 2004, NAV CANADA avait conclu que les contrôleurs étaient en mesure de voir toutes les voies de circulation, toutes les pistes et toutes les approches de piste sans devoir se lever ou quitter leur poste de surveillance air-sol principal.

En juin 2003, Transports Canada avait effectué une vérification des services de la circulation aérienne à la tour de Québec. Transports Canada avait observé que plusieurs rapports de contrôle des aptitudes en communications opérationnelles ne comportaient aucun commentaire décrivant la qualité de la phraséologie. De plus, l'équipe de vérification avait noté que la banque de questions et les tests de vérification des connaissances pour le programme de maintien des compétences contenaient très peu de questions cruciales comparativement au nombre de questions ordinaires. Transports Canada avait conclu que la tour de Québec se conformait aux normes établies. Un plan correctif proposé par NAV CANADA visant à corriger les lacunes non liées à la sécurité mentionnées précédemment avait été accepté par Transports Canada.

Lors d'une révision de la tour de Québec effectuée du 14 au 18 juin 2004, NAV CANADA avait cerné entre autres les lacunes suivantes :

Une note de service de NAV CANADA en date du 24 août 2004 indique que toutes les lacunes constatées avaient été corrigées ou étaient en voie de l'être.

L'enquête a permis de constater qu'à la tour de Québec, il y avait des lacunes relativement aux normes d'exploitation et que des contrôleurs connaissaient mal le système radio et certaines procédures du MANOPS ATC :

Selon la réglementation en vigueurNote de bas de page 7, NAV CANADA doit signaler toute dérogation au Règlement de l'aviation canadien (RAC) consécutive à l'utilisation d'un aéronef. Toutefois, l'enquête a établi que la tour de Québec ne signalait pas tous les décollages sans autorisation. La politique et les directives de NAV CANADA exigent que tous les événements aéronautiques soient signalés. Les raisons évoquées pour ne pas signaler ce type d'événement sont :

On a consulté la base de données du Système de compte rendu quotidien des événements de l'aviation civile (CADORS) de Transports Canada afin d'établir la fréquence des décollages sans autorisation au Canada. L'information du CADORS est de nature sommaire et est, en général, non validée. Pendant les cinq années qui ont précédé l'incident, on a signalé le nombre suivant de décollages sans autorisation :

Aucun événement de décollage sans autorisation n'a été signalé à l'aéroport de Québec pendant cette période de cinq ans.

Analyse

L'incident s'est produit de jour par bonne visibilité, à un moment où le trafic aéroportuaire était léger. La décision du pilote du Cessna 172 de décoller après avoir eu pour consigne de s'aligner sur la piste et la façon d'appliquer les procédures de contrôle ainsi que les procédures administratives de la tour de Québec ont joué un rôle important dans le risque de collision.

Étant donné que le contrôleur communiquait à la fois sur les fréquences sol et air avant le décollage de l'Airbus A320, les pilotes de chacun des appareils étaient en mesure d'entendre les communications adressées à l'autre appareil. En réalité, l'Airbus A320 ignorait que le Cessna 172 se trouvait sur la piste 30, et le Cessna 172 n'était pas au courant que l'Airbus A320 avait été autorisé à décoller de la piste 24. Comme le commandant de bord de l'Airbus et le pilote du Cessna 172 étaient bilingues, l'utilisation à la fois de l'anglais et du français par l'ATC n'a pas contribué à leur manque de conscience de la situation. Ils étaient soit inattentifs aux communications externes, soit préoccupés par les tâches de pilotage. Quoiqu'il en soit, même s'il avait su que le Cessna 172 se trouvait sur la piste 30, le pilote de l'Airbus A320 ne pouvait pas prévoir le décollage inopiné du Cessna 172. Pour sa part, le pilote du Cessna 172 n'aurait pas décollé s'il avait su qu'un autre avion avait été autorisé à décoller de la piste sécante. Le fait que le pilote du Cessna 172 a cru que l'instruction d'alignement constituait en soi une autorisation de décoller laisse croire qu'il connaissait mal les procédures ATC. Il semble que la formation théorique et pratique qu'il avait reçue lors de la délivrance de sa première licence de pilote privé et la formation de perfectionnement qu'il avait reçue par la suite n'ont pas suffi à corriger sa mauvaise compréhension de ce que signifie l'instruction d'alignement.

Comme le contrôleur en service lors de l'événement, certains contrôleurs estiment que le numéro deux dans la séquence de départ devient le numéro un dès que l'appareil qui le précède est autorisé à décoller. D'autres contrôleurs croient qu'un appareil demeure le numéro un jusqu'à ce qu'il ait terminé son décollage. Par conséquent, un manque de cohérence existe entre les contrôleurs lors de l'assignation de numéros au départ. Parce que le MANOPS ATC n'explique pas clairement à quel moment un aéronef devient le numéro un dans la séquence de départ, un appareil, sans même avoir reçu un numéro, peut se retrouver sur une piste en même temps qu'un autre appareil décolle d'une piste sécante. Dans cet incident, la conscience de la situation du pilote du Cessna a probablement été réduite, et sa perspective erronée selon laquelle on s'attendait à ce qu'il poursuive en décollant immédiatement a été renforcée. Si on avait prévenu le pilote du Cessna qu'il était numéro deux dans la séquence de départ, il est raisonnable de croire qu'il aurait attendu de recevoir une autorisation avant de décoller.

Après avoir autorisé le Cessna 172 à s'aligner sur la piste 30, le contrôleur devait attendre que l'Airbus A320 franchisse l'intersection des pistes avant d'autoriser le Cessna 172 à décoller. Pour cette raison, le Cessna 172 était le numéro deux dans la séquence de décollage, puisqu'il devait attendre en position sur la piste. Dans ces circonstances, le contrôleur devait s'assurer que le Cessna 172 ne commence pas sa course au décollage avant que l'Airbus A320 ait franchi l'intersection des deux pistes. Le contrôleur aurait dû aviser le Cessna 172 qu'il était numéro deux au départ, derrière un Airbus A320 qui décollait de la piste 24, et il aurait pu ordonner au Cessna 172 de s'aligner et d'attendre; le Cessna 172 aurait normalement accusé réception en collationnant la restriction. Ainsi, selon toute vraisemblance, le Cessna 172 n'aurait .probablement pas décollé sans autorisation. Par ailleurs, comme l'enquête l'a établi, certains contrôleurs n'auraient pas demandé le collationnement de l'instruction « ATTENDEZ », se privant en partie de la certitude que le pilote avait bien compris l'instruction d'attente.

La distinction entre les instructions « ALIGNEZ-VOUS » et « ALIGNEZ-VOUS ET ATTENDEZ » réside en ce que la deuxième instruction exige que le contrôleur informe le pilote de la raison de l'attente. L'instruction « ALIGNEZ-VOUS » réduit donc la charge de travail relative aux communications entre le pilote et le contrôleur, et elle peut augmenter l'efficacité opérationnelle. Néanmoins, après avoir reçu l'instruction « ALIGNEZ-VOUS », le pilote doit attendre l'autorisation de décollage une fois aligné sur la piste. En fait, « ALIGNEZ-VOUS » sous-entend « ET ATTENDEZ » si l'autorisation de décollage n'est pas immédiatement communiquée. Puisque l'instruction « ALIGNEZ-VOUS » suggère d'attendre sans l'exprimer clairement, il est possible qu'un pilote, pour une raison donnée, n'attende pas et décolle sans autorisation, créant une situation dangereuse.

Selon la procédure en vigueur, dans le cas où il n'y aurait qu'un appareil, le contrôleur pourrait demander à celui-ci de s'aligner sans préciser d'attendre même si un véhicule était sur la piste. Dans cette hypothèse, la redondance qu'offre l'instruction d'attendre est perdue, et un pilote pourrait inopinément décoller. Il est raisonnable de conclure que l'instruction « ALIGNEZ-VOUS » ne fournit pas le même niveau de sécurité nécessaire à la protection des aéronefs sur les pistes que l'instruction « ALIGNEZ-VOUS ET ATTENDEZ ».

L'examen des radios de la tour de contrôle a permis d'établir que les problèmes de communication entre la tour et le Cessna n'étaient pas attribuables à l'équipement de communication de la tour. Pour tenter de régler le problème, le contrôleur a désactivé la fréquence air, ce qui n'a eu aucun effet sur la qualité de la réception de la fréquence sol. Lorsqu'une défectuosité radio est soupçonnée, le contrôleur peut activer soit un récepteur d'urgence, soit un émetteur d'urgence, soit les deux à la fois. La mesure prise par le contrôleur indique qu'il connaissait mal le système radio installé dans la tour et les procédures s'y rattachant. Sur ce point, l'enquête a également révélé que certains contrôleurs de la tour de Québec possédaient une connaissance insuffisante ou inexacte du fonctionnement de la console radio.

Lorsque le contrôleur s'est aperçu que le Cessna 172 avait décollé sans autorisation, il a immédiatement tenté de communiquer avec le vol ACA513 d'abord, puis avec le Cessna 172. Comme le contrôleur avait désactivé la fonction d'émission, les appareils ne pouvaient pas recevoir ses instructions. Le stress généré par la soudaineté de l'événement a sûrement diminué l'efficacité du contrôleur à répondre correctement à la situation d'urgence. Il est possible que l'absence de simulation de situations d'urgence et de pannes d'équipement dans le cadre d'une formation continue ait contribué à son incapacité de résoudre le problème auquel il était confronté. C'est la vigilance du commandant de bord de l'Airbus A320 et sa gestion efficace d'une situation d'urgence qui ont permis d'éviter que la situation ne s'aggrave.

Aucun décollage sans autorisation n'a été signalé à l'aéroport de Québec depuis les cinq dernières années au moins. L'enquête a permis d'établir qu'en fait, des incidents où il y avait eu décollage sans autorisation étaient survenus, mais qu'ils n'avaient pas été signalés. Il semble que certains contrôleurs et certains pilotes ne comprennent pas qu'il est crucial de signaler scrupuleusement tout incident et toute erreur dans le système afin de mesurer l'efficacité des programmes de sécurité aéronautique, y compris ceux qui mesurent les risques de collision. Les vérifications de la tour de Québec auxquelles ont procédé NAV CANADA et Transports Canada n'ont pas permis de déceler cette lacune.

Bien que le surveillant possédait l'autorité de regrouper les postes de contrôle et d'autoriser les pauses des contrôleurs, sa gestion de l'horaire de travail a contribué à cet incident. Les effectifs dont on disposait (y compris le surveillant) étaient suffisants pour que les deux postes de contrôle soient exploités séparément. Si le poste sol n'avait pas été regroupé avec le poste air, le contrôleur n'aurait pas désactivé le bouton d'émission de la fréquence air pour tenter de régler un problème qu'il croyait dû à des parasites entre la fréquence de l'aéroport et la fréquence sol de contrôle. Il est fort probable que l'intervention de l'aéroport ou du contrôleur sol pour empêcher le Cessna de poursuivre sa course au décollage aurait été un succès.

Une disparité importante existe entre le nombre d'erreurs de phraséologie relevées lors de l'évaluation du surveillant par l'évaluateur de NAV CANADA et le nombre d'erreurs de phraséologie relevées par le BST. En étudiant la phraséologie de la bande ATC de l'événement, on a retrouvé beaucoup d'erreurs du même type que celles non notées par l'évaluateur de NAV CANADA. Il faut toutefois préciser que ces erreurs n'ont pas contribué directement à l'incident. Néanmoins, cette disparité peut laisser croire que :

Bien que les erreurs notées par rapport à la phraséologie normalisée soient mineures, elles dénotent un certain relâchement qui pourrait éventuellement nuire à une bonne communication de l'information. Il semble que le programme d'évaluation du rendement ne permette pas à chaque contrôleur de maintenir ses compétences et ses connaissances à jour et de les utiliser en fonction des normes prescrites.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Le Cessna 172 a décollé sans autorisation de la piste 30, entraînant un risque de collision avec l'Airbus A320.
  2. Le contrôleur a donné pour consigne au Cessna 172 de s'aligner sur la piste 30 sans lui demander d'attendre et sans lui signaler que l'Airbus A320 décollait de la piste 24. Le contrôleur n'a pas anticipé la possibilité que le Cessna 172 décolle sans autorisation, ce qui a causé un risque de collision avec l'Airbus A320.
  3. Vu que le contrôleur avait désactivé le bouton d'émission de la fréquence air, ni l'Airbus A320 ni le Cessna 172 ne pouvaient entendre les consignes du contrôleur concernant l'interruption du décollage.

Faits établis quant aux risques

  1. Le Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne (MANOPS ATC) ne définit pas clairement les critères de numérotation des appareils dans la séquence de départ.
  2. Certains contrôleurs de la tour de Québec comprenaient mal certaines fonctions de la console radio.
  3. Le libellé de la phraséologie qu'utilisent le Canada et les États-Unis pour autoriser un aéronef à entrer sur une piste ressemble à celui de la phraséologie qu'utilise l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) pour placer un aéronef en attente à l'écart d'une piste. Cette ressemblance peut engendrer une interprétation erronée de la part des équipages et avoir des conséquences catastrophiques.

Autres faits établis

  1. L'absence de simulation de situations d'urgence et de pannes d'équipement dans le cadre d'une formation continue a contribué au fait que le contrôleur a été incapable de résoudre le problème auquel il était confronté.
  2. L'examen par le BST des évaluations de NAV CANADA a révélé que la division responsable des évaluations de NAV CANADA ne s'était pas rendu compte que certains contrôleurs ne respectaient pas les pratiques et les procédures normalisées.

Mesures de sécurité

NAV CANADA a mentionné que les mesures de sécurité suivantes avaient été prises depuis cet incident :

  1. Au cours de la dernière année, des améliorations ont été apportées en matière de vérification des compétences individuelles à la tour de Québec. D'après les principales fonctions opérationnelles conformes à l'analyse des tâches de l'unité, les observations relatives à l'application des compétences opérationnelles doivent durer au moins quatre heures. Toute anomalie jugée critique entraîne un retrait des fonctions opérationnelles suivi, au besoin, d'une formation de recyclage. Les activités liées à la surveillance de l'application des compétences opérationnelles en communication ont également été renforcées, et les résultats sont mathématiquement calculés conformément à une grille basée sur les erreurs décelées et sur la gravité relative de chacune de ces erreurs. Dans tous les cas où des contrôleurs ne respectent pas les normes de l'unité, on leur retire leurs fonctions opérationnelles et on leur donne, au besoin, une formation corrective.
  2. À la suite d'une évaluation de l'unité du bureau principal de NAV CANADA, le gestionnaire de la tour de Québec a publié le bulletin d'exploitation numéro 04 40, en date du 15 juillet 2004, pour décrire les résultats de la récente évaluation du bureau principal concernant les anomalies identifiées dans la phraséologie. De plus, on a demandé aux surveillants de la tour de contrôle d'accroître leur surveillance et de procéder à des interventions directes lorsqu'ils constatent que les contrôleurs ne se conforment pas à la phraséologie approuvée. On a également demandé aux surveillants d'être plus rigoureux dans l'évaluation des compétences en communication, et on a mis en œuvre une grille pour faciliter l'évaluation du rendement individuel en la matière ainsi que l'établissement de mesures correctives, au besoin.
  3. Grâce aux récentes modifications mises en œuvre relativement au processus de déclaration en matière d'enquêtes sur la sécurité de l'exploitation concernant l'utilisation du personnel, NAV CANADA évaluera plus en détail les processus de prise de décision des surveillants des opérations et mettra en œuvre des modifications, au besoin.
  4. NAV CANADA a entrepris une réécriture majeure du cours de formation de base sur le vol selon les règles de vol à vue (VFR) de l'ATC donné à son installation de formation et il a mis en œuvre le nouveau programme de ce cours en juin 2004. Les procédures d'urgence sont enseignées dans le cadre d'activités en classe avec instructeur au cours desquelles la phraséologie connexe est utilisée. On enseigne en classe les situations de non-conformité auxquelles un pilote peut être confronté, et on s'y exerce dans le cadre de nombreux exercices sur le simulateur dynamique d'aéroport de 360 degrés pendant toute la durée du cours.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .