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Rapport d'enquête maritime M91L3012

Talonnage
«IRVING NORDIC»
Fleuve Saint-Laurent
dans le voisinage de Grondines (Québec)
Le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Vers 8 h 28 le 8 mai 1991, le pétrolier canadien «IRVING NORDIC», qui descendait le fleuve Saint-Laurent avec un chargement de pétrole à son bord, a talonné la bordure au nord du chenal de navigation, en aval du quai de Grondines. Le navire a quitté le chenal durant le jour, par bonne visibilité. Le «IRVING NORDIC» a subi d'importantes avaries au fond, mais personne n'a été blessé. On a observé une pollution mineure après que le navire fut arrivé à Québec (Québec), mais la fuite a été contenue.

Le Bureau a déterminé que le «IRVING NORDIC» a touché le fond parce que le navire a quitté le chenal à la suite d'un changement de cap prématuré.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Nom du navire «IRVING NORDIC»
Numéro officiel 369846
Port d'immatriculation Saint John (Nouveau-Brunswick)
Pavillon Canadien
Type Pétrolier
Jauge brute 7 745 tonneauxNote de bas de page 1
Longueur 132,26 m
Largeur 20,5 m
Tirant d'eau av.Note de bas de page 2 : 7,40 m
ar. : 7,36 m
Construction 1980, Saint John (Nouveau-Brunswick)
Groupe propulseur Moteur diesel de 7 504 BHP (5 520 kW) entraînant une seule hélice à pas variable
Propriétaires Kent Line Limitée, Saint John (Nouveau-Brunswick)

1.1.1 Renseignements sur le navire

Le «IRVING NORDIC» est un pétrolier à coque simple de construction classique dont la passerelle, les emmémagements et la machinerie sont situés à l'arrière.

1.2 Déroulement du voyage

Le matin du 8 mai 1991, le «IRVING NORDIC» descendait le fleuve Saint-Laurent. Il avait appareillé de Sarnia (Ontario) à destination de Norfolk (Virginie) avec un chargement de 10 970 tonnes (t) d'huile lourde. Il y avait eu changement de pilote à Trois-Rivières (Québec), à 6 h 30Note de bas de page 3, et le pilote qui avait la conduite du navire naviguait par repères visuels. Le navire filait une vitesse fond moyenne de 15,7 noeuds (kn). Il n'y avait pas d'autres navires dans les parages.

À 8 h 24, le navire se trouvait au point d'appel au large du quai de Grondines, l'alignement lumineux de Calvaire sur l'arrière, et était sur un cap au 055° Gyro (G). Le pilote a avisé les Services du trafic maritime (STM) de Montréal et de Québec qu'il passait le point d'appel de Grondines et a donné aux STM de Québec une heure prévue d'arrivée (HPA) au prochain point d'appel. L'officer de quart a, à ce moment-là, pris les renseignements de l'écran radar et s'est rendu à la table des cartes pour pointer la position du navire. Après avoir complété son rapport aux STM, soit vers 8 h 26, le pilote a ordonné un changement de cap au 042° (G). Le timonier a répété et exécuté l'ordre.

Le timonier a pu maintenir ce nouveau cap pendant un court moment avant de constater qu'il fallait mettre la barre à gauche toute afin de maintenir le cap. Le «IRVING NORDIC» s'étant alors mis à vibrer, l'officier de quart est revenu rapidement vers l'avant de la timonerie avant d'avoir pointé la position du navire sur la carte. Le pilote, surpris du fait que l'indicateur d'angles de barre indiquait que la barre était à gauche toute et se rendant soudainement compte que le navire était trop à bâbord, a ordonné immédiatement au timonier de virer au 052° (G). Comme le cap du navire était alors déjà à tribord de 052°, le timonier a maintenu la barre à gauche toute.

Voyant que l'indicateur d'angles de barre demeurait à gauche toute, le pilote a supposé qu'il y avait panne de l'appareil à gouverner; il a donc ordonné à l'officier de quart de stopper immédiatement les machines et de mouiller les ancres pour stopper le navire le plus rapidement possible. L'officier de quart se dépêchait d'exécuter les ordres au moment où le capitaine est arrivé sur la passerelle, alerté par les mouvements inhabituels du navire. En réponse à la question du capitaine qui demandait s'il y avait eu une panne de la machine, le pilote a répondu qu'il croyait qu'il s'agissait d'une défectuosité de l'appareil à gouverner. Le capitaine a alors placé la commande-passerelle de la machine principale à en arrière toute. On a perdu de vue la bouée D4 qui, à l'arrivée du capitaine sur la passerelle, se trouvait à une centaine de mètres sur l'avant tribord. Apparemment, elle était passée sous le navire. Le «IRVING NORDIC» a poursuivi sa route vers l'avant, bien qu'en ralentissant son allure, jusqu'au moment où l'officier de quart a mouillé les deux ancres. Lorsque le «IRVING NORDIC» a été stoppé, il se trouvait à environ 600 m en aval de la bouée D4, et à nouveau dans le chenal. On croit que le navire avait touché le fond vers 8 h 28, à une position par environ 70° de la bouée D4 et à une distance de trois encablures de cette dernière.

À 8 h 38, le «IRVING NORDIC» a indiqué aux STM de Québec qu'il était mouillé au centre du chenal à cause d'une panne de l'appareil à gouverner. À 9 h 28, on a confirmé aux STM que le navire avait touché le fond et que le compartiment du propulseur d'étrave était inondé mais qu'il n'y avait pas de danger de pollution.

À 9 h 59, le «IRVING NORDIC» a quitté le mouillage en direction de Québec sans assistance et, à 13 h 44, il a été amarré au quai de la section 53 du port de Québec.

1.3 Victimes

Il n'y a eu aucune victime à la suite de cet événement.

1.4 Avaries et dommages

1.4.1 Avaries au navire

Les avaries au bordé extérieur du «IRVING NORDIC» étaient principalement du côté bâbord, où le bordé de carène était enfoncé et déformé de l'étrave jusqu'au milieu du navire, à l'arrondi du bouchain. Une partie de la quille de roulis bâbord a dû être remplacée; la citerne du coqueron avant, le compartiment du propulseur d'étrave de même que le cofferdam à l'avant des citernes à cargaison ont été perforés et envahis. La citerne à cargaison bâbord no 1 a également été perforée.

1.4.2 Dommages à l'environnement

Un hélicoptère de la Garde côtière canadienne (GCC) a escorté le «IRVING NORDIC» jusqu'au port de Québec et aucun déversement de pétrole n'a été observé.

On a aperçu du pétrole qui s'échappait de la citerne no 1 au moment où le navire effectuait son approche au quai de la section 53 mais le déversement a été rapidement contenu en déployant une barrière de rétention. La quantité déversée a été évaluée à environ un baril. Des traces de pétrole ont aussi été signalées à la marina de Lévis, mais il n'a pas été possible de confirmer qu'il provenait du «IRVING NORDIC».

1.4.3 Autres dommages

Le 30 mai, la GCC a examiné la bouée D4 et a constaté qu'elle était légèrement bosselée au-dessus de la ligne de flottaison et que la peinture était écaillée à cet endroit. Cependant, aucun élément de preuve n'indique que ces dommages aient été causés par le «IRVING NORDIC».

1.5 Certificats et brevets

1.5.1 Certificats du navire

L'armement en personnel, les certificats de même que l'équipement du «IRVING NORDIC» étaient conformes aux règlements en vigueur.

1.5.2 Brevets du personnel

Les membres de l'équipage du «IRVING NORDIC» directement mis en cause dans l'événement à l'étude détenaient les brevets réglementaires et le pilote était titulaire du brevet approprié.

1.6 Antécédents du personnel

1.6.1 Capitaine

Le capitaine servait en qualité d'officier de quart depuis 1981 et de capitaine depuis un an. Il a navigué régulièrement sur le fleuve Saint-Laurent au cours de sa carrière. Il est embarqué à bord du «IRVING NORDIC» le 3 mai 1991 à Sarnia.

1.6.2 Officier de quart

L'officier de quart du «IRVING NORDIC» comptait huit ans de temps en mer, dont 10 mois en qualité d'officier de quart, pendant lesquels il a effectué 16 voyages sur le fleuve Saint-Laurent. Il était à bord du «IRVING NORDIC» depuis neuf semaines.

1.6.3 Pilote

Le pilote avait 11 ans d'expérience en qualité de pilote entre Québec et Trois-Rivières.

1.6.4 Timonier

Le timonier comptait 30 ans de temps en mer dont 14 ans d'expérience en qualité de timonier. Il est embarqué à bord du «IRVING NORDIC» en mars 1991.

1.7 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée

Le «IRVING NORDIC» a consigné les conditions météorologiques suivantes : ciel partiellement nuageux, très bonne visibilité et vents de l'ouest de 10 à 15 kn.

On prévoyait que la marée haute à Grondines à 4 h 35 atteindrait 2,7 m au-dessus du zéro des cartes. Un marégraphe installé au quai de Portneuf, à environ huit milles en aval de la bouée D4, indiquait un niveau d'eau de 2,3 m (7,4 pieds) au-dessus du zéro des cartes à 8 h 30. Les battures devaient donc être immergées jusqu'au rivage dans les environs de Grondines. La vitesse du courant de jusant était estimée à 3 ou 3.5 kn au moment de l'événement.

1.8 Équipement de navigation

1.8.1 Instruments de navigation

Le navire était muni d'instruments de navigation modernes qui étaient apparemment en bon état de fonctionnement. Le radar tribord et le sondeur à ultrasons étaient en marche.

La carte no 1314 du Service hydrographique du Canada (SHC) était utilisée. Cependant, la carte n'était pas corrigée selon la plus récente parution de la publication Avis aux navigateurs. La position du point d'appel de Grondines était erronée et les pylônes de même que la ligne à haute tension qui enjambe le fleuve à environ un mille en aval du lieu du talonnage n'étaient pas indiqués sur la carte.

1.8.2 Aides à la navigation

On a signalé que toutes les aides à la navigation du secteur étaient en position et fonctionnaient normalement au moment de l'événement.

Lorsque le navire a touché le fond, le pilote tentait de virer dans une partie du chenal où il n'y a pas d'alignement lumineux. Cette section du chenal débute à environ 1,3 mille en aval du quai de Grondines et s'étend sur 1,1 mille, soit de la bouée D4 à la bouée Q84. La plus récente parution de la publication Instructions nautiques du SHC mentionne que «L'alignement, au relèvement 42°, de l'arrête du cap Lauzon et le versant droit du mont Triquet, montagne proéminente au nord de Québec, conduit dans la section du chenal ...» mais fait la mise en garde suivante : «Cet amer n'est visible que par temps clair.» L'événement à l'étude est survenu par temps clair.

Les bouées D4 et Q84 sont des amers bâbord pour les navires descendants. La bouée «Grondines A» marque un mouillage du côté tribord, sur le côté du chenal, et le feu de la pointe Langlois, qui est doté de signaux de jour fluorescents de couleur orange, marque la rive.

Toutefois, les pylônes de la ligne à haute tension qui enjambe le fleuve en aval de la bouée Q84 à environ un mille du lieu de l'événement sont des amers beaucoup plus visibles et remarquables. Les deux tours sont situées sur des îles artificielles, à 125 m à l'extérieur du chenal large de 800 m, et sont marquées par des feux stroboscopiques. La ligne à haute tension a été construite en 1990, mais il ne s'agissait que d'une solution temporaire avant l'installation d'un câble sous-marin.

1.9 Communications radio

Les communications radio ont été effectuées par le pilote.

1.10 Équipement d'urgence

Une barrière de rétention se trouvant à bord du «IRVING NORDIC» a été déployée pour contenir la faible quantité de pétrole qui s'était échappée tandis que le navire était amarré à Québec.

1.11 Conduite du «IRVING NORDIC»

Le capitaine étant sur un pont inférieur, trois personnes se trouvaient sur la passerelle : le pilote, l'officier de quart et le timonier. Le pilote avait la conduite du navire, l'officier de quart suivait la progression du navire et le timonier gouvernait le navire manuellement.

L'officier de quart pointait régulièrement sur la carte la position radar du navire et notait les heures. Il allait pointer la position du navire à 8 h 24, lorsque le talonnage s'est produit.

Le pilote a déclaré que le changement de cap au 042° (G) avait été ordonné alors que le navire se trouvait près de la ligne centrale du chenal, le cap Lauzon et une montagne, qu'il a identifiée comme étant le mont Bélair, alignés et légèrement à bâbord. Le feu de la pointe Langlois était alors sur l'avant, par le travers tribord. Le pilote n'a pas vérifié la position relative des bouées et des autres amers après le changement de cap, ce qui lui aurait permis de constater qu'il avait changé de cap prématurément.

De plus, le timonier n'a pas dit au pilote ni à l'officier de quart qu'il éprouvait de la difficulté à contrôler la barre du navire après avoir changé le cap au 042°. Lorsque le pilote a constaté que le navire avait dévié de sa route initiale vers bâbord et qu'il a ordonné au timonier d'effectuer un changement de cap au 052° (G), celui-ci n'a pas avisé le pilote ni l'officier de quart que le navire se trouvait déjà à tribord du cap et que la barre était à gauche toute. Le pilote n'a pas posé de questions au timonier et a conclu que l'appareil à gouverner était défectueux. Le pilote a soutenu tout au long de l'enquête qu'une défectuosité de l'appareil à gouverner avait fait dévier le navire à l'extérieur du chenal.

1.12 Procédures de pilotage

Des pilotes du fleuve Saint-Laurent ont déclaré qu'ils utilisent habituellement des amers terrestres familiers lorsqu'ils naviguent par repères visuels. Ils utilisent rarement des bouées ou des amers temporaires, car, souvent, ces aides manquent ou ne sont pas en position durant l'hiver. Le plus important amer que les pilotes utilisent dans le secteur de l'événement à l'étude est l'alignement du cap Lauzon avec le versant droit du mont Triquet.

1.13 Appareil à gouverner

L'appareil à gouverner du «IRVING NORDIC» est de type électro-hydraulique. Il comprend deux groupes moteurs, contrôlés par l'un ou l'autre des deux dispositifs de commande indépendants. Au moment de l'événement, les deux groupes moteurs de l'appareil à gouverner étaient en marche, comme c'est l'habitude en eaux restreintes, et celui-ci était commandé à l'aide du dispositif de commande bâbord. Lorsqu'on a cru que l'appareil à gouverner était défectueux, aucune tentative n'a été faite dans le but de le commander à partir du dispositif de commande tribord. Averti que l'appareil à gouverner était défectueux, le mécanicien de quart s'est rendu au compartiment de l'appareil à gouverner. Il a observé le gouvernail se déplacer de la position à gauche toute vers le milieu du navire; apparemment, il fonctionnait normalement. Une fois le navire au mouillage, soit immédiatement après l'événement, la barre a été testée en position à droite toute puis à gauche toute. On a alors constaté qu'elle fonctionnait normalement. Le lendemain, un spécialiste d'une firme d'entretien a vérifié l'appareil à gouverner et n'a rien constaté qui aurait pu causer une panne. Les alarmes visuelles et sonores, que l'on retrouve sur la passerelle et dans la salle des machines, fonctionnaient normalement. Aucune alarme n'a été vue ou entendue au moment de la présumée panne de l'appareil à gouverner, ni sur la passerelle ni dans la salle des machines.

2.0 Analyse

2.1 Le changement de cap

Le pilote a donné l'ordre de changer de cap parce qu'il croyait que le navire était arrivé à la position du changement de cap au large de la bouée D4, à environ 1,3 mille en aval du point d'appel au large du quai de Grondines. Le navire qui filait presque 16 kn aurait dû mettre environ cinq minutes pour parcourir cette distance. Cependant, l'ordre du changement de cap vers bâbord a dû être donné peu de temps après que le navire eût passé le point d'appel de Grondines puisque, à son arrivée sur la passerelle, le capitaine a vu la bouée D4 à quelque 100 m légèrement sur l'avant tribord. De plus, l'officier de quart a obtenu les renseignements radars lorsque le navire a passé le point d'appel de Grondines, puis il s'est rendu à la table des cartes pour pointer la position du navire mais le navire s'est mis à vibrer avant qu'il n'ait eu le temps de le faire. Ceci porte à croire que l'ordre de changement de cap a été donné prématurément. Vu l'expérience que le pilote avait du secteur, il semble plausible que l'obligation de calculer l'HPA et de faire les rapports réglementaires aux STM ait détourné son attention des tâches nécessaires à la navigation. Toutefois, la raison exacte de cet état de fait n'a pas pu être établie.2.2 Identification de la prématurité du changement de cap

Si des méthodes de navigation appropriées avaient été en place et si on avait eu recours à tous les amers disponibles après le changement de cap au 042° (G), il serait devenu évident que le «IRVING NORDIC» se trouvait sur le mauvais cap. Par exemple, la bouée D4 aurait dû se trouver sur l'avant bâbord, mais elle était légèrement sur l'avant tribord. Le pylône de la ligne à haute tension, qui aurait également dû se trouver sur bâbord, était sur l'avant. De toute évidence, le pilote n'a pas vérifié ces amers après le changement de cap.

En tant que représentant du capitaine, l'officier de quart est responsable de la sécurité du navire de même que de la surveillance des gestes posés par le pilote. L'officier de quart a eu peu de chances de remédier à la situation. Bien qu'il suivait la progression du navire, il le faisait au moyen des positions du radar qui n'offrent pas la précision et ne laissent pas le temps de réaction nécessaires à la navigation dans un chenal étroit. Il avait une expérience limitée de la navigation sur le fleuve Saint-Laurent et devait se référer fréquemment à la carte en vue d'identifier les amers. La ligne à haute tension, qui est un excellent amer dans cette section du chenal, n'était pas indiquée sur la carte. Une fois le changement de cap à bâbord amorcé, on ne disposait que de moins de deux minutes pour relever l'erreur avant que le «IRVING NORDIC» ne touche le fond. Quand le navire a commencé à vibrer, indiquant des eaux peu profondes, l'officier de quart n'a donc pas eu le temps de prévoir de mesures correctives et il n'a eu d'autre choix que de suivre les directives du pilote et de mouiller les ancres.

2.3 Appareil à gouverner

On n'a constaté aucune anomalie au cours de la vérification de l'appareil à gouverner effectuée après l'événement. La conclusion du pilote qu'il y avait eu défectuosité de l'appareil à gouverner semble avoir été provoquée par une dérogation au bon usage maritime.

Lorsque le pilote a donné l'ordre de changer le cap au 042° (G), le timonier a correctement répété l'ordre du pilote avant de le mettre à exécution. Il n'a toutefois pas avisé le pilote qu'il éprouvait de la difficulté à maintenir le nouveau cap et il ne l'a pas non plus avisé du cap du navire lorsque le second changement de cap a été ordonné.

Le pilote n'a pas demandé au timonier la position de la barre et n'a donc pas bien saisi la vraie nature du problème. Sa conclusion qu'il s'agissait d'une défectuosité de l'appareil à gouverner se basait probablement sur des hypothèses inexactes.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis

  1. Le «IRVING NORDIC» a quitté le chenal de navigation entre le point d'appel au large du quai de Grondines et la bouée D4 puis a touché le fond.
  2. Le changement de cap vers l'extérieur du chenal a fait suite à un ordre du pilote qui croyait que le navire se trouvait plus en aval qu'il ne l'était en réalité.
  3. Le pilote n'a pas vérifié la position relative des bouées et des autres amers après le changement de cap.
  4. Le timonier n'a pas avisé le pilote qu'il éprouvait de la difficulté à maintenir le cap du navire.
  5. Le pilote n'a pas posé de questions au timonier sur la position de la barre par rapport à l'indicateur d'angles de barre.
  6. Lorsque le pilote s'est rendu compte que le navire était à bâbord de sa route, il était trop tard pour empêcher le navire de quitter le chenal.
  7. Le pilote a donné l'ordre du changement de cap correctif parce qu'il ne se rendait pas compte que le cap du navire était déjà à tribord du cap demandé; la barre est donc demeurée à gauche toute.
  8. Le pilote a présumé qu'il y avait eu une défectuosité de l'appareil à gouverner.
  9. L'appareil à gouverner fonctionnait normalement avant et après l'événement; des tests n'ont révélé aucune indication de défectuosité.
  10. La méthode qu'utilisait l'officier de quart pour suivre la progression du navire n'était pas assez précise pour empêcher cet événement de se produire.

3.2 Causes

Le «IRVING NORDIC» a touché le fond parce que le navire a quitté le chenal à la suite d'un changement de cap prématuré.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Système de positionnement global (GPS)

Après cet événement, les propriétaires ont installé des récepteurs GPS à bord de tous les navires de leur flotte.

4.1.2 Cartes et publications

En 1991, après l'événement à l'étude, le BST a souligné à la Garde côtière canadienne (GCC) l'importance de la présence des plus récentes éditions des cartes marines à bord des navires.

4.1.3 Gestion des ressources sur la passerelle

Il s'agit, une fois de plus, d'un accident maritime attribuable à un manque de communication et de coordination entre le personnel à la passerelle et le pilote. Il n'y a pas eu suffisamment d'échange de renseignements concernant la navigation et les opérations (notamment le plan de pilotage) entre les officiers du navire et le pilote. Le manque de communication sur la passerelle, les procédures interrompues, l'incertitude quant à la situation, l'absence d'esprit d'équipe entre les pilotes et les officiers des navires, etc., ont contribué à plusieurs événements du même genre ces dernières années. Dans ses rapports concernant les échouements du navire-citerne pour produits chimiques norvégien «LAKE ANINA» à Montréal (Québec) (rapport no M90L3016 du BST), du transporteur de produits raffinés canadien «EASTERN SHELL» dans la baie Georgienne (Ontario) (rapport no M91C2008 du BST), du vraquier yougoslave «MALINSKA» sur le lac Ontario (rapport no M91C2009 du BST), et celui du porte-conteneurs suédois «CONCERT EXPRESS» à Halifax (Nouvelle-Écosse) (rapport no M92M4023 du BST), le Bureau a exprimé certaines inquiétudes concernant de sérieuses lacunes dans l'efficacité des méthodes actuelles de gestion des ressources sur la passerelle à bord des navires évoluant dans les eaux canadiennes. En raison de la fréquence de tels événements, le Bureau procède actuellement à une étude sur les rapports de travail entre les capitaines, les officiers de quart et les pilotes. À la lumière des conclusions de cette étude, le Bureau fera les recommandations qui s'imposent en vue d'améliorer l'efficacité des méthodes de gestion des ressources sur la passerelle à bord des navires conduits par des pilotes dans les eaux canadiennes.

4.2 Mesures à prendre

4.2.1 Planification de la route

Le pilote a ordonné le changement de cap prématurément, plaçant le nez du navire au nord du pylône nord de la ligne à haute tension. Un amer aussi visible aurait dû alerter le pilote et l'officier de quart et leur indiquer que le navire risquait de se retrouver hors de sa route. En outre, la bouée D4 se trouvait par l'avant tribord ce qui indiquait aussi que le navire n'était plus sur sa route. Cependant, cette erreur de cap est passée inaperçue du pilote et de l'officier de quart. Une telle erreur aurait pu être décelée si la route avait été bien planifiée et si la progression du navire avait été surveillée adéquatement. Dans des eaux restreintes, à l'intérieur d'une zone de pilotage obligatoire, l'établissement par le pilote d'un plan de route (plan de pilotage) contenant tous les renseignements de navigation importants comme les points de changement de cap, les points de manoeuvre de la barre, et les endroits où l'exactitude de l'établissement de la position est capitale, etc., pourrait réduire le risque de telles erreurs.

Environ deux mois après l'événement à l'étude, le vraquier canadien «HALIFAX» s'est échoué dans le même secteur, lui aussi à cause d'un changement de cap prématuré (événement no M91L3015 du BST).

Le Bureau estime qu'une surveillance étroite et constante de la progression du navire en fonction d'un plan de route pré-établi est essentielle à la conduite sûre du navire. La connaissance du plan de pilotage permettrait à l'officier de quart de surveiller efficacement les intentions du pilote, la route suivie et la progression du navire. À l'heure actuelle, les pilotes ne remettent que rarement des plans de pilotage au personnel du navire et les administrations de pilotage ne fournissent pas non plus de tels plans à leurs pilotes. Par conséquent, le Bureau recommande que :

Le ministère des Transports exige que les administrations de pilotage publient des plans de pilotage en bonne et due forme pour les eaux où le pilotage est obligatoire et mettent ces plans à la disposition des capitaines pour faciliter la surveillance du travail du pilote par l'équipe à la passerelle du navire.
Recommandation M94-34 du BST

4.3 Préoccupations liées à la sécurité

4.3.1 Aides à la navigation - Alignements lumineux

Le changement de cap prématuré du 058° au 042° (G) a été ordonné par le pilote à un endroit où il n'y a aucune marque ou feu d'alignement pour guider le navire sur la route qui se trouve approximativement au 044° (V). Sauf une montagne éloignée (mont Triquet) alignée avec le cap Lauzon (qu'on peut apercevoir seulement dans de bonnes conditions de visibilité), il n'y a, sur une distance de 1,3 mille, aucune marque d'alignement de jour ni feu d'alignement de nuit sur lequel on pourrait se guider dans cette partie du chenal et il n'y a pas de route recommandée sur la carte.

Lors de l'échouement du «HALIFAX» au même endroit par une nuit calme et claire, le pilote a pris le feu d'alignement arrière de Sainte-Emmélie pour le feu de la pointe Langlois. En outre, le 18 juin 1979, le vraquier «GOLDEN HIND» a talonné dans des circonstances similaires près de la bouée D4.

Le Bureau est préoccupé par l'absence de feux ou de marques d'alignement qui pourraient aider les pilotes à obtenir visuellement confirmation de leur route dans cette partie du fleuve Saint-Laurent. La publication et la diffusion de plans de route en bonne et due forme préconisées ci-dessus permettrait de régler partiellement ce problème, si ces plans étaient suffisamment détaillés.

4.3.2 Procédures de navigation

Les données recueillies au cours de la dernière décennie (1982-1991) indiquent que plus de 60 p. 100 des échouements et des talonnages dans les eaux canadiennes ont été attribuables, du moins en partie, à des procédures déficientes et à des méthodes de quart inadéquates.

Dans le cas du «IRVING NORDIC», le pilote n'a pas vérifié immédiatement la position relative des bouées et d'autres amers une fois le changement de cap effectué. La même chose s'est produite lors de l'échouement du «HALIFAX» en juillet 1991. Contrairement à des usages bien établis en navigation, certains pilotes ne procèdent pas toujours à une vérification systématique en fonction des amers disponibles ou ne vérifient pas la position du navire au radar avant et après les changements de cap en approchant du point d'appel de Saint-Charles-des- Grondines.

Le Bureau s'inquiète du fait qu'en dépit de la présence de pilotes et d'officiers compétents sur la passerelle, il s'est produit un grand nombre d'événements du même genre parce que des procédures de navigation bien établies n'ont pas été suivies. Les événements antérieurs n'ont pas permis au BST de mettre en évidence les facteurs expliquant ce non-respect de méthodes de navigation établies. Par conséquent, le Bureau se penchera de plus près sur ce point particulier dans son analyse des événements futurs en vue de faire des recommandations précises en matière de sécurité.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.

Annexes

Annexe A - Carte des lieux de l'événement

[en anglais seulement]
Carte des lieux de l'événement

Annexe B - Photographies

Annexe C - Sigles et abréviations

alignement
feux ou marques (terrestres) alignés pour indiquer le cap à gouverner
ar.
arrière
av.
avant
BHP
puissance au frein
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
compartiment de l'appareil à gouverner
Compartiment à l'arrière d'un navire, au-dessus du gouvernail, dans lequel se situent le moteur du gouvernail, le quadrant, etc.
coque simple
Construit de manière à ce que le bordé extérieur du navire soit la limite extérieure des compartiments à cargaison (pétrole); sans citerne.
encablure
un dixième d'un mille marin (185 m)
G
Gyro (degrés)
GCC
Garde côtière canadienne
GPS
système de positionnement global
HAE
heure avancée de l'est
HPA
heure prévue d'arrivée
kn
noeud(s) : mille(s) marin(s) à l'heure
kW
kilowatt(s)
m
mètre(s)
marégraphe
Appareil qui enregistre le mouvement du niveau d'eau causé par la marée.
OMI
Organisation maritime internationale
SHC
Service hydrographique du Canada
SI
système international (d'unités)
STM
Services du trafic maritime
t
tonne(s) métrique(s)
UTC
temps universel coordonné
zéro des cartes
Niveau de référence sous lequel la marée descend rarement et dont on se sert sur une carte.
°
degré(s)