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Rapport d'enquête maritime M99W0145

Échouement
du vraquier « MANDARIN ARROW »
Duncan Bay (Colombie-Britannique)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Durant la traversée entre Kitimat (C.-B.) et Duncan Bay (C.-B.), alors qu'il était sous la conduite d'un pilote côtier de Colombie-Britannique et qu'il s'approchait d'un quai dans la baie Duncan, avec l'assistance de deux remorqueurs, le vraquier Mandarin Arrow s'est échoué à environ 25 mètres du rivage. Le pilote a avisé les autorités pendant que le capitaine et l'équipage évaluaient les avaries. Environ 55 minutes plus tard, le navire a été remis à flot à la faveur de la marée montante et s'est amarré au quai sans autre incident. Le navire est resté à quai pendant qu'on procédait à des réparations temporaires. Personne n'a été blessé, et aucune pollution n'a été observée; toutefois, le Mandarin Arrow a subi des avaries considérables au bordé extérieur.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom « MANDARIN ARROW »
Numéro officiel 728077
Port d'immatriculation Nassau, Bahamas
Pavillon Bahamas
Type Vraquier
Jauge brute Note de bas de page 1 35 998 tonneaux
Longueur 199,7 m
Tirant d'eau Av. : 8,00 m
Ar. : 9,65 m
Cargaison produits forestiers et cendre de soude
Construction 1996, Dalian, Chine
Groupe propulseur Un moteur Diesel développant 11 520 kW et équipé d'une hélice à pas fixe
Équipage 21 personnes
Propriétaire(s) Kristian Gerhard Jebsen, Bergen, Norvège

Renseignements sur le navire

Le Mandarin Arrow est un cargo de marchandises diverses. Il est muni de 10 panneaux de chargement et de deux grues à portique mobiles. Un superstructure située dans la partie arrière du navire abrite la timonerie, la salle des machines et les emménagements. La superstructure se trouve à environ 170 m de la proue et à 30 m de la poupe du navire.

Dans la timonerie à aires ouvertes, le pupitre de barre est en retrait au milieu et la table à cartes se trouve derrière le pupitre de barre. Un répéteur de cap avec alidade à prisme se trouve sur chaque aileron de passerelle et un troisième est installé dans la timonerie dans l'axe longitudinal, sur la cloison avant. Deux radars et deux pupitres équipés de diverses commandes sont placés près de la cloison avant. Un radar est monté à gauche, et le second radar ainsi que le poste de commande des machines se trouvent à droite du répéteur de cap de la timonerie.

L'horloge, le loch et le tachymètre du navire sont montés sur la cloison avant, devant le pupitre de barre. L'indicateur d'angle de barre est placé au plafond, devant la colonne de la barre et est visible de toutes les positions à l'intérieur et à l'extérieur de la timonerie.

Le Mandarin Arrow est propulsé par une machine principale réversible entraînant une hélice à pas fixe qui tourne vers la droite. Les machines peuvent être commandées de la salle de commande des machines ou directement de la timonerie, ou à partir d'un des ailerons de passerelle. Au moment de l'accident, la manoeuvre était dirigée de la timonerie.

Le navire est équipé d'un propulseur d'étrave dont la puissance au frein est de 2 040 HP, ainsi que d'un gouvernail Schilling; ce gouvernail, quand il est braqué à fond, produit le même effet qu'un propulseur latéral arrière. Il semble que l'équipe à la passerelle manoeuvrait à l'aide de ces deux dispositifs avant et pendant l'accident.

Description des lieux

La baie est un plan d'eau du détroit de Johnstone qui se trouve à environ quatre milles au sud de la passe Seymour. Elle est bordée par l'île de Vancouver à l'ouest et s'ouvre sur le nord-est. À Duncan Bay est établie une grosse usine de pâtes et papiers qui est propriétaire de trois quais dont elle assure l'exploitation : un quai de manutention de pâte, un quai de manutention de papier et une installation de chargement de chalands. Le quai de manutention de pâte, auquel le Mandarin Arrow était assigné, mesure 152 m de longueur et s'avance dans la baie à un angle de 15 degrés vrais (°V), presque parallèlement à la rive; un poteau d'amarrage se trouve à son extrémité nord (l'annexe A).

Déroulement du voyage

À 2 h le 16 août 1999, le Mandarin Arrow appareille de Kitimat. Ses cales à cargaison ne sont pas pleines. Son port en lourd est de 28 685 tonnes. Son déplacement total est de 43 510 tonnes. Avec à son bord deux pilotes côtiers de la Colombie-Britannique (C.-B.), le navire se rend à Duncan Bay. Le trajet longeant la côte de C.-B. se déroule sans incident. Les pilotes assurent tour à tour la conduite du navire pendant que le capitaine et l'équipage vaquent à leurs occupations normales.

Un peu après 4 h le 17 août, le navire s'engage dans la passe Seymour. Après avoir dépassé Race Point à 4 h 36, le pilote commence à naviguer à vitesse réduite pour ne pas arriver aux abords du mouillage avant 6 h (les préposés aux amarres n'étant pas disponibles avant cette heure). Le timonier gouverne le navire manuellement; le capitaine et l'officier de quart (OQ) se trouvent également dans la timonerie.

Comme il ne reste que quelque deux milles et demi à parcourir, on réduit la vitesse considérablement et on arrête parfois les machines. L'équipe à la passerelle se sert du propulseur d'étrave pour conserver la capacité de gouverne à cette faible vitesse. Cette tâche est assurée par l'OQ tandis que le capitaine surveille l'équipe à la passerelle et les manoeuvres du navire. Pendant que le navire avance à vitesse réduite, il reste à l'ouest de l'axe du quai, et le pilote observe que le courant de marée, qui commence à remonter, porte légèrement au sud-ouest.

À 5 h 20, deux remorqueurs, le Regent et le Seymour Crown, viennent aider le Mandarin Arrow pendant son approche finale vers le quai de manutention de pâte. Ni le Regent ni le Seymour Crown ne sont des remorqueurs conçus pour l'amarrage des navires. Ils exécutent cette tâche quand ils sont disponibles et quand ils ne sont pas affectés à d'autres fonctions de remorquage. Selon l'information recueillie, le pilote reçoit d'un des remorqueurs des informations selon lesquelles le courant portant en direction de l'extrémité extérieure du quai n'est pas très fort. Le pilote ordonne au Seymour Crown de se placer contre la hanche bâbord du navire, puis il ordonne au Regent de rester en attente sur tribord avant et d'attendre les ordres. Les deux remorqueurs doivent être prêts à pousser. L'équipe reçoit l'ordre de dériver pour mettre l'ancre tribord en pendant et de laisser les apparaux de mouillage en prise. Le capitaine considère que ces deux ordres sont des mesures de précaution habituelles.

Quand le Mandarin Arrow se trouve à environ quatre encablures du poteau d'amarrage, sur un cap au 120 °V environ, le pilote commence à faire éviter le navire sur tribord en direction du mouillage. Au même moment, le courant commence à pousser le navire vers le sud.

Une fois le Mandarin Arrow presque parallèle au quai avec sa partie avant à environ 100 m du poteau d'amarrage, le pilote essaie d'empêcher le navire d'éviter, mais le navire continue d'éviter sur tribord. Simultanément, le navire se déporte rapidement vers le haut-fond rocheux situé sur sa gauche. La coque semble pivoter dans le sens des aiguilles d'une montre autour de la partie avant du navire. Le pilote ordonne au remorqueur en attente de se placer contre la hanche bâbord et ordonne aux deux remorqueurs de pousser contre le flanc bâbord du navire. On règle le propulseur d'étrave à la puissance maximale de façon qu'il pousse l'avant vers tribord, et on mouille l'ancre tribord en laissant filer environ 25 m de chaîne.

En utilisant la poussée vers l'avant de l'hélice, on met la barre à gauche toute pour empêcher le navire d'éviter et pour éloigner la partie arrière du navire de la zone de danger. Constatant que ces mesures n'ont aucun effet, le capitaine et le pilote décident d'interrompre l'approche et de déplacer le navire en faisant marche arrière. Après avoir mis la machine en marche arrière, on fait tourner la machine à 51 tours/min pour augmenter le régime graduellement jusqu'à 85 tours/min pendant deux minutes. Toutefois, avant que le navire commence à faire marche arrière, il abat pour venir sur un cap au 268 °V environ; il talonne puis évite de nouveau et s'immobilise sur un cap au 233 °V.

Immédiatement après l'échouement, le pilote avise les autorités et ordonne qu'on envoie un autre remorqueur sur les lieux de l'échouement. Le capitaine et l'équipage commencent à évaluer les avaries et à prendre des mesures de limitation de la pollution. On vérifie toutes les citernes et les fonds de cale. On établit que le navire a talonné du côté bâbord de la coque, près des cales nos 2 et 3.

Vers 5 h 52, le troisième remorqueur arrive sur les lieux de l'échouement. Une fois le pompage du lest liquide terminé, on remet le navire à flot à 6 h 30 à la faveur de la marée montante. L'accostage se déroule sans incident et, à 7 h 42, le Mandarin Arrow s'amarre bâbord à quai, au quai de manutention de pâte.

Enregistreur de cap, journal de bord et compas

La corrélation entre les données de l'enregistreur de cap et celles du gyrocompas montre que de 4 h 38 à 5 h 20, le navire a suivi un cap au 150 °V environ. De 5 h 20 à 5 h 24, il a viré à bâbord jusqu'à ce qu'il vienne sur un cap au 128 °V, puis, il a abattu momentanément sur tribord. Vers 5 h 36, le cap a atteint les 268 °V. Par la suite, le navire a abattu de nouveau sur bâbord jusqu'à ce que son cap se stabilise au 233 °V à 5 h 40, et ce pendant quelque 55 minutes, pendant que le navire était échoué.

Le journal de bord du navire indique les mouvements suivants des machines :

Le journal de la passerelle fait état des entrées pertinentes suivantes :

Avaries

Peu de temps après l'accostage du navire, une équipe de plongeurs, des experts et des représentants des propriétaires ont entrepris l'évaluation des avaries, et une vidéo sous-marine a été tournée. On a constaté que le bordé de fond était enfoncé le long des ballasts latéraux nos 1, 2 et 3 du côté bâbord, que la quille de roulis bâbord avait été tordue, que la virure de bouchain entre les couples 162 et 163 avait été brisée et qu'il y avait des cailloux dans la fissure.

À la demande de la Sécurité maritime de Transports Canada et des experts de la société de classification, des réparations temporaires ont été exécutées pendant le chargement du navire au quai de manutention de pâte. L'avarie la plus grave, soit la fissure de la citerne no 3, a été réparée provisoirement au moyen d'un ciment extérieur. Le 18 août à 10 h 48, le Mandarin Arrow a appareillé en direction de Nanaimo (C.-B.). Le 19 août, il est parti de Nanaimo et est arrivé à Vancouver, où les réparations ont été achevées, à savoir le soudage à l'intérieur de la citerne no 3 d'un caisson d'acier couvrant la fissure. Une fois les travaux de réparation terminés, le navire a obtenu un certificat de navigabilité et a appareillé le 23 août vers sa destination en Europe.

Personne n'a été blessé; aucune pollution n'a été observée.

Brevets et certificats

Certificats du navire

Au moment de l'accident, les certificats du navire étaient tous valides. Un certificat de sécurité de navire de charge a été délivré par le Det Norske Veritas à Oslo, Norvège, le 20 novembre 1998. La dernière inspection par l'État du port a été faite en Chine le 5 avril 1999 et n'a révélé aucune anomalie. La dernière mise en cale sèche du navire a eu lieu en avril 1999 à Ulsan, en Corée.

Brevets du personnel du navire

Le capitaine du Mandarin Arrow était titulaire d'un certificat de capacité de capitaine au long cours, qui avait été délivré au Royaume-Uni en 1979 et renouvelé en 1998. Il comptait 30 ans de service en mer à bord de navires de charge variés affectés au commerce international, dont 18 ans à titre de capitaine. Depuis 1991, il travaillait comme capitaine pour le compte des propriétaires du Mandarin Arrow. Au cours des trois années qui ont précédé l'accident, il a été capitaine du navire Mandarin Arrow à raison de périodes successives de quatre mois de service et de quatre mois de congé.

Le premier lieutenant était de service dans la timonerie au moment de l'accident. Il était titulaire d'un brevet de capitaine au long cours délivré à Manille le 4 novembre 1998. Il comptait environ 13 ans de service en mer, dont trois ans environ à titre de premier lieutenant.

Les deux autres officiers de pont sur le Mandarin Arrow étaient titulaires des certificats de compétence appropriés.

Renseignements sur le pilote

Le pilote détenait un brevet canadien de capitaine au long cours délivré en 1982, ainsi qu'un brevet de pilote de classe 1, délivré en 1996. Il avait suivi tous les cours de perfectionnement exigés : aide radar au pointage automatique (ARPA); radar; fonctions d'urgence en mer (FUM); et manoeuvre des navires. En 1995, il totalisait quelque 28 ans de service en mer effectués à bord de différents remorqueurs canadiens et de navires de la Garde côtière. À partir de 1995, il a piloté divers navires de charge sur la plupart des voies navigable de la côte de la C.-B., dont plusieurs traversées à destination et au départ de Duncan Bay. En juin 1997, il a suivi un cours de gestion des ressources à la passerelle. Avant de devenir pilote, il avait exploité pendant quelques années une flottille de bâtiments usines à partir de Brown Bay (à six milles au nord) et naviguait régulièrement dans la baie Duncan.

La fatigue

Le Mandarin Arrow est arrivé à Kitimat le 11 août à 2 h 14 et a appareillé le 16 août à 2 h. Après le départ, les officiers qui assuraient le quart à bord du Mandarin Arrow se sont acquittés de leurs fonctions normales à bord.

Pendant les cinq jours au port, le capitaine a eu le temps de se reposer. Après le départ de Kitimat, à cause d'un brouillard intermittent, il a dû venir sur la passerelle à plusieurs reprises tout en s'acquittant de ses autres fonctions. Il a dormi de 4 h à 7 h le 16 août, et de nouveau de 13 h à 15 h. Il a été sur la passerelle de 19 h à 20 h 30. Il s'est reposé de nouveau de 20 h 30 à 22 h. Après 22 h, il est resté sur la passerelle jusqu'à l'arrivée à Duncan Bay au matin du 17 août; il a donc pris 6 heures et demie de sommeil pendant les 28 heures qui ont suivi le départ de Kitimat.

Même si le rythme circadien du capitaine a été perturbé, et même si l'accident est survenu (à 5 h 40) moins de huit heures après sa dernière période de repos, le nombre d'heures de sommeil que le capitaine a pris dans les dernières 72 heures ne donne pas à penser qu'il ait manqué de sommeil.

Pendant la traversée, les deux pilotes se sont partagé également les tâches de pilotage, chacun se reposant quand il n'avait pas la conduite du navire.

Les conditions météorologiques et les courants

Pendant la traversée entre Kitimat et Duncan Bay, le temps était nuageux et il y avait des bancs de brouillard occasionnels. Pendant l'approche vers le mouillage, un vent léger soufflait, la mer était calme et la visibilité était très bonne.

La baie est sujette à des marées mixtes de grande amplitude qui génèrent de forts courants réversibles. Les Instructions nautiques canadiennes pour la portion sud de la côte de la C.-B. donnent l'avertissement suivant aux navigateurs :

[TRADUCTION] La prudence s'impose le long de la côte, aux endroits où l'amplitude des marées est considérable (. . .) Des flèches sur les cartes indiquent la direction habituelle ou moyenne du courant de marée. Il ne faut jamais supposer que la direction du courant indiquée par la flèche ne variera pas.

Un document portant sur l'océanographie de la côte de C.-B. intitulé Oceanography of the British Columbia Coast Note de bas de page 2 stipule que le détroit de Johnstone est :

[TRADUCTION] ...caractérisé par des courants de marée vifs et rectilignes. Près des seuils peu profonds et dans les passes resserrées, les courants de surface sont accélérés encore davantage et deviennent analogues à des jets turbulents généralement associés à des laisses de marée quasi permanentes qui correspondent à des changements rapides dans la vitesse et la direction des courants.

Quant à la passe Seymour, la même publication stipule ce qui suit :

[TRADUCTION] ...illustrer la force maximale que les courants de marée peuvent atteindre dans les océans du monde et démontrer les dangers qu'ils représentent pour la navigation...

La publication ajoute que les eaux voisines de la passe et celles qui sont au sud de celle-ci sont affectées spécialement par les courants de marée.

Les cartes du Service hydrographique du Canada (SHC) utilisées à bord du Mandarin Arrow, SHC 3539 et SHC 3540, montrent des flèches qui définissent les courants de flux et de reflux (voir l'annexe A). Une flèche figure un peu au nord du quai de manutention de pâte de Duncan Bay. Elle montre que le courant de reflux porte à l'est. Il n'y a pas de flèche correspondante pour indiquer le sens du courant de flux dans les parages du quai, et ce même si tous les autres moyens de référence indiquant les courants de marée sont indiqués deux par deux.

D'après les Tables des marées et courants du Canada, volume 6, la marée était montante dans la baie au moment de l'accident, la marée basse étant prévue pour 4 h 35, et la marée haute pour 10 h 32 (voir l'annexe B). Cela donne à penser que la marée commençait à monter; toutefois, d'après l'information obtenue auprès du SHC, le débit du courant dans le passage Discovery dépend de la différence du niveau d'eau entre le détroit de Georgia et le détroit de Johnstone. La relation entre le niveau d'eau de la baie Duncan et le courant du passage Discovery est complexe et imprévisible; on ne peut pas utiliser l'état de l'un pour déduire l'état de l'autre.

La Direction de l'ingénierie géomatique du SHC surveille et analyse les marées et les courants des eaux canadiennes. Au sujet de la baie Duncan, elle précise que la période de transition entre le reflux et le flux peut entraîner de fortes variations pendant l'établissement des nouveaux courants. Les flèches indiquées sur les cartes ne sont fidèles qu'une fois le courant de flux ou de reflux bien établi. L'absence de flèches ne correspond pas nécessairement à une absence de courants significatifs.

L'Administration de pilotage du Pacifique (APP) a reconnu que les courants peuvent causer des difficultés aux grands navires de haute mer qui accostent dans la baie Duncan. Le 24 septembre 1993, l'APP a émis une note de service à l'intention des agents maritimes et des pilotes côtiers, dans laquelle elle recommandait, en raison de la nature extrême et imprévisible des courants, que la puissance accessoire disponible pour accoster dans la baie Duncan soit 50 p. 100 plus grande que la puissance nécessaire normalement pour accoster et pour appareiller à cet endroit. Il existe une simple règle qui consiste à prendre au minimum 5 p. 100 du port en lourd correspondant à la ligne de charge d'été et à le convertir en puissance (en HP). Donc, la note de service de l'APP recommande que le chiffre correspondant à la puissance accessoire pour la baie Duncan soit de 7,5 p. 100 du port en lourd correspondant à la ligne de charge d'été du navire.

Le port en lourd correspondant à la ligne de charge d'été du Mandarin Arrow est de 51 733 tonnes. Le Regent et le Seymour Crown ont respectivement une puissance au frein de 1 050 et de 730 HP; le propulseur d'étrave du navire a une puissance au frein nominale de 2 040 HP. Donc, la puissance combinée des remorqueurs et du propulseur d'étrave était de 3 820 HP, soit quelque 7,4 p. 100 du port en lourd correspondant à la ligne de charge d'été du navire.

Incidents précédents

Lors de l'accostage dans la baie Duncan en août 1994, le Star Evanger s'est brusquement déporté vers l'est et a heurté le quai de manutention de pâte, causant des dommages considérables. L'enquête du BST sur cet accident a révélé qu'un courant sous-marin avait agi sur le navire et l'avait fait se déplacer de côté. Note de bas de page 3

Depuis 1974, on a consigné 22 cas où des navires de haute mer ont heurté un quai pendant qu'ils accostaient dans la baie Duncan. Au moment de chacun de ces heurts violents, et de l'échouement du Mandarin Arrow, le navire a évité ou s'est déporté subitement pendant qu'il manoeuvrait, en raison des courants. (On estime que le vent a joué un rôle à seulement deux occasions.) Lors de ces accidents, le courant était variable au moment où le navire a été touché par une augmentation subite du courant; dans l'ensemble, ces accidents ne montrent pas de tendance continue dans la direction du courant qui pourrait être liée à la marée dans la baie Duncan ou à la puissance connue des courants dans les eaux environnantes.

Analyse

Le nombre de fois où un grand navire a eu beaucoup de difficultés à accoster dans la baie Duncan vient corroborer les avertissements publiés dans les Instructions nautiques, voulant que les courants dans ce secteur sont parfois imprévisibles et puissants. Quand le Mandarin Arrow approchait du quai de manutention de pâte, la marée commençait à monter. Un des remorqueurs a signalé que le courant n'était pas particulièrement fort près du quai; pourtant, quelques minutes plus tard, le Mandarin Arrow 'est déporté rapidement sur le côté.

Il faudrait une force très grande pour déplacer latéralement un navire comme le Mandarin Arrow. Le déplacement total du Mandarin Arrow est de 43 510 tonnes, et comme il n'y avait pas de vent et qu'il n'y avait aucun courant de surface apparent quelques minutes auparavant, la force en question a été attribuée à une augmentation subite du courant de surface et/ou à la présence d'un courant sous-marin qui n'a pas eu de répercussions sur les remorqueurs, ceux-ci ayant un tirant d'eau inférieur.

L'enquête du BST sur le heurt violent du Star Evanger contre le quai de manutention de pâte a établi qu'un courant sous-marin avait sans doute contribué à l'accident. L'APP a reconnu la nature imprévisible des courants dans la baie Duncan, et leur effet sur les navires qui manoeuvrent, et a déterminé que la puissance accessoire totale disponible pour accoster dans la baie Duncan devrait être supérieure à la puissance disponible normale. La détermination du niveau recommandé de puissance accessoire fait appel à un calcul plutôt imprécis que chacun fait en fonction de son expérience. Comme les cales à cargaison du Mandarin Arrow n'étaient pas pleines, la puissance accessoire disponible (7,4 p. 100 du port en lourd correspondant à la ligne de charge d'été) correspondait aux critères relatifs à la puissance suffisante pour faire accoster le navire en toute sécurité.

Toutefois, du fait que les remorqueurs n'étaient pas reliés au navire par des amarres, la puissance disponible se limitait à celle du propulseur d'étrave et à celle d'un remorqueur (qui poussait le navire). La puissance combinée du propulseur d'étrave et du remorqueur appuyé contre le flanc bâbord n'était que de 2 770 HP, soit 5,3 p. 100 du port en lourd correspondant à la ligne de charge d'été. En outre, les deux remorqueurs n'étaient pas conçus pour l'amarrage des navires, qui est une des raisons pour lesquelles le pilote n'a pas relié les remorqueurs au Mandarin Arrow.

Quand le Mandarin Arrow a commencé à se déporter vers la rive, le pilote a ordonné au remorqueur de passer du côté tribord au côté bâbord. Comme le remorqueur n'était pas relié au navire, c'était la seule façon dont il pouvait utiliser la puissance de ce remorqueur pour compenser le courant de marée. Le remorqueur a exécuté l'ordre qu'on lui avait donné mais il a perdu du temps à contourner la partie arrière du Mandarin Arrow. Si une amarre reliée au navire avait été attachée à la partie avant du remorqueur, celui-ci aurait peut-être pu commencer à tirer le Mandarin Arrow presque immédiatement (si on lui avait demandé) après que l'équipe à la passerelle eut remarqué le mouvement intempestif du navire.

Les autres mesures prises par l'équipe à la passerelle, c'est-à-dire l'utilisation du propulseur d'étrave, de l'ancre tribord, de la machine principale et du gouvernail, étaient des mesures convenables dans les circonstances. Les remorqueurs et le propulseur d'étrave étaient censés empêcher le courant d'emporter le navire et devaient éloigner le navire de la zone de danger. L'utilisation de la machine principale en marche avant et le fait qu'on a mis le gouvernail Schilling (très efficace) à gauche toute ont sans aucun doute produit une force de giration opposée au sens du courant.

Par la suite, le capitaine et le pilote ont modifié leur ordre initial et ont décidé de renverser le pas de l'hélice pour interrompre l'approche. Au moment où l'hélice a commencé à tourner en sens inverse, le navire était sur un cap au 240 °V environ et il abattait sur bâbord après être venu sur un cap au 268 °V. Même si on ne peut pas affirmer avec certitude que la poussée vers l'avant avec la barre à gauche toute aurait empêché le navire de s'échouer, il reste que la tentative d'interruption de l'approche à cette étape n'aurait pas pu donner les résultats escomptés. Au moment de cette tentative d'interruption, le flanc bâbord du navire était probablement à environ 25 m du haut-fond et le navire s'en rapprochait de plus en plus.

Le Mandarin Arrow s'est échoué, et on a arrêté les machines à 5 h 40 min 57. Les machines avaient tourné en marche arrière pendant environ deux minutes, et à pleine puissance, seulement pendant quelque temps. Même si le navire n'avait eu aucun mouvement vers l'avant, il aurait fallu plus de temps pour que la poussée exercée par l'hélice vers l'arrière parvienne à déplacer la masse du navire vers l'arrière. Pendant ce temps, la poussée latérale continuait de s'exercer contre le navire, lequel s'est rapproché du haut-fond rocheux plus vite que la propulsion en marche arrière ne parvenait à l'en éloigner. De plus, l'hélice à pas à droite, du fait qu'elle tournait en sens inverse, produisait sur la partie arrière du navire une poussée latérale vers bâbord qui a accentué le mouvement latéral existant.

Les ordres donnés immédiatement après l'accident et les mesures prises par l'équipage et les autorités étaient appropriés dans les circonstances. Dans le cadre de son évaluation des conditions d'accostage dans la baie Duncan, l'APP a étudié cet accident ainsi que 22 accidents similaires. Par la suite, l'APP a présenté plusieurs recommandations qui, si elles sont mises en oeuvre, sont susceptibles d'améliorer les conditions d'accostage dans la baie Duncan.

Faits établis

  1. Alors qu'il approchait d'un mouillage dans la baie Duncan, le Mandarin Arrow s'est échoué quand un courant l'a subitement déporté à l'est et à l'extérieur de la trajectoire prévue.
  2. Par le passé, les courants ont causé des difficultés au moment de l'accostage dans la baie Duncan.
  3. Les courants dans les parages de la baie Duncan ne présentent pas de tendances qui pourraient permettre de les prédire avec exactitude.
  4. En 1993, l'APP a recommandé que les navires qui accostent dans la baie Duncan disposent d'une puissance accessoire 50 p. 100 plus grande que celle dont on a normalement besoin pour l'accostage et l'appareillage dans d'autres circonstances.
  5. Les remorqueurs qui assistaient le Mandarin Arrow n'étaient pas conçus pour l'amarrage des navires et ils étaient employés uniquement comme pousseurs.
  6. La manoeuvre d'interruption de l'approche a commencé trop tard pour donner les résultats escomptés, à savoir éloigner le navire de la zone de danger.
  7. Le bordé extérieur du Mandarin Arrow a subi des avaries importantes.

Causes et facteurs contributifs

Le navire s'est échoué après s'être déporté brusquement vers un haut-fond. Facteurs contributifs : les courants de marée étaient imprévisibles; les manoeuvres visant à éloigner le navire de la zone de danger ont été prises trop tard pour donner les résultats escomptés; les remorqueurs appelés sur les lieux n'étaient pas conçus pour aider à faire accoster un navire de cette taille.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité à prises

En octobre 1999, le Comité de sécurité et d'examen des opérations de l'APP a réévalué la question des difficultés liées à l'accostage dans la baie Duncan et a recommandé :

De plus, l'APP souligne l'importance d'appliquer les principes de gestion des ressources à la passerelle et rappelle à ses pilotes de s'assurer que les capitaines sont informés de la trajectoire d'approche prévue et du plan d'interruption de l'approche, le cas échéant. En outre, l'APP fait savoir que l'information mise à la disposition des pilotes devrait être partagée avec les compagnies de transport maritime, de sorte qu'avant d'entreprendre une traversée, le personnel de navigation soit informé des circonstances spéciales qui pourraient influer sur la traversée.

En mars 2000, on a terminé la simulation portant sur la baie Duncan, et l'on a commencé la formation des chefs pilotes et des apprentis pilotes dans le simulateur de mission complète du Star Centre, à Dania, Floride (É.-U.).

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A— Croquis du secteur de l'accident

Annexe B— Calculs des marées

Annexe C— Photographies

Les remorqueurs poussent contre le flanc bâbord du Mandarin Arrow le 17 août 1999, peu après l'échouement.
Les remorqueurs poussent contre le flanc bâbord du Mandarin Arrow le 17 août 1999, peu après l'échouement
La silhouette montre la position approximative du Mandarin Arrow au moment de l'échouement.
La silhouette montre la position approximative du Mandarin Arrow au moment de l'échouement