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Rapport d'enquête aéronautique M16C0016

Heurt d'un bloc de glace et envahissement par les eaux subséquent
Navire de pêche Saputi
Détroit de Davis (Nunavut)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 21 février 2016, le Saputi, avec 30 personnes à bord, effectuait une sortie de pêche au turbot dans le détroit de Davis, 167 milles marins à l'est-nord-est de l'île Resolution (Nunavut) et 220 milles marins à l'ouest-sud-ouest de Nuuk (Groenland). À 19 h 35, heure normale de l'Atlantique, le navire a heurté un bloc de glace qui a perforé son bordé extérieur de tribord à l'extrémité avant de la cale à marchandises. Les opérations de pompage n'ayant pas permis de contrer l'infiltration d'eau, on a scellé la cale à marchandises avant qu'elle ne soit finalement envahie par les eaux. Gîtant fortement sur bâbord, le navire s'est néanmoins rendu par ses propres moyens jusqu'à Nuuk (Groenland) où il est arrivé le 24 février. Aucun blessé n'a été signalé.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Tableau 1. Fiche technique du navire
Nom du navire Saputi
Numéro de l'Organisation maritime internationale (OMI) 8516809
Port d'immatriculation Iqaluit (Nunavut)
Pavillon Canadien
Type Navire de pêche, chalutier-usine congélateur à rampe arrière
Jauge brute 2634
Longueur 67,1 m
Largeur 13 m
Classe (cote glace comprise)  1A1 ICE-1C – Chalutier à rampe arrière
Tirant d'eau au moment de l'événement (estimation) Avant : 4,7 m
Arrière : 7,1 m
Construction 1987, Langsten Slip & Båtbyggeri AS (Danemark)
Allongement 2012, PTS Ltd., Szczecin (Pologne)
Propulsion 1 moteur diesel (3043 kW) entraînant une hélice à pas variable
Cargaison 306 tonnes de poisson congelé sous emballage (soit 121 tonnes de crevettes et 185 tonnes de turbot)
Équipage 30
Propriétaire enregistré Qikiqtaaluk Fisheries Corporation, Iqaluit (Nunavut)
Gestionnaire Nataaqnaq Fisheries Inc., St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)

1.2 Description du navire

Le Saputi est un chalutier-usine congélateur à rampe arrière en acier dont la passerelle de navigation et les quartiers de l'équipage se trouvent à l'avant du milieu du navire (figure 1). L'espace machines, situé à l'arrière, a une cloison commune avec la cale réfrigérée de 1290 m³, dont la température est maintenue à −34 °C au moyen d'un système de refroidissement à l'ammoniac. L'installation de transformation du poisson est située au-dessus de la cale à marchandises et de la partie avant de l'espace machines. Sous le pont principal, le navire est subdivisé en 5 compartiments par 4 cloisons transversales étanches (annexe A). Le navire est également équipé d'un propulseur d'étrave muni d'une hélice à pas variable.

Figure 1. Navire de pêche Saputi (Source : Nataaqnaq Fisheries)
Navire de pêche aputi

La passerelle est dotée du matériel de navigation requis, dont des radars à longueur d'onde de 3 et 10 cm, ainsi que de 2 projecteurs montés en hauteur. Le navire comprend aussi une caméra thermique pour détecter les glaces, mais elle était hors service au moment de l'événement.

La pompe de cale du navire, qui se trouve dans la salle des machines, a un débit de 42 m³/h et une hauteur de refoulement de 20 m. À côté de la pompe de cale se trouve une pompe de ballast de débit identique; l'une comme l'autre est utilisable dans le système d'assèchement. Au moyen d'un collecteur, il est possible de raccorder l'une ou l'autre pompe à 2 prises d'aspiration distinctes situées respectivement aux extrémités avant et arrière de la cale à marchandises, et ce, à tribord de l'axe longitudinal. Les tuyaux d'aspiration relient le collecteur à un puisard situé sous le pont de la cale à marchandises dans lequel l'eau s'écoule par une ouverture de 53 cm sur 61 cm ménagée dans ledit pont. Cette ouverture est entièrement recouverte d'une crépine métallique dont les perforations ont 6 mm de diamètre. À ces pompes de cale et de ballast s'ajoutent 2 pompes submersibles électriques auxiliaires. La première a un débit de 300 l/min (18 m³/h) et, selon la fiche technique du fabricant, peut pomper des solides d'un diamètre maximal de 38 mm. La seconde a un débit de 270 l/min (16,2 m³/h) et, selon la fiche technique du fabricant, peut pomper des solides d'un diamètre maximal de 35 mm.

Tout en étant conformes aux prescriptions réglementairesNote de bas de page 1, les pompes de cale à bord du Saputi n'étaient pas conçues pour maîtriser d'importants volumes d'eau de mer indépendamment les unes des autres.

1.2.1 Construction du navire

Le Saputi a été construit en 1987 sous la surveillance de Det Norske Veritas (DNV) et la cote qui lui a été octroyée, soit  1A1 ICE-1C – Chalutier à rampe arrière, a été dûment maintenue. Cette cote certifie que le navire peut être exploité dans les chenaux ouverts par des brise-glaces et dans les eaux libres où l'on prévoit des conditions glacielles légères et des petits floes d'une épaisseur de 0,4 m. On considère que ces règles sont conformes à la réglementation canadienneNote de bas de page 2 sur les navires de type D.

Pour octroyer la cote ICE-1C, navire renforcé contre les glaces, DNV requiert que ce dernier soit pourvu d'un bordé extérieur en acier de résistance normale de grade NV ANote de bas de page 3. L'épaisseur de ce bordé peut différer en fonction de sa position sur la coque. La zone de bordé renforcé du Saputi (partie de la coque située au-dessus et au-dessous de la ligne de flottaison susceptible d'être percutée par les glaces) fait 30 mm d'épaisseur. Pour ce qui concerne les coques renforcées contre les glaces comme celle du Saputi, les règles DNV définissent également le gabarit et l'espacement optimaux des raidisseurs pour en améliorer la résistance aux forces générées par un choc contre la glace.

Le dernier contrôle par ultrasons du bordé extérieur du navire avait été effectué avant l'événement à l'étude, soit en avril 2015 à Szczecin (Pologne). À cette occasion, aucune diminution de l'épaisseur du bordé installé d'origine n'a été constatée.

1.2.2 Exploitation du navire

Le Saputi est exploité principalement pour la pêche à la crevette et au turbot en eaux canadiennes dans une zone qui s'étend de la côte est de Terre-Neuve-et-Labrador au détroit de Davis. Au moment de l'événement à l'étude, le navire pêchait dans la division 0B de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO) [annexe B]. Le navire est gréé pour remorquer 2 chaluts simultanément (annexe C). À cet effet, il est équipé de 3 funes; les 2 funes extérieures sont maillées sur les panneaux de chalut et la fune centrale passe par une poulie suspendue sur l'axe longitudinal au-dessus de la rampe à la poupe du navire, jusqu'au lest centralNote de bas de page 4, lequel est fixé à l'intérieur des ailes des 2 chaluts.

Pour filer (mettre à l'eau) les chaluts, le navire doit avancer à une vitesse de 4,9 à 5,4 nœuds puis relâcher les chaluts, les panneaux et le lest central par l'arrière; on file ensuite les 3 funes jusqu'à la longueur voulue en fonction de la profondeur à atteindre, puis on maintient cette longueur en serrant le frein des treuils; on réduit alors la vitesse de trait de pêche du navire de 2,9 à 3,1 nœuds. Les chaluts ou les panneaux s'accrocheraient au fond si l'allure était réduite.

1.3 Déroulement du voyage

Le 29 janvier 2016, le Saputi a quitté Bay Roberts (Terre-Neuve-et-Labrador) et couru au nord-est pour pêcher la crevette dans la zone de pêche 6 (annexe D). Le 5 février, le navire a mis le cap au nord vers le détroit de Davis pour pêcher le turbot dans la division 0BNote de bas de page 5 de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO). Le 7 février, une fois arrivé sur les lieux de pêche à l'est de l'île de Baffin, le navire a commencé la pêche au turbot le long de la lisière de glaces.

Le 21 février, à 18 h 30Note de bas de page 6, le capitaine, seul sur la passerelle, a commencé à filer les chaluts, le navire filait 5 nœuds vers le sud-est. À cette heure, au crépuscule sous la pleine lune, la visibilité était bonne. Les 2 projecteurs étaient allumés, ainsi que les 2 radars.

À 18 h 40, le capitaine a remarqué au radar la présence d'un bloc de glace isolé par le bossoir de bâbordNote de bas de page 7 à une distance de 3 milles marins (nm), ce qu'il a vérifié visuellement. On a estimé que ce bloc de glace faisait 5 m de longueur, 4 m dans sa partie la plus large et qu'il émergeait de 0,5 m. Il semblait composé de plusieurs morceaux de glace agglomérés et dérivait vers le sud-sud-est.

Environ 15 minutes plus tard, le capitaine a commencé le touage, réduisant l'allure du navire à 3 nœuds et maintenant le cap au sud-est.

Le navire approchait du bloc de glace, qui, pour le capitaine, ne présentait alors aucun danger. À 19 h 30, le capitaine est lentement venu sur bâbord pour maintenir la route prévue le long de la courbe bathymétrique et pour éviter le bloc de glace en le laissant à tribord.

En virant, le navire a gîté sur bâbord en raison de la force exercée sur les funesNote de bas de page 8. À 19 h 35, le bloc de glace était par le travers tribord à 5 m du navire. Ce dernier gîtait toujours sur bâbord par suite du virage. Une houle du sud-est a soulevé le navire et, en retombant, ce dernier a percuté le bloc de glace. Le choc a produit un claquement détonant et fait vibrer le navire. De l'aileron de passerelle tribord, où il s'était rendu, le capitaine a vu flotter plusieurs morceaux de glace plus petits que le bloc initial qui s'éloignaient du navire; aucun ne lui ayant paru préoccupant, le capitaine a poursuivi le touage.

À 20 h 30, le mécanicien de quart a été alerté par l'alarme de haut niveau d'eau dans la cale à marchandises et a démarré la pompe de cale en ouvrant la bouche d'aspiration de cale arrière. Après plusieurs minutes de pompage, le mécanicien de quart a retiré le couvercle de la crépine de cale et a constaté la présence d'eau sous pression; ce n'était donc pas une fausse alarme et il y avait bel et bien de l'eau dans la cale. À 20 h 35, le mécanicien de quart a averti le capitaine que le navire prenait l'eau dans la cale à marchandises. Le capitaine a immédiatement entrepris le virage des 2 chaluts.

À 20 h 40, le capitaine a rassemblé le premier officier de pont et le reste de l'équipage et leur a ordonné de déplacer la cargaison congelée afin de dégager l'accès à l'endroit où semblait se situer la voie d'eau (à l'extrémité tribord avant de la cale à marchandises) pour mieux évaluer l'avarie. À 21 h, le capitaine a prévenu la direction de la flotte que le navire prenait l'eau dans la cale à marchandises et que l'évaluation de la situation était en cours.

À 21 h 10, le mécanicien de quart a transféré le mazout sur bâbord arrière dans le but de faire gîter le navire sur bâbord afin que la zone endommagée se trouve au-dessus de la ligne de flottaison. Toutefois, il a été impossible d'obtenir une gîte suffisante à cet effet. À 21 h 15, le virage des 2 chaluts était terminé. À 21 h 33, le capitaine a appelé les services de trafic maritime du Nord Canadien (NORDREG) par téléphone satellite pour leur dire que le navire avait heurté un bloc de glace et qu'il y avait une infiltration d'eau de volume indéterminé dans la cale à marchandises; il a précisé qu'il ne déclarait pas d'urgence, mais continuait à évaluer l'avarie subie. Les services NORDREG ont signifié qu'ils transmettraient les détails de la situation au centre conjoint de coordination de sauvetage (JRCC) de Halifax (Nouvelle-Écosse) et au JRCC du Groenland.

Le capitaine a ordonné à l'équipage de préparer l'embarcation de sauvetage pour explorer la zone de l'avarie. L'équipage à bord de l'embarcation mise à l'eau n'a pu distinguer de dommages; on a remonté à bord l'embarcation. L'équipage a ensuite enveloppé un matelas dans du plastique et l'a lesté avec une chaîne afin de l'immerger, à l'extérieur du navire, et de le placer sur la zone avariée pour ralentir l'infiltration. Dans l'impossibilité de le positionner à cet endroit, l'équipage a abandonné cette solution.

À 22 h 20, l'équipage avait libéré la zone avariée de toute la cargaison et retiré le panneautage et l'isolation de ce côté de la cale. L'espace dénudé a révélé une fissure courant verticalement le long d'un couple de la coque, vers le haut à partir du pont de la cale à marchandises, et mesurant environ 1,5 m de longueur et 1 cm dans sa partie la plus large. La fissure permettait l'infiltration d'un important volume d'eau dans le navire, mais à ce moment-là, il n'y avait pas d'eau dans le puisard d'assèchement avant de la cale à marchandises. Les mécaniciens ont installé et démarré les 2 pompes auxiliaires pour aider la pompe de cale à maîtriser l'infiltration d'eau.

À 23 h 5, le navire HDMS Knud Rasmussen de la marine danoise a quitté le Groenland pour porter assistance au Saputi. On a estimé qu'il arriverait au navire 18 heures plus tard.

L'équipage a tenté de ralentir l'infiltration d'eau en colmatant la fissure avec une feuille de caoutchouc, un morceau de bois et une plaque d'acier. Un petit cric-bouteille a été placé à l'intérieur du couple pour faire pression sur le colmatage de la fissure. L'infiltration de l'eau par la partie supérieure de la fissure s'en est trouvée considérablement ralentie. Ensuite, l'équipage a retiré davantage d'isolation autour de la partie inférieure de la fissure pour tenter de la colmater également. Cela a causé une forte augmentation de l'infiltration d'eau. Le second colmatage a été effectué, mais avec des résultats moins concluants que le premier. En effet, le choc ayant enfoncé le bordé extérieur d'environ 3 cm avant la fissure, il a été impossible d'étanchéifier cette dernière.

À 1 h 20 le 22 février, le navire se trouvait à 140 nm à l'est de l'île de Baffin et 220 nm à l'ouest-sud-ouest de Nuuk (Groenland; annexe E). En raison de la quantité et de la concentration de la glace le long de la côte de l'île de Baffin, le capitaine a filé 8 nœuds au nord-est vers Nuuk.

À 2 h 51, le capitaine a prévenu le JRCC de Halifax que le navire ne pouvait contrer l'infiltration d'eau au moyen des pompes présentes à bord et a demandé des pompes supplémentaires. La cargaison commençait à flotter dans la cale et à boucher les prises d'aspiration des pompes auxiliaires. L'équipage a donc ménagé des puits autour des prises d'aspiration, plaçant une pompe dans une bourriche métallique à poissons pour empêcher les débris de boucher les prises; on a aussi utilisé une goulotte métallique pour canaliser l'eau provenant de la fissure dans la coque vers une grande cuve à poisson et on a placé une pompe auxiliaire dans la cuve exempte de débris.

Le navire gîtait fortement sur bâbord et le capitaine s'inquiétait au sujet de sa stabilité. Le mécanicien a transféré le mazout à tribord, ce qui a réduit l'angle de gîte sur bâbord, sans toutefois le supprimer. Le navire se trouvait à 210 nm à l'ouest-sud-ouest de Nuuk et filait 5 nœuds. Les vents soufflaient du nord-ouest à 20 nœuds, la houle était légère et la neige modérée; les eaux étaient libres. Le JRCC de Halifax a dépêché un aéronef Hercules à partir de Greenwood (Nouvelle-Écosse) pour transporter des pompes jusqu'au navire.

À 2 h 58, le ripage de la cargaison dans la cale a endommagé une pompe auxiliaire, ce qui a réduit la capacité de pompage à bord. Pour évacuer l'eau à la mer, seules la pompe de cale principale et 1 pompe auxiliaire étaient alors en service.

Le capitaine a rassemblé de nouveau les membres de l'équipage pour les informer de l'aggravation de la situation. En prévision d'un possible abandon du navire, le capitaine leur a ordonné de prendre une combinaison d'immersion dans le compartiment de rangement de la passerelle et de la garder à proximité en tout temps.

Le niveau d'eau dans la cale à marchandises s'était élevé au point d'approcher les serpentins de refroidissement montés au plafond. Les serpentins risquaient de se briser au contact de l'eau et laisser fuir l'ammoniac qu'ils contenaient dans la cale. Pour éviter cela, le capitaine a ordonné aux mécaniciens d'arrêter le système de refroidissement. Une fois le système arrêté, les mécaniciens ont purgé l'ammoniac des serpentins et l'ont mis dans le réservoir de stockage à l'extérieur de la cale, afin de réduire le risque d'une fuite d'ammoniac dans la cale.

À 7 h 49, la pompe de cale principale a perdu sa capacité d'aspiration, probablement parce que le tuyau d'aspiration provenant du puisard d'assèchement arrière de la cale à marchandises était bouché par des débris ou gelé à cause de la basse température. Pour évacuer l'eau à la mer, seule 1 pompe auxiliaire était alors en service. Avant que la pompe de cale principale ne cesse de fonctionner, l'équipage avait tenté d'utiliser la bouche d'aspiration de cale avant et la pompe de ballast pour évacuer l'eau à la mer. Toutefois, la pompe de ballast a été arrêtée car elle n'augmentait pas le volume d'eau évacué; l'équipage utilisait donc uniquement la pompe de cale principale raccordée à la bouche d'aspiration arrière lorsque cette dernière a perdu sa capacité d'aspiration.

À 8 h 30, l'aéronef Hercules a rejoint le Saputi et a largué la première de 4 pompes à essence fournies par les services de recherche et sauvetage (SAR). À 8 h 55, 2 pompes SAR étaient à bord du Saputi et l'équipage préparait leur mise en service. L'angle de gîte du Saputi était de 25° sur bâbord.

À 9 h 30, les 4 pompes étaient à bord et l'aéronef Hercules survolait le navire en circuit d'attente. Deux des pompes étaient en service et évacuaient un gros volume d'eau de la cale à marchandises.

À 10 h 23, l'équipage avait mis 3 pompes SAR en service et le niveau d'eau baissait dans la cale.

Toutefois, les 4 pompes SAR ont commencé très tôt à mal fonctionner et à 11 h 18, des membres de l'équipage ont prévenu le capitaine de cette situation. Entre autres, les pompes perdaient régulièrement leur capacité d'aspiration en raison de débris flottant dans la cale (ces débris bouchaient les crépines) et du roulis qui entraînait la hausse et la baisse du niveau d'eau (se reporter à la section 1.9).

En outre, les moteurs à essence des pompes dans la cale à marchandises et dans l'installation de transformation ont rapidement produit une accumulation de gaz d'échappement à l'endroit où l'équipage travaillait. On a ouvert plusieurs écoutilles aux fins d'aération et des équipes se sont relayées pour veiller à ce que les pompes ne cessent de fonctionner dans la cale. Plusieurs membres de l'équipage ont souffert de maux de tête et de nausées à cause des gaz d'échappement.

À 12 h 19, l'équipage a été en mesure de faire fonctionner 2 pompes à plein débit. Bien que les crépines aient été bouchées par des morceaux de papier, de carton et de poisson, l'équipage ménageait des puits autour des prises d'aspiration des pompes pour empêcher d'autres débris d'atteindre les crépines. Les 2 pompes maîtrisaient l'infiltration d'eau et en abaissaient le niveau dans la cale à marchandises. L'angle de gîte a également été ramené dans une plage de 10° à 15°.

À 12 h 50, les vents soufflaient du nord-ouest à 25 nœuds, la houle atteignait 3 à 4 m et le navire  filait 6,7 nœuds vers Nuuk. Le Saputi gîtait de 25° sur bâbord. À 14 h, le HDMS Knud Rasmussen a rejoint le Saputi. Dans le but d'évaluer la situation et de prêter main forte pour arrêter l'infiltration, 3 membres d'équipage du HDMS Knud Rasmussen se sont rendus au navire de pêche en canot pneumatique. Une fois à bord, ils sont immédiatement allés dans la cale à marchandises et ont suggéré de faire venir des pompes de leur navire. Afin de ralentir un peu plus l'infiltration d'eau, l'équipage danois a obturé toutes les ouvertures autour des colmatages temporaires au moyen de chiffons et de mousse à foisonnement en aérosol.

On a transbordé 2 pompes à essence et 2 pompes submersibles électriques du HDMS Knud Rasmussen qui ont été immédiatement mises en service. L'équipage danois a également fabriqué de grandes crépines avec du métal alvéolé (figure 2) dans lesquelles on a placé les pompes submersibles pour éviter qu'elles soient bouchées par des débris. L'utilisation de 4 pompes a fait baisser le niveau d'eau. À 14 h 45, le navire se trouvait à 150 nm de Nuuk; les vents soufflaient toujours du nord-ouest à 25 nœuds, la houle s'est creusée à 4 à 5 m et le navire gîtait de 12 à 16° sur bâbord.

Figure 2. Crépine métallique improvisée (Source : Nataaqnaq Fisheries)
Crépine métallique improvisée

À 15 h 50, le niveau d'eau dans la cale à marchandises avait considérablement baissé et le fort roulis du navire s'était atténué.  L'allure du navire a été augmentée à 10 nœuds. À 17 h, le capitaine a réduit l'allure à 6 nœuds pour laisser passer un système météorologique et attendre que les conditions météorologiques près de la côte du Groenland s'améliorent avant l'arrivée du navire.

À 20 h 48, l'une des pompes à essence fournies par le HDMS Knud Rasmussen est tombée en panne. Vers 22 h, les 2 pompes submersibles électriques ont arrêté de fonctionner à cause d'une défaillance du panneau d'alimentation. Seule restait 1 pompe à essence pour évacuer l'eau à la mer, ce qui était insuffisant pour contrer l'infiltration et l'eau s'est mise à remonter dans la cale à marchandises.

Vers 23 h, l'installation d'une nouvelle source d'alimentation a permis la remise en service des 2 pompes submersibles électriques, et le niveau d'eau a recommencé à descendre dans la cale à marchandises. Comme les conditions météorologiques s'étaient détériorées, avec des vents soufflant du nord-ouest à 35 nœuds, une houle de 4 à 5 m du sud et une visibilité inférieure à 1 nm en raison des averses de neige, on a réduit l'allure du navire à 4 nœuds pour réduire le tangage.

Le 23 février, à 0 h, les conditions météorologiques étaient identiques et le niveau d'eau dans la cale à marchandises continuait à baisser grâce aux pompes SAR. Le navire se trouvait à 115 nm de Nuuk et filait 4,5 nœuds.

À 4 h 10, le capitaine a été appelé à la passerelle. Le niveau d'eau dans la cale à marchandises, qui n'avait cessé de baisser, était reparti à la hausse. À ce moment-là, le volume d'eau entrant dans le navire excédait le débit des pompes. À 5 h 10, le niveau d'eau dans la cale à marchandises s'était considérablement élevé; les marchandises se déplaçaient librement dans la cale et entravaient les opérations de pompage, alors que des débris engorgeaient les prises d'aspiration.

À 5 h 55, la situation s'était radicalement détériorée; les conditions météorologiques avaient continué d'empirer, l'eau n'avait pas cessé d'envahir la cale à marchandises plus rapidement que les pompes n'étaient en mesure de l'évacuer et le navire gîtait à 40° sur bâbord. Pour réduire la gîte sur bâbord, le capitaine a décidé de jeter à la mer l'équipement de pêche de bâbord, c'est-à-dire la fune de bâbord (14 tonnes métriques [tm]), le panneau de chalut de bâbord (5,4 tm), la fune centrale (19 tm) et le lest central (7,4 tm), qui était fixé à la fune centrale, ce qui a ramené l'angle de gîte à 30° sur bâbord.

Le capitaine du Saputi et le chef d'équipe du HDMS Knud Rasmussen ont discuté de la situation et ont admis que les opérations de pompage dans la cale à marchandises ne suffisaient pas à maîtriser l'infiltration d'eau. On a donc mis fin à ces opérations et on s'est efforcé d'étanchéifier au maximum la cale à marchandises pour empêcher l'eau d'envahir d'autres compartiments. Toutes ses écoutilles et portes ont été fermées au moyen de tourniquetsNote de bas de page 9 et, dans la mesure du possible, bloquées au moyen de poteaux de soutien ajustés entre l'écoutille et le plafond au-dessus (figure 3). L'équipage a également installé des palans à chaîne pour faire en sorte que les écoutilles soient scellées et ne sautent pas sous la pression croissante au fil de l'envahissement par les eaux de la cale (figure 4).

Figure 3. Poteaux de soutien utilisés pour arrimer les écoutilles (Source : Nataaqnaq Fisheries)
Poteaux de soutien utilisés pour arrimer les écoutille
Figure 4. Palan à chaîne utilisé pour sceller une écoutille (Source : Nataaqnaq Fisheries)
Palan à chaîne utilisé pour sceller une écoutille

Le capitaine, ayant décidé d'évacuer le personnel non essentiel à l'exploitation du navire vers le HDMS Knud Rasmussen, a rassemblé l'équipage sur la passerelle pour lui faire part de sa décision. Étant donné la gravité de la situation, le capitaine a également demandé à tous les membres de l'équipage de revêtir leur combinaison d'immersion et de la porter jusqu'à nouvel ordre. Le capitaine du HDMS Knud Rasmussen avait prévu d'utiliser le Zodiac pour transborder 7 membres d'équipage à la fois. Les premier et deuxième groupes de 7 personnes à évacuer ont été formés et sont allés au vestiaire, sur le pont de chalutage, pour attendre le transbordement. Après l'aggravation des conditions météorologiques, l'équipage du HDMS Knud Rasmussen a réduit à 5 le nombre de personnes à évacuer simultanément.

À 7 h 00, le Zodiac s'est amarré à tribord, et 4 membres de l'équipage du Saputi ont réussi à monter à bord. Cependant, le Zodiac ayant été endommagé lors du transbordement, on a dû le renvoyer au HDMS Knud Rasmussen et l'équipage l'a mis hors service pour le réparer. Vingt-six membres d'équipage du Saputi et 3 du HDMS Knud Rasmussen sont restés à bord du Saputi.

À 7 h 35, la cale à marchandises était complètement scellée. Toutes les 15 minutes, on contrôlait les écoutilles pour vérifier qu'il n'y avait aucune fuite en provenance de la cale.

À 8 h 5, un membre de l'équipage a découvert qu'une petite écoutille, conduisant à l'extrémité avant de la cale à marchandises côté tribord, était ouverte. Avant de la fermer et de la sceller, l'équipage a mesuré la distance entre le plafond de la cale à marchandises et la surface de l'eau, soit 2,44 m.

Le capitaine a ensuite demandé au gestionnaire de la flotte à terre de prendre contact avec un architecte naval qui connaissait bien le navire, afin de lui demander de calculer l'état du navire en tenant compte de la cale à marchandises envahie par les eaux et des 350 tm de produits à bord.

À 8 h 30, le JRCC du Groenland a dépêché un hélicoptère SAR basé à Kangerlussuaq (Groenland) au Saputi pour évacuer les membres d'équipage restants vers le HDMS Knud Rasmussen. Les vents soufflaient du nord-ouest entre 45 et 50 nœuds, la houle était modérée du sud-est et la visibilité médiocre en raison des averses de neige.

L'architecte naval ayant effectué les calculs demandés par le gestionnaire de la flotte a avisé ce dernier que le navire pouvait demeurer à flot et stable avec la cale à marchandises envahie par les eaux. Le gestionnaire de la flotte a immédiatement transmis l'information au capitaine, l'avisant qu'elle avait été confirmée par un deuxième architecte naval indépendant qui connaissait également bien le navire et la situation à bord.

À 9 h 48, l'hélicoptère SAR en provenance du Groenland a, pour cause de givrage, interrompu sa mission avant d'atteindre le Saputi et est retourné à Nuuk.

Vers 10 h, le navire a gîté à plus de 45° sur bâbordNote de bas de page 10. Le navire s'est redressé vers tribord, puis a rapidement gîté de nouveau à plus de 45° sur bâbord. Cela s'est produit plusieurs fois au cours des 6 à 8 minutes suivantes. À ce moment-là, le navire gîtait de 40° sur bâbord et roulait à 45°. L'écoutille entre le pont de chalutage et l'installation de transformation, qui avait été antérieurement utilisée pour évacuer les gaz d'échappement provenant des pompes, était restée ouverte. Comme la houle du sud-est était à présent plus forte que les vagues du nord-ouest, le capitaine a lentement fait venir le navire sur tribord, plaçant l'étrave face à la houle afin d'empêcher une grosse vague de se briser par-dessus la poupe et l'envahissement par l'eau, par l'écoutille ouverte, de l'installation de transformation.

Le navire a continué de venir sur tribord jusqu'au cap 180°. Les vents étaient maintenant du côté tribord de la superstructure, ce qui a augmenté la gîte du navire. Les fortes houles du sud-est frappaient les fenêtres de la passerelle du côté bâbord et l'eau commençait à envahir le pont de chalutage. Le capitaine a mis la barre à bâbord toute et le transmetteur d'ordre en position avant toute; cette manœuvre a évacué l'eau des ponts. Le navire a continué de venir sur bâbord jusqu'au cap 330°. Le roulis du navire s'est alors atténué et son angle de gîte s'est stabilisé à 40°.

Le navire est lentement venu sur tribord au cap 45° vers Nuuk. La houle du sud-est s'est réduite à 4 et 5 m. Avec de forts vents et de fortes vagues du nord-ouest maintenant à bâbord, le navire gîtait sur tribord entre 20° et 22°. Le capitaine a mis à l'eau la fune de tribord (14 tm) et le panneau de chalut de tribord (5,4 tm). Le mécanicien de quart a retourné le mazout à bâbord, le côté tribord ayant auparavant été chargé au maximum de sa capacité pour réduire l'angle de gîte antérieur sur bâbord. Le navire s'est alors pratiquement redressé.

Vers 11 h, une forte houle du sud-est a frappé le Saputi à tribord et l'a fait gîter sur bâbord à plus de 45°. Le navire s'est redressé pour s'établir à un nouvel angle de gîte de 35 à 40° sur bâbord. On a mis fin à toutes les opérations de transfert de mazout.

À 11 h 30, on a verrouillé l'écoutille entre le pont de chalutage et l'installation de transformation  dans le but de parer à la possibilité d'une mer plus agitée dans la zone du banc peu profond situé au large de la côte du Groenland. La houle s'est creusée pendant que le navire franchissait le banc, entraînant le navire dans un roulis accru pendant un certain temps avant qu'il ne se stabilise à un angle de gîte de 45° sur bâbord.

À 17 h 50, le Saputi est entré dans le fjord d'accès à Nuuk. Dans les eaux abritées du fjord, 4 membres de l'équipage du Saputi ainsi que les 3 membres du HDMS Knud Rasmussen présents à bord du Saputi ont été transférés à bord du HDMS Knud Rasmussen. À ce moment-là, il restait 22 membres d'équipage à bord du Saputi. Le navire a continué de remonter le fjord en gîtant à 40° sur bâbord et s'est amarré à Nuuk le 24 février à 0 h 23.

1.4 Avaries au navire

À l'extrémité avant de la cale à marchandises, une fissure verticale est apparue dans le bordé extérieur de tribord entre les couples 78 et 79. Elle commençait à environ 3300 mm au-dessus de la quille et courait vers le haut sur 3000 mm. Le bordé extérieur était enfoncé entre les couples 75 et 80. L'indentation avait une profondeur maximale de 300 mm et mesurait 3200 mm de largeur sur 3000 mm de hauteur. Par conséquent, plusieurs couples ont été enfoncés et plusieurs raidisseurs ont été enfoncés, déviés et fissurés au droit de l'enfoncement (annexes F et G).

La cloison transversale formant l'extrémité avant de la cale à marchandises au couple 80 a également été enfoncée, mais ne s'est pas rompue. Au tirant d'eau avant estimé de 4,7 m, le centre de la fissure se serait situé à 1,4 m sous la surface de l'eau à l'extérieur du navire au moment du choc.

1.5 Examen effectué après l'événement

Après l'événement à l'étude, on a testé une éprouvette du bordé extérieur du SaputiNote de bas de page 11 et constaté ce qui suit :

L'éprouvette a été découpée en plusieurs segments et chacun d'eux a été testé à diverses températures pour obtenir des mesures d'énergie de rupture. Plusieurs résultats ont montré que l'énergie de rupture nécessaire pour fracturer l'acier était considérablement plus faible que celle des autres segments testés à la même températureNote de bas de page 12. Toutefois, des résultats de ce genre ne sont pas inhabituels avec des bordés d'acier et n'indiquent pas une défaillance ou un défaut du bordé.

1.6 Certification et expérience du personnel

Le capitaine était titulaire d'un brevet valide de capitaine de pêche, première classe délivré en 2012. Il avait occupé différents postes à bord de navires de pêche depuis 1980, puis à bord de chalutiers-usines congélateurs à rampe arrière depuis la fin des années 1980. Il avait été embauché par la compagnie propriétaire du Saputi en 2006 et, au moment de l'événement à l'étude, naviguait comme capitaine à bord du Saputi depuis 2009. Comme le navire est exploité dans les glaces et les eaux septentrionales pendant plus de la moitié de la saison de pêche, le capitaine a une grande expérience de la navigation dans les glaces.

1.7 Certification du navire

Le Saputi était certifié et équipé conformément aux règlements en vigueur. Le navire a été construit et maintenu dans la classe octroyée par Det Norske Veritas – Germanischer Lloyd (DNV-GL). Son certificat de classification était valide (date d'expiration : 31 juillet 2016) et l'inspection annuelle la plus récente avait été effectuée le 21 octobre 2015 par la société de classification qui avait alors recommandé son maintien dans la classe.

Le navire n'était pas doté d'un système de gestion de la sécurité (SGS), lequel n'était pas obligatoire pour cette classe de navire.

1.8 Conditions environnementales

Lorsqu'il a percuté le bloc de glace, le navire évoluait au crépuscule en présence d'une couverture de glace de 3/10 à 4/10, de glaces moyennes de première année d'une concentration de 2/10 (70 à 120 cm) et de glaces minces de première année d'une concentration de 2/10 (30 à 70 cm) en cordons de 20 m de largeur, composés principalement de petits fragments de glace et de quelques blocs plus gros (annexe H). Des icebergs étaient visibles à l'horizon. Le temps était clair et la visibilité était bonne (estimation : 8 nm). La température de l'air était de −7 °C, les vents étaient légers et variables, et on observait une houle modérée du sud-est.

1.9 Pompes des ressources de recherche et sauvetage

Les Forces armées canadiennes ont pour mandat de fournir des services de recherche et sauvetage (SAR) aéronautiques et de soutenir la Garde côtière canadienne dans le cadre de SAR en mer. Les escadrons de l'Aviation royale canadienne (ARC) chargés des services SAR disposent d'au minimum 3 équipements de pompage de navire largables en cas d'incident maritime. Ces équipements sont inspectés aux 180 jours. Au cours de cette opération, on démarre les pompes pour en vérifier le bon état de marche et l'on vérifie également les accessoires. L'ARC utilise un seul type de pompe. Son gabarit et son poids permettent de l'embarquer à bord de l'aéronef SAR et d'en faciliter la manipulation par l'équipage de l'aéronef, ainsi que par celui du navire en détresse qui le reçoit et le met en service. Ce type de pompe est censé répondre à divers cas de figure. En outre, le choix d'un type unique réduit la pression sur la logistique et les ressources financières et humaines que différents systèmes de pompage pourraient générer (acquisition, entretien et formation).

Les ressources SAR ont fourni 2 ensembles de pompes au Saputi. Les ressources de l'ARC ont fourni 1 équipement de pompage et les ressources SAR danoises ont fourni le second.

Les pompes apportées par l'aéronef canadien étaient mues par un moteur à essence. Elles étaient munies des accessoires suivants : un tuyau d'aspiration rigide de 7,6 cm de diamètre et 4,8 m de longueur, muni d'une crépine métallique à l'extrémité d'aspiration; un raccord à cames côté pompe; un tuyau de refoulement en caoutchouc synthétique léger de 7,6 cm de diamètre et 6,1 m de longueur, également doté d'un raccord à cames côté pompe.

Ces pompes ont été mises à disposition dans une région éloignée moins de 6 heures après que le Saputi en ait fait la demande. Étant donné la compacité et la solidité des pompes fournies par les ressources SAR canadiennes, il est possible de les larguer d'un aéronef, ce qui réduit considérablement le temps d'attente pour les navires en détresse.

Les pompes ont initialement été installées dans la cale à marchandises close, mais le tuyau de refoulement pinçait continuellement lorsque l'équipage tentait de l'étirer jusqu'au pont supérieur. On les a donc déplacées et installées dans l'installation de transformation close sur le pont principal, juste au-dessus de la cale à marchandises. Le tuyau d'aspiration n'était pas assez long pour que l'on installe ces pompes sur le pont découvert et il n'y avait aucune possibilité d'y raccorder des rallonges. Résultat : les moteurs à essence en marche dans l'espace clos de l'installation de transformation ont rapidement produit une accumulation de gaz d'échappement dans les espaces où l'équipage devait travailler. Comme les pompes ne pouvaient refouler l'eau sur le pont supérieur en raison du coquage du tuyau, on a dirigé ce dernier sur le pont de l'installation de transformation où il a fallu utiliser les pompes de l'installation de transformation du navire pour évacuer l'eau à la mer.

Les pompes fournies par l'aéronef canadien perdaient régulièrement leur capacité d'aspiration en raison de débris flottant dans la cale (ils bouchaient les crépines) et du roulis qui entraînait la hausse et la baisse du niveau d'eau. En outre, leur moteur calait lorsque le pont s'inclinait en raison de la gîte du navire. Positionnés sur le pont principal à environ 2 m au-dessus de l'eau se trouvant dans la cale à marchandises, les pompes et les tuyaux d'aspiration sont devenus difficiles à amorcer au moyen de la pompe à main attelée. L'équipage a consacré un temps considérable à essayer de maintenir ces pompes en service dans des conditions difficiles.

Les 4 pompes fournies par le HDMS Knud Rasmussen ont permis de surmonter plusieurs des difficultés rencontrées avec les pompes des ressources SAR canadiennes.  Ce matériel comptait 2 pompes submersibles électriques, donc insensibles à la gîte du navire et ne produisant pas de gaz d'échappement. Les 2 autres pompes étaient mues par un moteur à essence et munies d'un tuyau d'aspiration d'environ 7 m de longueur, ce qui permettait d'installer les pompes sur le pont de chalutage découvert et d'éliminer tout problème posé par les gaz d'échappement. Les pompes à essence étaient montées sur une suspension à cardan pour rester de niveau lorsque le pont s'inclinait, ce qui empêchait les moteurs de caler. Certes, ces pompes ont aussi été bouchées par des débris flottant dans la cale à marchandises; malgré tout, après chaque arrêt nécessaire pour les nettoyer, on pouvait les redémarrer plus vite et plus facilement que les autres pompes à essence; au lieu d'une pompe à main, le système d'amorçage mettait en œuvre le moteur de la pompe et une courroie trapézoïdale pour embrayer et entraîner l'impulseur.

1.10 Système des régimes de glaces pour la navigation dans l'Arctique

Le Règlement sur la prévention de la pollution des eaux arctiques par les navires régit l'accès des navires aux eaux arctiques au moyen du système de zones et de date. Les eaux arctiques sont divisées en 16 zones de contrôle de la sécurité de la navigation. L'entrée dans chacune d'elles a été définie en fonction de ce qui suit : les données historiques sur les conditions glacielles probables à différentes périodes de l'année; la capacité d'exploitation dans les glaces des différents types de navires.

Le Saputi était exploité dans la 15e zone de contrôle de la sécurité de la navigationNote de bas de page 13 en tant que navire de type DNote de bas de page 14 (selon sa cote glace DNV). Conformément au tableau du système de zones et de datesNote de bas de page 15, les navires de type D sont autorisés à naviguer dans la zone 15 du 5 juillet au 10 novembre de chaque année.

Ce système élémentaire ne tient pas compte de la variation considérable des conditions glacielles d'une année à l'autre. Aussi a-t-on élaboré le Système des régimes de glaces pour la navigation dans l'Arctique (SRGNA)Note de bas de page 16. Il s'agit d'une norme souple et sécuritaire, pour permettre aux navires de naviguer dans l'Arctique lorsque l'état des glaces le permet. Le SRGNA prend en compte les risques auxquels sont exposées les structures des différents navires en fonction des diverses conditions glacielles. Pour avoir l'autorisation d'entrer dans l'Arctique, il est obligatoire d'appliquer le SRGNA aux voyages qui ne s'inscrivent pas dans le système de zones et de dates.

Un officier de navigation dans les glaces doit se trouver à bord de tout navire se prévalant du SRGNA; pour être reconnue en tant que tel, une personne doit : « être qualifiée pour remplir les fonctions de capitaine ou de responsable du quart à la passerelle »; avoir rempli les fonctions de capitaine ou de responsable du quart à la passerelle pour une durée minimale de 50 jours, dont 30 jours dans les eaux arctiques [...] »Note de bas de page 17. Le capitaine et le premier officier de pont avaient les compétences et l'expérience requises pour exercer les fonctions d'officier de navigation dans les glaces.

Pour appliquer le SRGNA, il faut obtenir les conditions glacielles réelles à tous les points de la route prévue. Pour chaque condition glacielle différente (ou régime de glaces) jalonnant cette route, on calcule un numéral glaciel (NG) au moyen des caractéristiques du régime de glace et des capacités du navire. Si tous les NG sont égaux ou supérieurs à 0, il faut envoyer, au format spécifié, un Message de routage en régime de glaces aux NORDREG (indiquant les caractéristiques du navire, les renseignements sur la route et le nom de l'officier de navigation dans les glaces). Le navire est alors autorisé à effectuer le voyage prévu. Si le NG d'un des régimes de glaces jalonnant la route est négatif, l'entrée est interdite. Le capitaine doit envisager une autre route aux conditions glacielles plus favorables ou attendre une amélioration qui se traduise par des NG égaux ou supérieurs à 0. Si les NG restent négatifs, il est possible de faire route avec l'assistance d'un brise-glace.

Le 6 février, le Saputi a envoyé le Message de routage en régime de glaces requis aux NORDREG. Aucun NG n'y était indiqué, mais les renseignements donnés dans le message se seraient traduits par un NG de +12.

1.11 Évaluation des glaces flottantes

L'identification du type de glace en cours de navigation donne une indication de sa dureté et de son potentiel de causer des dommages à un navire. Pour détecter la glace, l'équipage du navire recourt principalement au radar de navigation maritime standard et à l'observation visuelle.

Divers fabricants produisent des radars spécialisés pour la navigation dans les glaces qui affichent une image exempte de fouillis d'échos et plus nette que celle des radars de navigation maritime standards.

Bien qu'on ne commercialise pas encore de radars en mesure de distinguer les types de glace en fonction de la dureté ou de la salinité, des recherches sont en cours dans le domaine du radar de navigation maritime à double polarisationNote de bas de page 18. Ce type de radar est capable de distinguer la glace de glacier et la glace pluriannuelle de la glace de première année environnante. En outre, la Garde côtière canadienne, de concert avec Transports Canada (TC) et d'autres intervenants, mène des travaux de recherche et de développement sur un radar de détection des glaces dangereuses qui produit des images à haute résolution de la glace et un contraste net entre la glace pluriannuelle dangereuse et les autres glaces de merNote de bas de page 19.

Les caméras thermiques (comme les caméras à infrarouges [FLIR]) servent aussi à détecter la glace flottante. Comme ces caméras construisent une image à partir des radiations infrarouges de la glace, elles sont efficaces dans la noirceur et en conditions de visibilité restreinte. Même si l'image affichée diffère quelque peu en fonction des types de glace, la fonction première des caméras thermiques est de détecter la glace et on ne peut s'y fier pour l'évaluer.

Lors de l'événement à l'étude, le capitaine du Saputi disposait d'un radar de navigation maritime standard pour détecter la présence de glace. Ce radar ne distingue pas les types de glace et le capitaine effectuait cette tâche par évaluation visuelle.

Pour déterminer le type et l'âge de la glace par évaluation visuelle, il faut tenir compte des caractéristiques suivantes :

La glace de première année est de la glace de mer qui s'est formée pendant 1 hiver et dont l'épaisseur varie entre 30 cm et 2 m. De salinité élevée, elle est plus molle que la glace de glacier et donc moins dangereuse pour un navire renforcé contre les glaces. La glace de deuxième année a résisté à 1 été et, comme elle est plus épaisse que la glace de première année, elle émerge davantage de l'eau. La glace pluriannuelle a résisté à au moins 2 étés. On peut qualifier de « vieille glace » la glace de deuxième année et pluriannuelle qui est habituellement plus épaisse que la glace de première année. Plus la glace vieillit, plus elle perd de sa salinité et durcit. Ainsi, comparée à la glace de première année, la vieille glace est plus dense et plus dure. Il faut donc éviter, autant que possible, tout contact avec cette glaceNote de bas de page 20

Ces différents types de glace ont des caractéristiques physiques discernables par le navigateur qui court dans des eaux envahies par les glaces. Par exemple :

La glace de glacier est d'origine terrestre et composée d'eau douce. L'absence de sel la rend extrêmement dure et dangereuse pour les navires. On rencontre couramment les 2 types suivants :

1.12 Compartimentage du navire

Un navire est subdivisé en compartiments étanches par des ponts et des cloisons. Plus le compartimentage est poussé, plus le navire résiste au naufrage en cas d'avarie, mais ses activités et son mode d'exploitation peuvent restreindre le nombre de compartiments.

Le Règlement sur l'inspection des grands bateaux de pêche stipule que tout navire de pêche doit compter au moins 3 cloisons étanches transversales convenablement espacées : 1 cloison d'abordage dans la partie avant du navire, suivie de 2 cloisons positionnées de manière appropriée à la conception du navireNote de bas de page 23.

Le Saputi comptait 4 cloisons étanches transversales : une cloison d'abordage devant la soute à combustible no 2 au couple 87, une deuxième cloison séparant l'extrémité avant de la cale à marchandises de la soute à combustible  no 2 au couple 80, une troisième cloison séparant l'extrémité arrière de la cale à marchandises de la salle des machines au couple 38 et une quatrième cloison formant l'extrémité arrière de la salle des machines au couple 10.

Il n'y a aucune exigence de construction sur le maintien de la flottabilité ou de la stabilité d'un bateau de pêche dont un compartiment se trouve envahi par les eaux en cas d'avarie. Pourtant, la réglementation canadienneNote de bas de page 24 relative aux navires autres que les bateaux de pêche stipule que la construction du navire doit garantir une stabilité à l'état intact suffisante pour résister à l'envahissement final d'un compartiment principal.

La cale à marchandises des navires de pêche qui transportent du poisson en vrac doit être pourvue de compartiments étanches; comme le poisson congelé sous emballage n'est pas considéré comme du vrac, aucune compartimentation de ce genre n'est exigée à bord des navires-congélateurs.

1.13 Planification de la maîtrise des avaries

La Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) sous l'égide de l'Organisation maritime internationale (OMI) stipule qu'un plan et un opuscule de maîtrise des avariesNote de bas de page 25 doit être élaboré pour les navires à passagers et les navires transportant des marchandises sèches. Il n'y avait aucun plan ni opuscule de maîtrise des avaries à bord du Saputi, ces documents n'étant par ailleurs pas obligatoires pour les navires de pêche.

La planification de la maîtrise des avaries a pour objet de fournir au personnel du navire des renseignements clairs sur les compartiments étanches et les dispositions à prendre pour maintenir l'étanchéité des cloisons en cas d'envahissement par les eaux. Cela comprend les précautions à prendre pour empêcher l'envahissement progressif des espaces non endommagés en fermant toutes les ouvertures présentes sur les cloisons étanches.

Le plan et l'opuscule de maîtrise des avaries peuvent également indiquer, au moyen d'un code de couleur, la probabilité de survie du navire en cas d'envahissement d'un ou de plusieurs compartiments étanches (annexe I). Il est possible d'y inclure aussi des conseils sur les causes de toute gîte, les effets du délestage de la cargaison du pont et du transfert de liquides pour gérer une gîte, ainsi que de l'information sur l'aménagement de surfaces libres supplémentaires pendant les opérations de pompage pour maîtriser une voie d'eau. Le plan de maîtrise des avaries n'a pas pour objet de remplacer le jugement sûr du capitaine, mais à l'aider à tenir compte de tous les aspects du problème.

En plus du plan et de l'opuscule de maîtrise des avaries, il peut y avoir à bord du matériel de base à disposition pour maîtriser les avaries, comme des pièces pour fabriquer un colmatage, des renforts et des vérins pour colmater solidement ou renforcer une porte ou une écoutille étanche, des bouchons et des tapes pour les petits trous ainsi que des outils de construction et de coupe.

1.14 Renseignements sur la stabilité après avarie

Un grand bateau de pêche doit faire l'objetNote de bas de page 26 d'un essai de stabilité pour déterminer sa stabilité dans de nombreuses conditions d'exploitation différentes : lorsqu'il est lège, au départ du port, à l'arrivée sur les lieux de pêche, en demi-charge, en charge complète et dans les pires conditions d'exploitation influant sur la stabilité. Le capitaine doit disposer à bord d'un livret détaillant les conditions de stabilité du navire lui fournissant rapidement des éléments clés sur la stabilité de ce dernier (comme la hauteur métacentrique et le franc-bord dans des conditions d'exploitation courantes) sans qu'il soit nécessaire d'effectuer manuellement des calculs.

Il y a à bord des navires à passagers un document détaillant leur stabilité en conditions normales d'exploitation et en cas d'avarieNote de bas de page 27. Ce document procure également au capitaine des éléments clés sur la stabilité du navire en cas d'avarie et d'envahissement par les eaux d'un compartiment, sans qu'il soit nécessaire d'effectuer manuellement des calculs en cas d'urgence. Il n'y a nulle obligation d'avoir un document de ce genre à bord d'un bateau de pêche. Le Saputi disposait d'un livret de stabilité dans les conditions normales d'exploitation, mais aucun document sur sa stabilité en cas d'avarie.

1.15 Combinaisons d'immersion

Les combinaisons d'immersion en cas de naufrage protègent les personnes en atténuant le choc thermique à l'immersion dans l'eau froide, en retardant le début de l'hypothermie et en assurant la flottaison nécessaire pour réduire le risque de noyade. Au Canada, les combinaisons d'immersion sont approuvées par TC conformément à la norme de l'Office des normes générales du Canada (ONGC)Note de bas de page 28 qui stipule des contrôles stricts de leurs propriétés, telles la résistance thermique, la dextérité manuelle, la résistance au dérapage et la mobilité hors de l'eau.

Or, une combinaison d'immersion ne peut prévenir efficacement l'hypothermie que dans la mesure où elle est bien ajustée à la personne qui la porte (afin d'éviter l'infiltration de l'eau).

Disponibles en plusieurs tailles, les combinaisons d'immersion (dites aussi d'abandon) sont conçues de manière que même des personnes inexercées les revêtiront rapidement et (en règle générale) convenablement, souvent dans des conditions défavorables. Les combinaisons d'immersion de taille universelle [traduction] : « sont conçues selon le principe de "taille unique" et conviennent à une distribution non contrôlée en cas d'urgenceNote de bas de page 29. » Elles peuvent convenir à des personnes mesurant de 150 à 200 cm et dont la masse corporelle est de 50 à 150 kgNote de bas de page 30. Les combinaisons de petite et de très grande taille sont respectivement conçues pour des personnes dont la taille et la masse corporelle sont inférieure et supérieure aux limites précédentes.

Dans l'événement à l'étude, les combinaisons d'immersion du Saputi avaient été expédiées au représentant du fabricant pour les essais annuels dans les jours précédant le départ du navire. À la suite de ces essais, 22 de ces combinaisons avaient été remplacées par un nombre égal de combinaisons neuves fournies par un fabricant différent et livrées à bord juste avant le départ du navire. Les caractéristiques de taille et de masse corporelle des combinaisons neuves de très grande taille et de taille universelle commandées étaient supérieures aux précédentes (tableau 2). La commande avait été passée en indiquant l'intitulé de la taille, par exemple, en demandant une très grande taille pour remplacer une très grande taille. Il y avait 35 combinaisons d'immersion approuvéesNote de bas de page 31 à bord du Saputi, dont 16 de très grande taille.

Tableau 2. Comparaison des combinaisons d'immersion
Combinaison d'immersion Taille universelle Très grande taille
Taille Poids Taille Poids
Combinaisons d'origine 168 à 185 cm 54 à 113 kg 180 à 198 cm <145 kg
Combinaisons neuves 150 à 191 cm 50 à 150 kg >191 cm >100 kg

À bord du Saputi, les membres de l'équipage s'exerçaient à choisir et à revêtir correctement une combinaison d'immersion au cours d'exercices d'abandon du navire, et ce, au début de chaque voyage. Le journal des exercices d'urgence indiquait la tenue d'exercices réguliers pendant l'année antérieure, le dernier ayant été effectué le 5 janvier 2016 au cours du précédent voyage. Pourtant, aucun exercice d'urgence n'a été effectué avant ou pendant le voyage de l'événement à l'étude.

En vertu du Règlement sur l'inspection des grands bateaux de pêche, les navires de pêche de plus de 24,4 m de longueur ou de jauge brute supérieure à 150 tonneaux faisant des voyages au-delà des limites des voyages de cabotage, classe IV, tels que le Saputi, doivent compter 1 combinaison d'immersion approuvée pour chaque personne à bordNote de bas de page 32. La taille appropriée de la combinaison d'immersion n'est pas abordée dans le règlement.

Le Règlement sur les exercices d'incendie et d'embarcation relatif aux navires de pêche d'une jauge brute supérieure à 150 tonneaux, tels que le Saputi, stipule que le capitaine doit veiller à ce que les membres d'équipage soient capables de revêtir les combinaisons d'immersion ou de protection contre les éléments transportées à bord du navireNote de bas de page 33. Toutefois, le règlement n'aborde pas la question de la taille appropriée de la combinaison d'immersion.

Le Règlement modifiant le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche, qui entrera en vigueur le 13 juillet 2017, stipule que les bateaux de pêche d'une longueur d'au plus 24,4 m ou d'une jauge brute d'au plus 150 tonneaux effectuant certains voyages aient une combinaison d'immersion de la bonne taille pour chaque personne à bord.

La Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêcheNote de bas de page 34, que le Canada n'a pas ratifiée, s'applique aux navires de pêche de 24 m de longueur et plus, tels que le Saputi. Lorsqu'une combinaison d'immersion est requise en vertu de cette convention, il faut qu'elle soit « approuvée et de taille appropriéeNote de bas de page 35 ».

Outre la protection thermique et la flottaison, l'approbation de TC garantit un niveau minimal de mobilité, ce qui permet à la personne qui porte une combinaison d'immersion d'exécuter des fonctions d'urgence de base. Les fabricants conçoivent plusieurs modèles de combinaison d'immersion dotés de caractéristiques diverses qui augmentent la mobilité au-delà des normes minimales. L'équipage peut ainsi poursuivre ses tâches habituelles tout en portant la combinaison. Parmi ces caractéristiques, citons les semelles préformées antidérapantes et souples augmentant la mobilité, ainsi que les gants amovibles pour une meilleure dextérité. Plusieurs fabricants proposent des combinaisons d'immersion de ce genre.

Lors de l'événement à l'étude, on pensait que l'abandon du navire était imminent en raison de la gravité de la gîte. Pour se préparer à l'immersion dans le cas où le navire aurait chaviré, les membres de l'équipage avaient revêtu leur combinaison plus de 18 heures avant que le navire n'arrive au port. Par la suite, certains des membres de l'équipage ont continué d'exercer leurs fonctions : navigation, maintien des moteurs en service et confinement de l'envahissement par les eaux de la cale à marchandises. Toutefois, les gants intégrés, les semelles glissantes et l'ampleur générale des combinaisons entravaient la réalisation de ces tâches; les membres de l'équipage ont donc ouvert en partie la fermeture à glissière, dégagé leurs bras des manches et noué ces dernières autour de la taille. Les tâches requérant de la dextérité manuelle en ont été facilitées, mais cela n'a pas réduit le risque de glisser et de trébucher.

1.16 Arrimage de la cargaison

Une fois les prises transformées, emballées et congelées dans l'installation de transformation, les caisses étaient transférées dans la cale réfrigérée. Pour garantir un refroidissement convenable, le pont de la cale à marchandises était entièrement recouvert de palettes en bois pour ménager un espace d'air entre le pont et les produits congelés. Pour entreposer les caisses, on en palettisait très étroitement sur un rang complet, jusqu'aux côtés de la cale, afin de les empêcher de se déplacer horizontalement dans toutes les directions. Une fois qu'un rang était complet, on commençait le suivant par-dessus, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la cale à marchandises soit comble. Cette méthode maximisait la capacité de charge du navire, empêchait le ripage de la cargaison et permettait de maintenir une gîte et une assiette gérables pendant le chargement. Le navire transportait également des crevettes ensachées qui étaient entreposées de manière similaire; on utilisait une méthode d'empilage standard pour empiler les rangs successifs afin d'assurer la stabilité et d'empêcher le ripage dû aux mouvements du navire.

Le plan d'ensemble du navire indiquait la présence de planches de séparation divisant la cale à marchandises en 27 compartiments plus petits. Il est souvent nécessaire de recourir à ce genre de compartimentage pour arrimer certaines cargaisons sujettes au ripage, comme le poisson en vrac. À une époque, on avait utilisé cette méthode pour isoler différentes marchandises, mais ce n'était plus le cas et aucune planche de séparation ne se trouvait à bord au moment de l'événement à l'étude.

1.17 Événements antérieurs

Au cours d'enquêtes antérieures, le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a soulevé des questions de sécurité similaires liées à des avaries à de grands chalutiers-usines congélateurs causées par la glace et l'envahissement par les eaux et à leur naufrage subséquent.

En mars 2000, le BCM AtlanticNote de bas de page 36 a heurté un bloc de glace sur les lieux de pêche à la crevette au large des côtes du Labrador. Le navire a été perforé près d'une cloison commune séparant la salle des machines de la cale à marchandises. Les pompes de cale n'ont pas pu contrer l'infiltration d'eau dans la salle des machines et la cale à marchandises. L'équipage a abandonné le navire à bord de radeaux de sauvetage et a été recueilli par un autre navire de pêche 3 heures plus tard. Personne n'a été blessé. Le navire a coulé 4 heures après avoir heurté la glace.

En juin 1990, le Northern OspreyNote de bas de page 37 pêchait la crevette au large des côtes du Labrador quand il a subi une avarie, non décelée, dans le bordé extérieur près de la cloison séparant la soute à combustible de la cale à marchandises. Du mazout a pénétré dans cette cale que l'on a tenté de vidanger à l'aide d'une pompe, mais en vain : des tuyaux d'aspiration étaient probablement gelés dans la cale réfrigérée. On a retiré les couvercles d'accès de tunnels à tuyauteries dans la cale à marchandises et la salle des machines pour drainer le mazout et le pomper à partir de la salle des machines. Ces couvercles n'ont jamais été remis en place, ce qui a compromis l'étanchéité des compartiments. Plus tard, lorsque l'eau a pénétré dans la cale à marchandises, elle a pu envahir progressivement la salle des machines par le tunnel à tuyauteries et le navire a coulé. L'équipage a abandonné le navire à bord de radeaux de sauvetage et a été recueilli par un autre navire de pêche 1 heure plus tard. Personne n'a été blessé.

En outre, le BST avait déjà enquêté sur un événement qui avait mis en évidence des questions de sécurité similaires liées aux combinaisons d'immersion et à l'infiltration d'eau.

En février 2004, le navire de pêche commerciale Hope BayNote de bas de page 38 s'est incliné subitement sur tribord et a chaviré en traversant le détroit de la Reine-Charlotte (Colombie-Britannique). Les 4 personnes à bord ont abandonné le navire en sautant à la mer, mais seulement 3 d'entre elles portaient une combinaison d'immersion. Le personnel de recherche et sauvetage a secouru 1 personne qui portait une combinaison d'immersion et récupéré les corps des 3 autres personnes. La combinaison d'immersion portée par 2 des personnes décédées était remplie d'eau froide. La combinaison d'immersion portée par la personne survivante a limité efficacement l'infiltration d'eau froide.

1.18 Liste de surveillance du Bureau de la sécurité des transports du Canada

La sécurité de la pêche commerciale restera sur la Liste de surveillance jusqu'à ce que :

  • de nouveaux règlements encadrant les navires de pêche commerciale de toutes tailles soient mis en œuvre;
  • des lignes directrices conviviales sur la stabilité des navires soient établies et appliquées afin de réduire les pratiques non sécuritaires;
  • il est prouvé qu'un changement de comportement s'opère parmi les pêcheurs en ce qui a trait à l'utilisation des vêtements de flottaison individuels, des RLS et des vêtements de survie, et que des évaluations des risques et des exercices de sécurité ont lieu à bord;
  • les autorités fédérales et provinciales, ainsi que les leaders du milieu de la pêche et les pêcheurs eux-mêmes, posent des gestes concertés et coordonnés en vue de mettre en place des initiatives solides dans les régions et de développer une saine culture de sécurité dans le milieu de la pêche.

La Liste de surveillance du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La sécurité de la pêche commerciale est inscrite sur la liste de surveillance 2016.

La sécurité de la pêche commerciale est inscrite sur la Liste de surveillance depuis 2010. Au Canada, depuis 2006, le nombre des pêcheurs enregistrés et des bateaux de pêche en activité a diminué dans son ensemble. Pourtant, le nombre moyen des décès s'est maintenu à 10 par année. Le Bureau demeure préoccupé par la stabilité des bateaux, l'utilisation et la disponibilité des engins de sauvetage ainsi que par les pratiques d'exploitation non sécuritaires à bord des bateaux. Bien que le règlement qui s'applique aux bateaux de pêche de moins de 24,4 m de longueur (première phase du Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche) ait été publié et va probablement réduire certains des risques liés aux lacunes de sécurité en suspens, il subsiste des lacunes comme les évaluations de stabilité et les directives afférentes, la présence de radiobalises de localisation des sinistres (RLS) et le port de combinaisons d'immersion à bord de ces navires. En ce qui concerne la troisième phase du règlement, qui s'appliquera aux grands navires de pêche de plus de 24,4 m de longueur, les travaux ne sont pas commencés.

La Liste de surveillance met en évidence la nécessité de mesures concertées et coordonnées par les autorités fédérales et provinciales, ainsi que par les dirigeants de la communauté des pêcheurs pour améliorer la culture de sécurité dans les activités de pêche, en reconnaissant l'interaction des lacunes de sécurité.

1.19 Rapports de laboratoire du Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le BST a complété le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

2.1 Facteurs ayant mené à l'envahissement par les eaux

Avant l'envahissement par les eaux de la cale à marchandises, le Saputi remorquait 2 chaluts. Pendant cette opération, il faut maintenir le navire en allure lente et constante pour que les chaluts ne s'accrochent pas au fond et fonctionnent comme prévu. Le capitaine a détecté la présence d'un bloc de glace isolé par l'avant et l'a estimé sans danger pour le navire. Malgré le recours à tous les appareils de navigation disponibles et à une méthode judicieuse d'évaluation visuelle, les glaces inoffensives vues par le capitaine cachaient un bourguignon ou un bloc de glace pluriannuelle. Le capitaine a choisi de venir sur bâbord, juste assez pour éviter la glace et pour garantir que l'allure du navire ne serait pas réduite par un grand virage. Suite à cette manœuvre, le navire a gîté sur bâbord. Alors que le navire dépassait la glace, une houle du sud-est l'a soulevé et, en retombant, il a percuté le bloc de glace. En raison de la gîte sur bâbord, la glace a touché le navire plus bas que s'il avait été redressé au moment du choc, mais tout de même dans les limites de la zone de bordé renforcé. La coque du navire a été endommagée, ce qui a provoqué une infiltration d'eau non contenue dans la cale réfrigérée.

La cote glace octroyée au navire lors de sa construction et dûment maintenue par la suite correspondait aux conditions d'exploitation. Les essais effectués sur le bordé de coque ont également indiqué que la structure du navire était saine avant le choc et que les propriétés de l'acier du bordé atteignaient et dépassaient les exigences pour cette qualité d'acier. Le navire était conforme à toutes les exigences réglementaires du Système des régimes de glaces pour la navigation dans l'Arctique (SRGNA) et le capitaine avait l'expérience de la navigation dans les glaces et de l'évaluation des glaces.

Malgré l'intensité de multiples efforts concertés, l'équipage n'a pas été en mesure de contrer l'infiltration d'eau ni de stabiliser complètement le navire. Pendant un certain temps, les colmatages temporaires réalisés par l'équipage à l'intérieur de la cale à marchandises ont réussi à réduire l'infiltration, mais cette dernière a considérablement augmenté pendant le voyage vers le port par temps violent. Cette augmentation a probablement été provoquée par un déplacement des colmatages temporaires, l'agrandissement de la fissure initiale ou une pression accrue sur la fissure en raison du gros temps, ou encore une combinaison de ces 3 facteurs.

Le navire disposait d'un débit de pompage non négligeable, augmenté de celui fourni par les ressources de recherche et sauvetage (SAR), mais les débris de marchandise mêlés à l'eau bouchaient les prises d'aspiration des pompes, ce qui les empêchait de fonctionner à plein débit. L'eau a continué d'envahir la cale à marchandises et le navire a pris un angle de gîte considérable sur bâbord qui n'a pu être corrigé par le transfert de liquides ou d'autres moyens.

Sans plan de maîtrise des avaries ou matériel désigné, l'équipage a fait appel à son expérience du navire, à sa créativité et aux pièces disponibles pour ralentir l'infiltration de l'eau, puis pour isoler la cale à marchandises des autres compartiments adjacents afin d'éviter l'envahissement complet du navire. Le navire a poursuivi sa route par ses propres moyens jusqu'au port où il est arrivé 3 jours après avoir percuté le bloc de glace, et ce, sans qu'aucun membre de l'équipage ait été blessé.

2.2 Évaluation des glaces flottantes

Il est vital pour les navigateurs d'évaluer les glaces et d'identifier les types qui peuvent endommager le navire. Dans la zone où s'est produit l'événement à l'étude, les navigateurs pilotent des navires renforcés pour les glaces et s'attendent à heurter de la glace au cours d'un voyage. Ils ont toutefois recours à la technologie disponible pour détecter la glace (radars standards et caméra à infrarouges [FLIR]) ainsi qu'à l'évaluation visuelle pour savoir quels blocs de glace doivent être évités.

Dans l'événement à l'étude, le capitaine avait une expérience considérable de la navigation dans les glaces. Il a détecté le bloc de glace au moyen du radar de navigation maritime et par observation visuelle, même si la caméra thermique ne fonctionnait pas. Le capitaine connaissait les caractéristiques des divers types de glace flottante. Par observation visuelle, il a estimé que le bloc de glace n'était pas dangereux, et ce, en fonction de sa couleur et de son aspect, ainsi que de la hauteur de sa partie émergée. Comme il semblait que c'était de la glace de première année composée de fragments plus petits agglomérés en un floe, le capitaine a conclu à l'improbabilité qu'elle endommage le navire.

Étant donné l'avarie subie par le navire, les inoffensifs fragments de glace de première année plus petits couvraient probablement un bloc plus dur de glace pluriannuelle ou un bourguignon. Malgré le recours à des techniques appropriées de détection et d'évaluation des glaces flottantes, il reste possible que de la glace dangereuse pour un navire soit recouverte de glace mince et échappe ainsi à la détection. Il est crucial que les navigateurs soient prudents en évaluant les glaces flottantes et qu'ils mettent en œuvre tous les moyens disponibles pour garantir l'exactitude de leur identification.

Les navigateurs peuvent ne pas percevoir la menace d'une glace dangereuse recouverte de glace mince ou d'une légère couche de neige, ce qui les expose au risque d'endommager leur navire.

2.3 Compartimentage

La réglementation canadienneNote de bas de page 39 stipule que certains types de navires doivent être construits en prévoyant un compartimentage suffisant pour résister à l'envahissement d'un de leurs compartiments principaux. Cependant, cette exigence ne s'applique pas aux navires de pêche.

En outre, les navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces risquent davantage de subir une avarie de coque en raison des chocs contre la glace. Dans l'événement à l'étude, le Saputi a percuté un bloc de glace qui a endommagé sa coque et provoqué l'envahissement par les eaux de sa cale à marchandises, l'espace le plus grand à bord. Cette cale, qui se trouve dans la partie avant du navire, s'étend sur plus de la moitié de la longueur totale et sur la totalité de la largeur de ce dernier, ainsi qu'en profondeur, sous sa ligne de flottaison. En raison de la taille et de l'emplacement de la cale à marchandises, si un navire de pêche subit une avarie causée par des glaces, ce sera, selon toute probabilité, au niveau de ladite cale.

Le Saputi et tout autre navire de pêche exploité dans des eaux envahies par les glaces ne sont soumis à aucune exigence réglementaire de maintien de la flottabilité en cas d'avarie et d'envahissement par les eaux de la cale à marchandises. Dans l'événement à l'étude, le Saputi a été en mesure de courir jusqu'au port après l'avarie et l'envahissement par les eaux. Toutefois, la capacité de résistance du navire à l'envahissement complet de la cale à marchandises a été fortuite et non due à sa conception.

Par conséquent, si les navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces ne sont pas conçus et construits pour résister à l'envahissement final d'un des compartiments principaux, ils risquent de ne pas pouvoir se maintenir à flot en cas de perte d'intégrité de l'étanchéité à l'eau.

2.4 Planification de la maîtrise des avaries

Malgré les mesures de protection prises (navire renforcé pour les glaces, conformité aux normes SRGNA, présence à bord d'un officier qualifié pour la navigation dans les glaces et navigation à une allure qui réduirait les dégâts causés par un choc contre la glace), les navires peuvent être (et sont) endommagés dans les eaux envahies par les glaces. De plus, il y a un vide réglementaire quant au compartimentage des navires de pêche en ce qui concerne la résistance à l'envahissement de l'un quelconque des compartiments principaux. À ce titre, il est important de disposer d'un plan de maîtrise des avaries à bord afin que les membres de l'équipage prennent des mesures éclairées, appropriées et efficaces pour limiter les dommages et éviter les pertes de vies.

Dans l'événement à l'étude, les membres de l'équipage du Saputi ont fait appel à leur créativité et à leur expérience pour réagir à l'envahissement par les eaux du compartiment au fil de l'évolution de la situation. Pendant un certain temps, ils ont été en mesure de contrer et de gérer la voie d'eau au moyen de pompes et de colmatages temporaires. Le temps ainsi gagné leur a permis de consulter un architecte naval pour vérifier si le navire pouvait conserver sa verticalité en cas d'envahissement complet du compartiment, ce qui a été confirmé.

Or, le capitaine et l'équipage auraient bénéficié d'une planification de la maîtrise des avaries. En effet, ils auraient eu en main des renseignements concrets et facilement disponibles sur les compartiments étanches du navire et sur les moyens de fermer les ouvertures dans les limites d'étanchéité pour maximiser la stabilité et la capacité de survie, ainsi que pour prévenir l'envahissement des espaces adjacents.

L'équipage du Saputi aurait pu alors remédier à certaines difficultés rencontrées, comme suit :

En outre, l'équipage du Saputi a improvisé et utilisé du matériel disponible non spécialement prévu pour la maîtrise des avaries. Les propriétaires et les exploitants qui se dotent d'un plan de maîtrise des avaries sont en mesure d'acquérir de l'équipement et des matériaux appropriés pour mieux réagir aux dommages risquant de se produire.

Enfin, le lieu de l'événement peut être très éloigné, comme dans l'événement à l'étude, dans des eaux où se trouvent peu ou pas de navires. Après la demande de l'équipage, près de 6 heures se sont écoulées avant qu'un aéronef n'apporte les pompes nécessaires au Saputi. Comme l'assistance des ressources SAR peut être retardée en raison de la distance ou de la disponibilité, il est important que l'équipage soit préparé à intervenir de manière autonome en cas d'avarie du navire.

Par conséquent, si les navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces n'ont aucun plan ni opuscule de maîtrise des avaries à bord, il se peut que le capitaine et l'équipage ne soient pas préparés pour réagir correctement à une urgence occasionnée par une voie d'eau et soient incapables de maintenir le navire à flot jusqu'à l'arrivée des ressources de recherche et sauvetage.

2.5 Pompes fournies par les ressources de recherche et sauvetage

Il est essentiel que le matériel mis à la disposition d'un navire en détresse par les ressources SAR fonctionne comme prévu pour remédier efficacement à une urgence.

Dans l'événement à l'étude, les pompes à essence fournies par les ressources SAR canadiennes pour remédier à l'incident n'ont pas été efficaces et l'équipage a consacré un temps considérable à essayer de les maintenir en service dans des conditions difficiles. L'efficacité de ces pompes a été limitée par l'impossibilité de rallonger le tuyau d'aspiration, les difficultés de les amorcer et de les exploiter sur un pont incliné ainsi que la méthode utilisée pour empêcher les débris d'obstruer l'aspiration. Quoique ces pompes puissent être fonctionnelles dans d'autres circonstances, cela n'a pas été le cas au cours de l'événement à l'étude en raison de la taille du navire, de la forte gîte et des débris de marchandises mêlés à l'eau dans la cale.

Certes, toute autre pompe d'assèchement aurait été mise en difficulté par les débris flottant dans la cale à marchandises envahie. Mais les autres problèmes (gaz d'échappement dégagés par les moteurs à essence tournant dans des espaces clos, tuyaux d'aspiration et de refoulement trop courts, calage des moteurs sur les ponts inclinés et amorçage difficile de la pompe et du tuyau d'aspiration) ont été résolus lorsque l'équipage a utilisé les pompes fournies par le navire SAR arrivé du Groenland.

Le matériel fourni par les ressources SAR canadiennes doit être compact et solide pour faciliter son déploiement rapide par les airs. Cependant, la capacité de survie d'un navire et de l'équipage est maximisée lorsque ce matériel est approprié à la taille et aux conditions du navire en détresse.

Si le matériel fourni par les ressources SAR ne convient pas à la taille et aux conditions du navire, on n'en retire pas le bénéfice maximal, et l'assistance apportée au navire et à son équipage risque de s'avérer inefficace.

2.6 Combinaisons d'immersion

Pour prévenir l'hypothermie, la combinaison d'immersion est efficace dans la mesure où elle est d'une taille adaptée au porteur (pour limiter la perte de chaleur corporelle) et empêche l'eau de s'infiltrer.

Dans l'événement à l'étude, au moment où il a fallu revêtir une combinaison d'immersion, les membres de l'équipage ont choisi la très grande taille, c'est-à-dire celle qu'on avait pris l'habitude de porter au cours des voyages antérieurs. Après l'avoir enfilée, les membres de l'équipage ont constaté que les combinaisons neuves, livrées à bord juste avant le voyage de l'événement à l'étude, étaient plus grandes que les anciennes. Le capitaine et l'équipage effectuaient régulièrement des exercices d'embarcation et d'incendie au cours desquels ils revêtaient une combinaison d'immersion pour en vérifier la bonne taille, mais ont omis de le faire avant ce voyage-là : la différence de taille est donc passée inaperçue.

Certes, il y avait 35 combinaisons d'immersion pour 30 membres d'équipage à bord, ce qui surpasse la norme requérant 1 combinaison par personne. Par contre, il n'y avait aucune indication d'existence d'une procédure ou d'une méthode permettant d'assurer une combinaison de taille adéquate à chacun des membres. Par exemple, il y avait seulement 1 combinaison de petite taille à bord. Si plusieurs membres d'équipage en avaient eu besoin, tous sauf 1 auraient dû en porter une plus grande, réduisant ainsi considérablement l'efficacité de la combinaison comme dispositif de sécurité.

En outre, presque la moitié des 35 combinaisons (46 %) à bord étaient de très grande taille, conçues pour des personnes mesurant plus de 1,91 m et pesant plus de 100 kg. Lorsque les 2 derniers membres d'équipage sont allés se procurer la combinaison de taille universelle qu'ils auraient dû normalement porter, il ne restait que des combinaisons de très grande taille : plusieurs membres d'équipage, ayant constaté qu'elles étaient trop grandes, avaient probablement opté pour une taille universelle.

Alors que la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche et le Règlement modifiant le Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche, qui entrera bientôt en vigueur, préconisent que les combinaisons d'immersion soient de tailles appropriées, ce n'est pas le cas du Règlement sur l'inspection des grands bateaux de pêche en vigueur qui s'applique au Saputi.

Si l'exploitant d'un navire ne dispose pas d'une procédure spécifique pour que chaque membre d'équipage dispose d'une combinaison d'immersion de la bonne taille lors de chaque voyage, et si la réglementation ne préconise pas de combinaisons d'immersion de tailles appropriées, la personne qui porte une combinaison d'immersion qui n'est pas à sa taille risque de ne pas être protégée contre les effets de l'immersion en eau froide.

2.7 Arrimage de la cargaison

Dans toutes les conditions normales d'exploitation, la méthode de chargement des marchandises par rangées successives dans la cale réfrigérée empêche le ripage de la cargaison, et c'est ainsi que l'on procédait à bord du navire en cause dans l'événement à l'étude. Une autre méthode souvent recommandée pour arrimer des cargaisons sujettes au ripage, comme le poisson en vrac, consiste à utiliser des planches de séparation pour diviser la cale à marchandises en compartiments plus petits.

À bord du Saputi, on avait déjà utilisé des planches de séparation, qui sont d'ailleurs indiquées sur le plan d'ensemble du navire, mais ce n'était plus le cas. L'équipage superposait plutôt les caisses en les imbriquant, ce qui les empêchait de se déplacer lorsque le navire était en route dans des conditions normales d'exploitation. L'ajout de planches de séparation aurait eu peu d'effet sur la stabilité ou la résistance au ripage supplémentaire.

Cependant, à mesure que l'eau envahissait la cale au cours de l'événement, les crevettes ont commencé à flotter, compromettant la disposition imbriquée des caisses. Le mélange de marchandises et d'eau se déplaçant sans restriction dans la cale a généré un important effet de carène liquide.

Dans l'événement à l'étude, les moyens d'arrimage et de cloisonnement de la cargaison n'étaient plus efficaces dès l'envahissement de la cale à marchandises. Outre le déplacement sans restriction de la cargaison nuisant à la stabilité du navire, l'efficacité des pompes de ce dernier a été compromise. Les navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces risquent de subir des avaries causées par les glaces et, par conséquent, d'être envahis par l'eau. En outre, la taille et l'emplacement de la cale à marchandises augmentent le risque d'envahissement de cet espace.

Si les membres d'équipage des navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces ne tiennent pas compte des répercussions possibles d'un envahissement sur l'arrimage de la cargaison, les moyens mis en œuvre à cet effet risquent de perdre leur efficacité et les marchandises risquent de nuire aux opérations de pompage à bord en cas d'envahissement, accroissant ainsi les difficultés de gestion de l'urgence.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Pendant que le Saputi virait à bâbord pour dépasser un bloc de glace, il a été soulevé par une houle du sud-est et, en retombant, a percuté ce bloc de glace.
  2. La coque du navire a été endommagée, ce qui a provoqué une infiltration d'eau non contenue dans la cale réfrigérée.
  3. Malgré le recours aux pompes du navire et à celles fournies par les ressources de recherche et sauvetage, l'équipage n'a pas été en mesure de contrer l'infiltration d'eau, car des débris de marchandise mêlés à l'eau ont obstrué les prises d'aspiration des pompes, les empêchant de fonctionner à plein débit.
  4. L'eau a continué d'envahir la cale à marchandises et le navire a pris un angle de gîte considérable sur bâbord qui n'a pu être corrigé par le transfert de liquides ou d'autres moyens.
  5. L'équipage a été en mesure de sceller la cale à marchandises, et le navire s'est rendu jusqu'au port par ses propres moyens.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Les navigateurs peuvent ne pas percevoir la menace d'une glace dangereuse recouverte de glace mince ou d'une légère couche de neige, ce qui les expose au risque d'endommager leur navire.
  2. Si les navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces ne sont pas conçus et construits pour résister à l'envahissement final d'un des compartiments principaux, ils risquent de ne pas pouvoir se maintenir à flot en cas de perte d'intégrité de l'étanchéité à l'eau.
  3. Si les navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces n'ont aucun plan ni opuscule de maîtrise des avaries à bord, il se peut que le capitaine et l'équipage ne soient pas préparés pour réagir correctement à une urgence occasionnée par une voie d'eau et soient incapables de maintenir le navire à flot jusqu'à l'arrivée des ressources de sauvetage.
  4. Si le matériel fourni par les ressources de recherche et sauvetage ne convient pas à la taille et aux conditions du navire, on n'en retire pas le bénéfice maximal, et l'assistance apportée au navire et à son équipage risque de s'avérer inefficace.
  5. Si l'exploitant d'un navire n'a aucune procédure spécifique pour que chaque membre d'équipage dispose d'une combinaison d'immersion de la bonne taille lors de chaque voyage, et si la réglementation ne préconise pas de combinaisons d'immersion de tailles appropriées, la personne qui porte une combinaison d'immersion qui n'est pas à sa taille risque de ne pas être protégée contre les effets de l'immersion en eau froide.
  6. Si les membres d'équipage des navires de pêche exploités dans des eaux envahies par les glaces ne tiennent pas compte des répercussions possibles d'un envahissement sur l'arrimage de la cargaison, les moyens mis en œuvre à cet effet risquent de perdre leur efficacité, accroissant ainsi les difficultés de gestion de l'urgence.

3.1 Autres faits établis

  1. Toutes les combinaisons d'immersion approuvées par Transports Canada garantissent un niveau de protection contre l'immersion en eau froide, mais leurs caractéristiques de conception varient selon les fabricants. Ainsi, certaines de ces caractéristiques améliorent considérablement l'ergonomie de la combinaison, par exemple celles qui assurent un niveau élevé de mobilité. Dans de nombreuses circonstances, les membres d'équipage doivent revêtir une combinaison pour se préparer à une possible immersion tout en demeurant capables d'exécuter d'autres tâches. À ce titre, outre l'approbation de Transports Canada, les qualités et limites d'une combinaison donnée constituent des éléments importants à prendre en compte par les propriétaires et exploitants de navires.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Qikiqtaaluk Fisheries

À la suite de l'événement à l'étude, l'entreprise a fait inspecter toutes les combinaisons d'immersion à bord du Saputi par un technicien en entretien autorisé.  Plusieurs combinaisons ont été jugées non appropriées, et ont été remplacées.  Plusieurs ont été échangées contre des combinaisons de conception différente pour améliorer le niveau de mobilité de l'équipage tout en veillant à ce que tous à bord disposent d'une combinaison de la bonne taille.

4.1.2 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 15 septembre 2016, le Bureau de la sécurité des transports du Canada a envoyé :

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Plan d'ensemble du navire

Source : Nataaqnaq Fisheries (cadré par le BST)
Plan d'ensemble du navire Saputi

Annexe B – Carte de la zone de pêche de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO) comprenant la division 0B

Source : Pêches et Océans Canada, disponible à l'adresse http://www.dfo-mpo.gc.ca/international/media/images/NAFOmap-carteOPANOlg-fra.jpg (dernière consultation le 30 mars 2017).
Carte de la zone de pêche de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest comprenant la division 0B

Annexe C – Gréement de chaluts jumeaux à 3 funes

Annexe D – Zones de pêche de la crevette nordique

Source : Pêches et Océans Canada, disponible à l'adresse http://www.dfo-mpo.gc.ca/fm-gp/peches-fisheries/ifmp-gmp/shrimp-crevette/shrimp-crevette-2007-fra.htm (dernière consultation le 30 mars 2017).
Zones de pêche de la crevette nordique

Annexe E – Lieu de l'événement

Source : Google Earth, avec annotations du BST
Lieu de l'événement

Annexe F – Croquis de l'avarie (extérieur)

Source : Nataaqnaq Fisheries, avec annotations du BST
Croquis de l'avarie (extérieur)

Annexe G – Croquis de l'avarie (intérieur)

Annexe H – Carte des glaces

Source : Service canadien des glaces, avec annotations du BST
Carte des glaces

Annexe I – Exemple de plan de maîtrise des avaries