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Rapport d'enquête ferroviaire R96C0086

Train parti à la dérive
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises numéro 607-042
Point milliaire 133,0, subdivision Laggan
Field (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 13 avril 1996, le train de marchandises no 607 042 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) roulait dans la subdivision Laggan à destination de Field (Colombie-Britannique), en provenance de Calgary (Alberta). Après que le train a dépassé l'aiguillage est à Cathedral, point milliaire 131,9, il a commencé à accélérer et le mécanicien a essayé à plusieurs reprises, mais en vain, de réduire la vitesse. Le train fou a descendu la forte pente sur une distance d'environ quatre milles. On est finalement parvenu à l'arrêter au point milliaire 0,15 de la subdivision voisine, la subdivision Mountain, vers 3 h 35, heure avancée des Rocheuses. L'incident n'a pas causé de blessures et n'a pas fait de dommages.

Le Bureau a déterminé qu'on a décidé à tort de mettre le train en marche alors que le circuit de freinage à air comprimé n'était plus sous pression, dans des circonstances qui empêchaient de recouvrer la capacité de freinage en cours de route. Plusieurs facteurs, notamment la décision de ne pas se servir des robinets de retenue, le fait qu'on ne s'est pas conformé aux instructions pertinentes, les nombreux serrages de freins et le fait que le chef de train ne comprenait pas le fonctionnement du système Locotrol, ont pu contribuer à l'événement.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'incident

Le 12 avril 1996, le train no 607 042 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) part de Calgary, point milliaire 0,0 de la subdivision Laggan, vers 17 h 25Note de bas de page 1, et roule vers l'ouest à destination de Field, point milliaire 136,6. Le trajet entre Calgary et Stephen (point milliaire 123,0) se déroule sans incident.

À Stephen, on arrête le train au signal 1229 pour se conformer à une indication d'«arrêt absolu». Le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) prévient l'équipe que la ligne de codage de signalisation ne fonctionne pas entre les points milliaires 92,7 et 136,6 et il autorise le train, en vertu de la règle 564 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), à poursuivre sa route après avoir fait les arrêts obligatoires aux signaux 1275, 1287 et 1319. Le CCF ordonne aussi à l'équipe de ne pas dépasser le signal 1331, malgré l'indication affichée, tant que le CCF n'en aurait pas donné l'autorisation.

Une fois le train sorti du tunnel Upper Spiral (point milliaire 128,8), le mécanicien éprouve des difficultés à maintenir une vitesse constante et finit par perdre la maîtrise du train. Il réussit à immobiliser le train au point milliaire 0,15 de la subdivision Mountain voisine.

1.2 Renseignements sur le lieu de l'événement

Dans la subdivision Laggan, la voie principale simple relie Calgary à Field, en suivant un terrain montagneux et accidenté où elle traverse des tunnels, suit des pentes fortes et décrit de nombreuses courbes serrées. Entre Stephen et Field, la pente descendante varie entre 1,7 et 2,4 p. 100. Ce tronçon est communément connu sous le nom de Field Hill. À Field, la voie rejoint la subdivision Mountain (voir l'annexe A).

Entre les points milliaires 122,9 et 136,6, la vitesse autorisée pour les trains de marchandises roulant vers l'ouest est de 20 mi/h.

1.3 Renseignements sur le train

Le train comptait 112 wagons chargés, entraînés par 4 locomotives. Il mesurait environ 6 900 pieds et pesait quelque 14 800 tonnes. Il s'agissait d'un train à commande Locotrol, c'est à dire qu'il avait deux locomotives en tête et deux locomotives télécommandées qui se trouvaient derrière le 56e wagon à partir de la tête.

Après l'incident, le personnel des ateliers du CFCP a inspecté le train et l'a soumis à des essais. On a déterminé que les freins du train étaient en bon état de fonctionnement et que le système Locotrol fonctionnait comme il se devait.

1.4 Système Locotrol

1.4.1 Généralités

Le Locotrol est un système qui commande à distance un groupe de traction placé dans le corps du train. Les signaux de télécommande sont transmis par radio à partir de la locomotive de tête. Le système peut servir en mode de fonctionnement à unités multiples ou en mode de fonctionnement autonome. En mode à unités multiples, les signaux transmis par le mécanicien sont répétés dans les locomotives télécommandées. Si les conditions exigent que le groupe de traction avant et le groupe de traction télécommandé utilisent des réglages différents des gaz ou des valeurs différentes de freinage rhéostatique, on doit fonctionner en mode autonome. Un interrupteur de sélection de mode et des commandes autonomes placées dans le pupitre de commande de la locomotive de tête permettent de choisir le mode d'exploitation voulu.

1.4.2 Dispositifs de sécurité

Le système Locotrol est muni de dispositifs de sécurité, notamment :

  1. Un capteur de basse pression de freinage

    Si la pression de la conduite générale tombe à moins de 45 livres au pouce carré (lb/po2), le dispositif déclenche un serrage d'urgence des freins.

  2. Alerte d'interruption de communication (COMM INT)

    Un voyant «COMM INT» s'allume dans le pupitre de commande de la locomotive si la communication radio entre les locomotives de tête et les locomotives télécommandées s'interrompt. La locomotive de tête signale une interruption de communication 45 secondes après la dernière vérification réussie (le système vérifie automatiquement la continuité des signaux radio toutes les 20 secondes), ou 10 secondes après un message de freinage d'urgence qui n'a pas donné les résultats escomptés. En cas d'interruption des communications, les locomotives télécommandées passent automatiquement en commande prioritaire et conservent les réglages des gaz ou les réglages de freinage rhéostatique, ou les deux, qui leur étaient appliqués tout juste avant la perte de la liaison radio. Toute tentative pour commander un desserrage automatique (augmentation de la pression dans la conduite générale) pendant une interruption de communication est détectée dans les locomotives télécommandées et provoque un serrage d'urgence des freins. Une dépression d'au moins 10 lb/po2 (serrage automatique des freins) met en échec la commande prioritaire et permet d'actionner les freins à air dans tout le train.

Pendant que le train traverse les tunnels Upper Spiral et Lower Spiral, la communication radio est habituellement interrompue entre les locomotives de tête et les locomotives télécommandées. Les mécaniciens s'y attendent et en tiennent compte quand ils roulent dans le secteur de Field Hill.

1.5 Interrupteur pneumatique de traction

L'interrupteur pneumatique de traction (PC), ou coupe-puissance, est un interrupteur électrique à commande pneumatique qui peut ramener automatiquement au ralenti le moteur de la locomotive ou couper la puissance des moteurs. Si le voyant de l'interrupteur PC s'allume dans le pupitre de commande de la locomotive, cela signifie que la puissance des locomotives télécommandées a été coupée, habituellement après un freinage d'urgence.

1.6 Fonctionnement des freins à air

Les chemins de fer canadiens emploient un système de freinage à air comprimé. Le circuit de freinage à air se compose de sous-systèmes qui sont reliés entre eux et qui sont reliés aux locomotives par l'entremise d'une conduite (la conduite générale). Les sous-systèmes des wagons consistent en des éléments pneumatiques et mécaniques qui transforment la pression de l'air, acheminée vers les cylindres de frein, en force mécanique appliquée aux roues. L'air comprimé est fourni par la locomotive. Lorsqu'il actionne les freins, le mécanicien règle la pression de l'air dans la conduite générale en manipulant le robinet de mécanicien (ou robinet de frein automatique).

Les distributeurs de chaque wagon et des locomotives réagissent dès que l'on commande un changement de pression dans la conduite générale. Une réduction de pression dans la conduite générale fait en sorte que le distributeur de chaque wagon actionne les cylindres de frein à partir du réservoir auxiliaire du wagon. L'effort de freinage est directement proportionnel à la réduction de pression qui se produit dans la conduite générale, laquelle est commandée par l'entremise du robinet de mécanicien.

Chaque wagon est muni d'un réservoir auxiliaire et d'un réservoir d'urgence. Le réservoir auxiliaire emmagasine l'air qui sert pour les freinages normaux, tandis que le réservoir d'urgence fournit une réserve additionnelle d'air en prévision des serrages d'urgence. Les deux réservoirs sont reliés entre eux par l'intermédiaire des distributeurs. L'air des deux réservoirs est remplacé quand le circuit est réalimenté en air comprimé par les locomotives, par l'intermédiaire de la conduite générale.

Les freins des trains de marchandises sont des freins dits à desserrage direct, ce qui fait que le desserrage partiel des cylindres de frein n'est pas possible à moins que les robinets de retenue ne soient en service. Chaque fois que le robinet de mécanicien est placé à la position de desserrage (alimentation), les cylindres de frein évacuent l'air qu'ils contiennent.

Le robinet de retenue contrôle l'échappement à l'atmosphère de la pression contenue dans les cylindres de frein; on peut le régler manuellement : a) pour laisser la pression des cylindres de frein s'échapper directement dans l'atmosphère; ou b) pour conserver une partie de la pression dans les cylindres de frein pour aider à ralentir le train dans les pentes descendantes pendant que le circuit se réalimente en air comprimé ou pour causer directement une évacuation lente et complète de l'air contenu dans les cylindres de frein. Tous les wagons de marchandises sont équipés de robinets de retenue. Le robinet se trouve au bout «B» du wagon, ou sur le côté du wagon près du distributeur.

1.6.1 Réalimentation du circuit de freinage à air comprimé

L'article 3.5, Utilisation du robinet de frein automatique, de la section 16 des Instructions générales d'exploitation du CFCP stipule que :

Si la pression de la conduite générale tombe sous les 48 lb/po2 lors d'un freinage normal, arrêter le train et réalimenter le circuit de freinage.

L'article 19.1, Réarmement de l'équipement de frein après un freinage d'urgence, de la section 17 des Instructions générales d'exploitation du CFCP stipule que :

Il faut serrer un nombre suffisant de freins à main pour empêcher le train de bouger pendant qu'on essaie de réarmer le coupe-puissance (PC) d'urgence et de réalimenter le circuit de freinage du train.

L'article 5.9, Robinets de retenue, de la section 19 des Instructions générales d'exploitation du CFCP stipule que :

Le robinet de retenue ... permet soit ... d'y maintenir [dans les cylindres de frein] une certaine pression pour aider à ralentir le train sur les longues pentes durant la réalimentation du circuit de freinage ....

L'article 28.4 de la section 15 traite aussi des robinets de retenue. On y lit :

b) Les robinets de retenue doivent être utilisés sur toute pente où le mécanicien juge que leur emploi est nécessaire. Les manettes seront placées à la position HP (high pressure) sur les wagons chargés, et à la position SD (slow direct) sur les wagons vides.

Pendant la réalimentation du circuit de freinage, il faut prévoir suffisamment de temps pour permettre à l'air de traverser les conduites et les orifices associés et de remplir les réservoirs de tout le circuit de freinage. Quand le circuit n'est plus sous pression, il faut une quinzaine de minutes environ pour réalimenter le circuit d'un train de 50 wagons, et une quarantaine de minutes si le train compte 150 wagons. Le froid peut allonger les délais de réalimentation. Les serrages répétitifs des freins à air, sans qu'on laisse le temps au circuit de se réalimenter, ont pour effet d'épuiser la réserve d'air contenue dans les réservoirs auxiliaires. Si les réservoirs d'urgence sont également épuisés, le circuit n'a plus aucune possibilité de freinage.

1.7 Spécialiste central des locomotives

Grâce à une liaison radio, le spécialiste central des locomotives (CLS) aide les équipes des trains à réduire les retards des trains lorsque survient une panne des locomotives en ligne et du dispositif Locotrol. Le rôle du CLS consiste à fournir en continu une expertise et des conseils techniques à l'intention des mécaniciens qui sont aux prises avec des pannes de ce genre. Pour obtenir les services du CLS, les équipes des trains prennent contact avec le CCF.

Il incombe aussi au CLS d'analyser et de consigner les défectuosités des locomotives et du dispositif Locotrol et d'identifier les locomotives susceptibles de poser des problèmes.

1.8 Circulation ferroviaire

1.8.1 Méthode de contrôle du mouvement des trains

Dans la subdivision Laggan, le mouvement des trains est régi par le système de commande centralisée de la circulation en vertu du REF, ainsi que par les Instructions générales d'exploitation du CFCP, et est surveillé par un CCF posté à Calgary.

1.8.2 Règle 564 du REF : Arrêt à un signal d'arrêt absolu

Un train doit être autorisé à franchir un signal indiquant «arrêt absolu». S'il reçoit cette autorisation, il doit s'arrêter à chacun des signaux en question. Le train doit ensuite se déplacer à vitesse de marche à vue, c'est-à-dire à un maximum de 15 mi/h, jusqu'au signal suivant.

Le CCF a autorisé le mécanicien à franchir les signaux 1275, 1287 et 1319 en vertu de la règle 564 du REF.

1.9 Le train parti à la dérive

Le train s'est arrêté sans incident aux signaux 1275 et 1287. Pendant que le train se dirigeait vers le tunnel Upper Spiral, le mécanicien a réglé la vitesse du train en mode autonome en serrant les freins à air du train et en se servant des freins rhéostatiques des locomotives de tête. Quand le train a commencé à ralentir, le mécanicien a augmenté les gaz des locomotives télécommandées. Lorsque la locomotive de tête est entrée dans le tunnel Upper Spiral, le train a pris de la vitesse. Le mécanicien a alors réduit les gaz des locomotives télécommandées pour compenser; toutefois, le signal n'a pas été capté, ce qui fait que le régime des moteurs et la vitesse du train n'ont pas diminué puisque la communication radio s'était interrompue au moment où la locomotive de tête avait pénétré dans le tunnel.

Le mécanicien est alors passé du mode de fonctionnement autonome au mode de fonctionnement à unités multiples sur le Locotrol, et a continué d'utiliser le freinage rhéostatique des locomotives de tête. La communication radio s'est rétablie momentanément lorsque la locomotive de tête est sortie du tunnel. Les locomotives télécommandées ont alors reproduit immédiatement les commandes de freinage rhéostatique qui avaient été données aux locomotives de tête. Quand les locomotives télécommandées sont entrées dans le tunnel, la communication radio s'est de nouveau interrompue, ce qui fait que les locomotives télécommandées sont restées en mode de freinage rhéostatique. Le train s'est mis à perdre de la vitesse; le mécanicien a alors commandé le desserrage des freins, ce qui a provoqué un freinage d'urgence puisque la pression dans la conduite générale a augmenté pendant une interruption de la communication. Le train s'est arrêté, les locomotives télécommandées étant encore à l'intérieur du tunnel.

Le mécanicien a signalé au CCF que le train était arrêté et a demandé l'assistance du CLS. Ce dernier a communiqué par radio avec l'équipe du train et a suggéré d'isoler les locomotives télécommandées de façon à pouvoir réalimenter la conduite générale après le serrage d'urgence. On pourrait alors tirer les locomotives télécommandées pour les faire sortir du tunnel, après quoi la communication radio serait rétablie.

Après avoir reçu des instructions du mécanicien, le chef de train s'est rendu à pied jusqu'aux locomotives télécommandées. À son arrivée sur place, le chef de train a fermé le robinet d'arrêt derrière les locomotives télécommandées, de façon à maintenir la pression dans la conduite générale et à laisser les freins de la partie arrière du train en position de serrage d'urgence. En isolant les locomotives télécommandées, il a déclenché accidentellement deux serrages d'urgence des freins et n'était pas certain de s'être acquitté correctement de sa tâche. Il a alors rouvert le robinet d'arrêt derrière les locomotives télécommandées, ce qui a eu pour effet de desserrer les freins du train. Le mécanicien a alors pu tirer les locomotives télécommandées pour les faire sortir du tunnel.

La communication radio du Locotrol s'est alors rétablie et le mécanicien s'est préparé à repartir. Dès que le train s'est ébranlé, un nouveau freinage d'urgence s'est produit, étant donné que la pression de la conduite générale du groupe de traction télécommandé était tombée à moins de 45 lb/po2. À ce moment, le chef de train a demandé au mécanicien s'il fallait se servir des robinets de retenue pendant la réalimentation du circuit de freinage. Le mécanicien a répondu qu'il allait repartir après avoir contré le serrage d'urgence et qu'il réalimenterait le circuit de freinage en cours de route.

Une fois les freins desserrés et le train en route vers Cathedral, le mécanicien a éprouvé de la difficulté à moduler la vitesse du train et il a commandé un freinage d'urgence. Au signal 1319, le mécanicien a immobilisé le train au moyen d'un autre freinage d'urgence. À ce moment, le CCF a averti le mécanicien que la ligne de codage de signalisation était rétablie et que l'obligation de s'arrêter au signal 1331 en vertu de la règle 564 du REF était annulée. Une fois les freins desserrés (au point milliaire 131,9), la vitesse du train a augmenté rapidement. Le mécanicien a essayé en vain de moduler la vitesse du train en commandant des serrages d'urgence, essayant à chaque fois de réalimenter le circuit de freinage. Pendant ce temps, le mécanicien a signalé par radio qu'il avait perdu la maîtrise du train. Le chef de train a alors communiqué avec le CCF pour l'aviser de la situation. Le CCF, de son côté, a averti le CCF de la subdivision voisine, la subdivision Mountain, pour lui demander d'orienter les aiguillages pour laisser le train traverser Field sur la voie principale de la subdivision Mountain. Le train a fini par s'arrêter à trois longueurs de wagon à l'ouest du signal 15, à l'extrémité ouest du triage Field, dans la subdivision Mountain.

1.10 Victimes

Personne n'a été blessé par suite de l'incident.

1.11 Dommages

Le matériel roulant et la voie ferrée n'ont pas été endommagés.

1.12 Renseignements sur le personnel

L'équipe était composée d'un mécanicien et d'un chef de train qui prenaient tous deux place dans la locomotive de tête. Les membres de l'équipe répondaient aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matière de condition physique et de repos établis pour assurer la sécurité des opérations ferroviaires.

Le mécanicien a obtenu la qualification de mécanicien en 1983 et a accédé à son poste en 1993. Il comptait huit ans d'expérience dans le secteur de Field Hill à titre de chef de train et de mécanicien et avait fait quelque 1 000 voyages sans incident, dont plus de 100 à bord de trains à commande Locotrol. Son dernier voyage dans le secteur de Field Hill à bord d'un train à commande Locotrol remontait au 1er avril 1996.

Le chef de train a obtenu sa qualification en 1989. Au cours des deux dernières années, il avait travaillé surtout dans les subdivisions Laggan et Red Deer et avait très peu d'expérience de l'exploitation des trains à commande Locotrol dans le secteur de Field Hill. Il n'avait pas suivi de formation régulière sur l'exploitation des trains à commande Locotrol.

La compagnie ne dispense pas de formation aux chefs de train au sujet de l'exploitation des trains à commande Locotrol, puisque c'est le mécanicien qui est aux commandes des locomotives d'un train; toutefois, c'est le chef de train qui est responsable du train.

1.13 Données du consignateur d'événements

La retranscription des données du consignateur d'événements est conforme aux faits relatés par l'équipe.

1.14 Conditions météorologiques

La température était de 10 degrés Celsius. Le ciel était dégagé et les vents étaient légers.

1.15 Autres renseignements

1.15.1 Respirateurs

1.15.1.1 Bulletin mensuel d'exploitation

Dans le Bulletin mensuel d'exploitation qui s'adresse à tous les employés d'exploitation du CFCP, il est dit que si un train s'arrête dans les tunnels Upper Spiral et Lower Spiral (points milliaires 128,8 et 131,0), il peut arriver qu'un ou des membres de l'équipe d'un train doivent entrer dans le tunnel alors que l'atmosphère est nocive (en raison de la présence de gaz d'échappement des locomotives diesels) et que des dispositifs de protection respiratoire sont installés dans les deux tunnels et doivent être employés si les conditions l'exigent. La marche à suivre et les instructions pertinentes sont décrites dans ledit bulletin.

La politique de protection respiratoire du CFCP, en l'occurrence les politiques de santé et sécurité au travail et de prévention des accidents (imprimé 300 4), expose les directives auxquelles les employés doivent se conformer lorsqu'ils travaillent dans des espaces clos où ils risquent d'être exposés à des substance nocives (par exemple les gaz d'échappement des locomotives diesels).

Les employés qui travaillent dans des espaces clos doivent porter des respirateurs. Des appareils de ce genre se trouvent à l'entrée et à la sortie du tunnel Upper Spiral, ainsi qu'à 1 000 pieds de chaque extrémité du tunnel.

Le chef de train ne croyait pas qu'il aurait besoin d'un respirateur quand il est entré dans le tunnel Upper Spiral pour isoler les locomotives télécommandées. Il avait reçu la formation sur l'emploi des respirateurs et avait reçu des instructions sur la nécessité de les porter.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

Comme les décisions et les mesures prises par le mécanicien ont eu pour résultat final de rendre les freins du train inopérants au moment où le train descendait la pente de Field Hill, l'analyse a porté surtout sur les mesures qui ont pu gêner le mécanicien lorsqu'il a essayé de faire ralentir le train.

2.2 Examen des faits

2.2.1 Efficacité du circuit de freinage à air

Une fois les locomotives télécommandées sorties du tunnel Upper Spiral, le mécanicien pouvait réalimenter le circuit de freinage à air, soit en utilisant les robinets de retenue pour ralentir le train pendant qu'il continuait sa descente dans la pente de Field Hill et que le circuit de freinage se rechargeait, soit en arrêtant le train, en serrant un nombre suffisant de freins à main et en laissant le circuit de freinage se recharger. Toutefois, plutôt que d'utiliser les robinets de retenue ou de serrer les freins à main, il a essayé de réalimenter le circuit pendant que le train descendait la pente de Field Hill. Il a continué d'épuiser la réserve des réservoirs auxiliaires, étant donné les freinages répétés qu'il a commandés. Le train s'est arrêté à la hauteur du signal 1319, soit à l'extrémité ouest de Cathedral; c'est alors que le mécanicien a fait une erreur de jugement critique. Il aurait encore pu réalimenter le circuit de freinage en serrant les freins à main, mais il a continué d'essayer de réalimenter le circuit en cours de route. À ce moment, les freins à air étaient devenus inopérants puisqu'il n'y avait plus de pression dans les réservoirs. Au moment où le train a quitté Cathedral, il n'y avait même plus assez d'air dans le circuit pour réagir aux serrages d'urgence commandés par l'opérateur, si bien qu'il n'était plus possible de contrôler le train. Après les deux ou trois premiers serrages d'urgence, le mécanicien aurait dû se rendre compte rapidement que l'efficacité des freins était sensiblement réduite et il aurait dû prendre les mesures voulues pour réalimenter complètement le circuit de freinage.

2.2.2 Mesures prises par le mécanicien

Les facteurs énumérés ci-après ont influé sur les décisions prises par le mécanicien :

  1. Nécessité de faire des arrêts multiples

    La nécessité de rouler à la vitesse de marche à vue (15 mi/h) et de s'arrêter aux signaux 1275, 1287 et 1319, surtout compte tenu de la géographie de Field Hill, a dû constituer une situation plutôt inédite pour l'équipe du train. Dans les circonstances, le mécanicien n'a pas adapté les instructions et la marche à suivre qui lui avaient été transmises. Malheureusement, avant de mettre en oeuvre sa décision de réalimenter le circuit de freinage en cours de descente, il n'en a pas évalué correctement les conséquences éventuelles.

  2. Perte de la continuité des communications radio à l'intérieur du tunnel Upper Spiral

    L'interruption des communications entre les locomotives de tête et les locomotives télécommandées et les répercussions de cette interruption sur la conduite du train n'ont fait qu'ajouter à la complexité de la situation à laquelle l'équipe faisait face et solliciter davantage leurs aptitudes cognitives. Cette charge de travail additionnelle a pu avoir une incidence négative sur la capacité du mécanicien d'évaluer les choix qui s'offraient à lui au moment de quitter le tunnel, c'est-à-dire réalimenter le circuit sur place ou en cours de route.

  3. Serrages d'urgence des freins

    Pendant que le train descendait la pente dans le secteur de Field Hill, il a subi plusieurs freinages d'urgence, provenant de la conduite générale ou commandés par l'opérateur. À chaque serrage d'urgence, la réserve d'air des réservoirs d'urgence s'épuisait davantage. Le mécanicien devait savoir que la réserve d'air du circuit de freinage était épuisée, mais il a estimé à tort qu'il serait possible de conserver la puissance de freinage nécessaire. Son évaluation a probablement été influencée par le fait qu'il avait pu faire ralentir et arrêter le train au signal 1319.

  4. Formation du chef de train

    Le chef de train n'était pas tenu d'avoir la formation de mécanicien ou de connaître l'exploitation des trains à commande Locotrol. Ces connaissances, combinées à des cours périodiques d'actualisation des connaissances et renforcées par une supervision plus poussée, auraient été utiles dans ces circonstances. Le chef de train n'était pas bien préparé à identifier et à évaluer les indices ponctuels et à participer à la formulation, à la mise en application et à l'évaluation de plans fondés sur ces données. Par exemple, si le chef de train avait bénéficié d'une formation en la matière, il aurait su exactement ce qu'il fallait faire pendant l'arrêt du train dans le tunnel, quand il s'est rendu à pied jusqu'aux locomotives télécommandées pour les isoler; il aurait ainsi allégé les responsabilités du mécanicien. Si le chef de train avait mieux connu le système Locotrol, il aurait peut-être pu convaincre le mécanicien d'utiliser les robinets de retenue pour faciliter la réalimentation du circuit d'air comprimé des freins. En l'occurrence, le mécanicien n'a pas retenu la suggestion du chef de train, même si elle était pertinente. Comme le chef de train n'avait pas reçu de formation en bonne et due forme dans ce domaine, la prise de décision incombait surtout au mécanicien, qui a décidé par lui-même de ce qu'il fallait faire.

2.2.3 Mesures prises par le contrôleur de la circulation ferroviaire

On ne peut pas affirmer de façon catégorique que le fait d'imposer des arrêts multiples en vertu de la règle 564 est une décision peu sûre en soi, mais il n'en demeure pas moins que, dans Field Hill, elle a peut-être présenté un risque plus grand que ce que le CCF avait prévu. Malgré le fait que les arrêts multiples en vertu de la règle 564 auraient dû renforcer la nécessité de maintenir l'alimentation en air du circuit de freinage, il aurait été plus sûr d'immobiliser le train jusqu'à ce que la ligne de codage de signalisation ait été remise en service.

Si le mécanicien avait expliqué en détail au CCF les problèmes qu'il éprouvait, plus particulièrement les nombreux freinages d'urgence provenant de la conduite générale, le CCF se serait peut-être aperçu que la situation était loin d'être normale. Il aurait alors pu consulter le spécialiste compétent avec plus de précision.

2.2.4 Continuité des communications radio dans les tunnels Upper Spiral et Lower Spiral

S'il y avait eu un système de communication radio à l'intérieur des tunnels Upper Spiral et Lower Spiral, la liaison radio ne se serait pas interrompue lors du passage du train. S'il y avait eu un système de ce genre dans le tunnel Upper Spiral, le passage du mode de fonctionnement autonome au mode à unités multiples aurait été appliqué immédiatement, ce qui aurait permis d'éviter l'arrêt intempestif.

La compagnie avait étudié cette question auparavant et avait déterminé que le coût d'installation de répéteurs dans les tunnels, afin d'éliminer les brèves interruptions de communications du système Locotrol, ne pourrait pas se justifier et que la conception de l'équipement pouvait très bien compenser les brèves interruptions dans des conditions d'exploitation normales.

2.2.5 Emploi de respirateurs dans les tunnels

Même si des respirateurs étaient à sa disposition à l'entrée du tunnel Upper Spiral, le chef de train ne s'en est pas servi lorsqu'il est entré dans le tunnel pour isoler les locomotives télécommandées. Il avait reçu la formation voulue sur la façon de se servir de ces appareils et sur leur raison d'être, mais il a décidé de ne pas en porter à l'intérieur du tunnel. Ce faisant, il aurait pu compromettre sa sécurité et celle du mécanicien.

3.0 Conclusions

3.1 Faits établis

  1. Le circuit de freinage à air comprimé est devenu inopérant pendant que le train descendait la pente de Field Hill, parce que les réservoirs d'air n'avaient plus de pression.
  2. L'épuisement des réservoirs d'air a fait suite aux freinages répétitifs du train.
  3. Le circuit de freinage à air n'a pas été réalimenté après que les réservoirs d'air ont perdu leur pression.
  4. Le mécanicien a essayé de réalimenter le circuit d'air en cours de route plutôt que de se servir des robinets de retenue (comme le proposait le chef de train) ou de serrer les freins à main pendant que le circuit se réalimentait.
  5. La communication radio du système Locotrol est intermittente dans les tunnels Upper Spiral et Lower Spiral, et elle s'est interrompue lors de l'incident.
  6. Le chef de train ne connaissait pas le système Locotrol et n'avait pas reçu de formation sur son fonctionnement, et n'était pas en mesure de s'acquitter des tâches que le mécanicien lui avait confiées.
  7. Le chef de train a choisi de ne pas porter de respirateur lorsqu'il est entré dans le tunnel Upper Spiral pour isoler les locomotives télécommandées même s'il était tenu d'en porter un.

3.2 Cause

On a décidé à tort de mettre le train en marche alors que le circuit de freinage à air comprimé n'était plus sous pression, dans des circonstances qui empêchaient de recouvrer la capacité de freinage en cours de route. Plusieurs facteurs, notamment la décision de ne pas se servir des robinets de retenue, le fait qu'on ne s'est pas conformé aux instructions pertinentes, les nombreux serrages de freins et le fait que le chef de train ne comprenait pas le fonctionnement du système Locotrol, ont pu contribuer à l'événement.

4.0 Mesures de sécurité

À la suite de cet événement, le CFCP a mené, du 1er au 3 mai 1996, une «campagne-éclair de sécurité» auprès des équipes des trains qui roulent dans le secteur de Field Hill, afin de traiter des questions suivantes :

De plus, une équipe de gestionnaires a accompagné toutes les équipes de la subdivision Laggan au cours d'une période de 72 heures qui a suivi immédiatement l'incident, afin de mettre en évidence les méthodes d'exploitation correctes.

Le CFCP a aussi distribué à toutes les équipes de la subdivision Laggan un questionnaire sur le système Locotrol, destiné à informer les intéressés et à évaluer les besoins en matière de formation additionnelle.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

Annexes

Annexe A— Schéma du secteur de Field Hill