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Rapport d'enquête ferroviaire R02D0069

Déraillement en voie principale
Canadien National
Train de marchandises no M-353-21-02
Point milliaire 117,68 de la subdivision Joliette L'Assomption (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 3 juillet 2002, vers 12 h 10, heure avancée de l'Est, 14 wagons du train de marchandises no 353 du Canadien National ont déraillé au point milliaire 117,68 de la subdivision Joliette. Au moment du déraillement, le train roulait en direction sud et traversait la ville de L'Assomption (Québec). Le déraillement a causé la destruction d'un tronçon d'environ 1 830 pieds de la voie principale, d'un tronçon de 660 pieds d'une voie d'évitement et d'un passage à niveau privé. Une conduite-maîtresse d'irrigation de quatre pouces a été sectionnée, et quelque 150 arbres et jeunes plants d'une pépinière voisine ont été endommagés. L'accident n'a fait aucune victime et n'a pas causé de déversement de matières dangereuses.

This report is also available in English.

Renseignements de base

Le 3 juillet 2002, vers 9 h 10, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1, le train de marchandises no 353 sud (le train) du Canadien National (CN) part du triage Garneau, près de Grand-Mère (Québec), à destination de Montréal. Le train se compose de 2 locomotives, de 82 wagons chargés, de 9 wagons vides et de 2 wagons de résidus. Il mesure environ 5 570 pieds et pèse approximativement 10 390 tonnes. Le mécanicien et le chef de train qui forment l'équipe de conduite se conforment aux normes de repos et de condition physique, ils sont qualifiés pour occuper leurs postes respectifs et ils connaissent bien la subdivision. Le parcours entre le triage Garneau et L'Assomption se déroule sans incident, le train passant devant deux installations du système de détection en voie sans que la moindre anomalie soit signalée. Au point milliaire 117,68, comme le train passe devant la voie d'évitement à L'Assomption, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche.

Les données du consignateur d'événements de la locomotive indiquent que le train roulait à 41 milles à l'heure (mi/h) au moment de l'accident, et que la commande des gaz était à la position no 8. Une inspection ultérieure du train n'a fait ressortir aucun défaut antérieur au déraillement qui aurait pu compromettre la sécurité du train.

Après avoir pris les mesures d'urgence nécessaires, l'équipe détermine que 14 wagons ont déraillé, soit du 74e wagon au 87e wagon à partir de la tête du train. Cinq des wagons sont restés à la verticale, alors que les neuf autres se sont renversés et obstruent les deux côtés de la voie principale et de la voie d'évitement. Des produits de bois d'oeuvre sont éparpillés sur l'emprise et la propriété privée adjacente.

La subdivision Joliette va de Garneau (Québec), point milliaire 40,1, à Pointe-aux-Trembles (Québec), point milliaire 127,8. Dans la subdivision, le contrôle de la circulation ferroviaire est assuré grâce au système de régulation de l'occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, et la circulation est supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire posté à Montréal. Dans le secteur du déraillement, l'indicateur autorisait une vitesse maximale de 50 mi/h pour les trains de marchandises.

La voie ferrée était classée comme une voie de catégorie 4 d'après le Règlement sur la sécurité de la voie de Transports Canada. La structure de la voie se composait de longs rails soudés (LRS) de 115 livres, lesquels reposaient sur des traverses de bois dur et avaient été fabriqués en 1994 et posés en 1995. Les rails étaient posés sur des selles de rail de 11 pouces à double épaulement, ils étaient fixés par quatre crampons à chaque traverse et ils étaient encadrés par des anticheminants à toutes les trois traverses. Les traverses étaient en bon état et elles étaient espacées d'environ 20 pouces. Le ballast de pierre concassée était en bon état et avait des banquettes d'environ 18 pouces aux extrémités des traverses.

Le déraillement s'est produit dans une courbe à droite de 2 degrés, dans un secteur où la voie descendait une pente de 0,1 pour cent dans le sens d'avancement du train (figure 1). À environ 100 pieds au nord du passage à niveau privé du point milliaire 117,69, on a relevé des marques de roues sur la structure de la voie (traverses et ballast). Sur une distance de 600 pieds vers le nord à partir des marques de roues, du côté ouest de la voie, les traverses étaient en faux équerrage et les anticheminants du rail sud s'étaient éloignés de deux pouces par rapport aux traverses. On n'a relevé aucun signe de cheminement du rail du côté est de la voie.

Figure 1. Lieu de l'accident
Lieu de l'accident

La voiture de détection des défauts du rail avait contrôlé le secteur pour la dernière fois le 29 mai 2002 et n'avait relevé aucun défaut du rail. L'état géométrique de la voie avait été contrôlé par une voiture TEST (voiture d'évaluation de la voie) le 1er octobre 2001; cette inspection avait révélé un surécartement qui n'excédait pas les valeurs maximales tolérées dans la circulaire sur les méthodes normalisées (CMN) du CN.

La CMN 3700 du CN exige que, si la température ambiante dépasse de 11 °C (20 °F) la température idéale de pose (TIPNote de bas de page 2), ou si la température du rail dépasse la TIP de la même valeur et que la voie montre des signes visibles d'une forte détérioration, la circulation des trains sur des voies faites de LRS fasse l'objet d'une protection contre les risques particuliers dus aux forces de compression et au gauchissement de la voie. Les mesures de protection en question incluent un ordre de marche au ralenti et des tournées d'inspection entre 11 h et 20 h, ou suivant les directives de l'ingénieur de district.

Pendant les trois jours qui ont précédé le déraillement, les données transmises à Environnement Canada par une station de télédétection voisine du lieu du déraillement ont fait état d'une période prolongée au cours de laquelle les températures maximales quotidiennes étaient supérieures à 34 °C (93 °F). Le jour du déraillement, la température a atteint 34,3 °C (94 °F), soit la température la plus élevée qu'on a enregistrée depuis 1997; le ciel était clair et le vent soufflait du sud-ouest à 4 km/h.

À cause de ce temps chaud, il a été décidé de procéder à des inspections visuelles supplémentaires. Pendant chacun des deux jours qui ont précédé le déraillement, un inspecteur a circulé dans le secteur à bord d'un véhicule rail-route et il n'a relevé aucun dérèglement ou défaut de la voie.

L'examen des dossiers de la compagnie de chemin de fer a indiqué que, le 4 juin 2002, le rail ouest avait été relevé lors de travaux de nivellement visant à corriger le dévers excessif de la courbe située entre les points milliaires 117,50 et 117,65. Les travaux n'ont pas touché le côté est de la structure de la voie. La température ambiante maximale était de 18,6 °C (66 °F). La voie a fait l'objet de travaux majeurs en 1997-1998; il a été impossible d'obtenir les données sur les températures ambiantes au moment des travaux en question.

Normalement, les LRS sont installés ou ajustés à des températures voisines de la TIP. À cette température, qui est en fait la température de contrainte nulle, on dit que le rail est libre, en ce sens qu'il n'est soumis à aucun effort de compression ou de traction. Dès que la température du LRS dépasse la température de contrainte nulle, le rail subit des forces longitudinales de compression. Par des journées chaudes et ensoleillées, la température du rail peut dépasser la température ambiante d'une valeur pouvant atteindre 16,7 °C (30 °F). Donc, quand la température ambiante est de 34,3 °C (94 °F), celle du rail peut atteindre les 51 °C (124 °F), et les forces de compression qui s'exercent alors sur le rail peuvent atteindre 86 000 livres dans le cas d'un rail de 115 livres dont la température de contrainte nulle est voisine de la TIP.

La température de contrainte nulle du rail peut changer avec le temps; des températures ambiantes extrêmement hautes ou basses, les travaux d'entretien de la voie et les mouvements induits par le trafic ferroviaire peuvent entraîner une redistribution des contraintes à l'intérieur du rail et, partant, une modification de la température de contrainte nulle. Quand la température de contrainte nulle est moindre (rail en compression), la température à laquelle un gauchissement de la voie peut se produire est moindre. La connaissance de la température de contrainte nulle est un élément critique de l'entretien des LRS; on a fait des recherches considérables pour trouver une méthode non destructive de mesurage des contraintes subies par les LRS afin de régler ce problème, et les recherches se poursuivent encore. Pour la plupart, ces technologies en sont encore à l'étape de la mise au point, si bien que leur emploi est encore limité. Elles sont destinées à une application ponctuelle, de sorte que leur application se limite aux endroits identifiés au préalable comme présentant des risques évidents.

Le CN a mis à l'essai et a adopté récemment un système portatif de mesurage non destructif qui permet d'évaluer les contraintes subies par les LRS après des travaux en voie. Lors du déraillement, les superviseurs de la voie avaient suivi une formation sur l'emploi du nouveau système, mais l'équipement n'avait pas été installé dans le district.

L'examen des données du BST pour les années 1997 à 2002 montre que l'on a consigné 18 autres événements lors desquels de fortes contraintes de compression étaient présentes dans des LRS.

Analyse

Comme la conduite du train s'est avérée conforme aux exigences de la compagnie et de la réglementation, et comme aucune défaillance du matériel roulant n'a été relevée, on considère que la méthode de conduite du train et l'état du matériel roulant n'ont pas joué un rôle important dans cet accident. Par conséquent, l'analyse portera surtout sur l'accumulation de contraintes de compression dans le rail et sur l'inspection des LRS.

Bien que l'accident soit survenu pendant la journée la plus chaude depuis l'exécution de travaux majeurs de nivellement en 1997-1998, il est impossible d'établir un lien de cause à effet entre les deux événements puisqu'on ne dispose pas d'informations sur la façon dont les travaux ont été faits et sur les contraintes qui s'exerçaient dans le rail après les travaux. Les travaux de nivellement plus récents ont été réalisés alors que la température ambiante était en deçà de la « gamme des températures d'entretien », le relèvement du rail a été minimal et il n'y a pas eu de déplacement latéral de la voie. Il est donc vraisemblable que les travaux de nivellement ont eu un effet minime sur les contraintes imposées au rail et sur la résistance latérale de la voie.

Le cheminement du rail et la présence de traverses en faux équerrage au nord de la zone du déraillement sont des indices d'une redistribution des contraintes imposées au rail et d'une modification de la température de contrainte nulle du rail dans le secteur du déraillement. En outre, le jour du déraillement, la température du rail a augmenté en raison de la température ambiante élevée et de l'exposition directe aux rayons du soleil, et elle a atteint des valeurs qui n'avaient pas été dépassées depuis les travaux majeurs de nivellement de 1997-1998. Par conséquent, le gradient de température (c'est-à-dire l'écart entre la température de contrainte nulle du rail et la température du rail) et les contraintes de compression exercées à l'intérieur du rail ont atteint des valeurs anormalement élevées. Il est probable que les contraintes de compression additionnelles dues au frottement de roulement des roues, combinées au lestage et au délestage successifs de la voie lors du passage de chaque essieu, ont déclenché le processus de gauchissement de la voie. Par la suite, la voie s'est progressivement désalignée sous le passage du train. Avec le passage de chaque wagon, l'altération du tracé s'est accrue jusqu'au moment où la voie s'est déplacée brusquement et a gauchi. Le 74e wagon a déraillé quand la voie s'est désalignée sous son passage.

On a fait des inspections pour températures élevées même si la température ambiante était en deçà de la limite de 11 °C (20 °F) au-dessus de la TIP qui est énoncée dans la CMN 3700. Toutefois, ces inspections supplémentaires n'ont pas permis de déceler le risque de gauchissement de la voie. Les signes susceptibles d'indiquer un risque de gauchissement de la voie ne sont pas toujours visibles à partir d'un véhicule rail-route qui roule aux vitesses auxquelles les inspections se font normalement. Les méthodes d'inspection en vigueur laissent beaucoup de place aux inspections faites par les employés, lesquels doivent vérifier la structure de la voie pour déceler des indices matériels de dégradation de la structure. Ces méthodes d'inspection ont donné des résultats assez bons pendant des années, mais encore faut-il que l'inspection ait lieu au bon moment de la journée et que les employés identifient les indices matériels qui montrent qu'un rail est en compression. Le fait de s'en remettre uniquement aux inspections visuelles pour déceler les indices physiques d'un gauchissement potentiel de la voie ne laisse pas une marge de sécurité maximale, car on n'est pas toujours en mesure de déceler à l'avance les forces de compression excessives qui affectent la structure de la voie.

Bien que la plupart des technologies non destructives de mesurage des contraintes subies par les LRS en soient encore à l'étape de la mise au point, le fait que le CN ait mis à l'essai et adopté un système portable de mesurage non destructif qui semble prometteur et qui évalue les contraintes subies par les LRS après des travaux en voie, constitue une mesure positive. Grâce à l'introduction de cette technologie, les employés d'entretien pourront déterminer plus facilement les efforts qui s'exercent dans le rail et ainsi réduire les risques de gauchissement de la voie.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Des contraintes thermiques dues à des températures ambiantes supérieures à la normale, ajoutées aux forces attribuables au passage du train, ont déclenché le processus de gauchissement de la voie.
  2. Le train a déraillé quand la voie s'est désalignée sous le passage du 74e wagon.

Faits établis quant aux risques

  1. Bien que des inspections pour températures élevées aient été faites, elles n'ont pas permis de déceler le risque de gauchissement de la voie.
  2. Le fait de s'en remettre uniquement aux inspections visuelles pour déceler les indices physiques d'un gauchissement potentiel de la voie ne laisse pas une marge de sécurité maximale, car on n'est pas toujours en mesure de déceler à l'avance les forces de compression excessives qui peuvent affecter la structure de la voie.

Autre fait établi

  1. Il est vraisemblable que les travaux de nivellement récents ont eu un effet minime sur les contraintes imposées au rail et sur la résistance latérale de la voie.

Mesures de sécurité

Le CN a pris les mesures suivantes pour contrer le problème du gauchissement de la voie :

  1. Le CN a acheté trois appareils portables d'un système de détection appelé VERSE. Ces appareils font des contrôles ponctuels des contraintes qui affectent les rails dans les territoires où les voies sont faites de LRS. À l'aide de ces appareils, les équipes sur le terrain du CN font des contrôles ponctuels fréquents dans les secteurs suspects. Grâce à l'introduction de ces systèmes, les employés d'entretien pourront déterminer plus facilement les contraintes qui s'exercent dans le rail et ainsi réduire les risques de gauchissement de la voie.
  2. Le CN a modifié les CMN pour faire en sorte que des inspections pour températures extrêmement élevées soient exécutées dès que la température ambiante dépasse les 30 °C (86 °F). De plus, des limitations de vitesse pour temps chaud sont imposées dans les endroits où des signes de gauchissement de la voie sont évidents ou dans les endroits connus comme étant à risque.
  3. Le CN a conclu un contrat de services environnementaux avec une entreprise spécialisée dans les prévisions météorologiques. Grâce à cette nouvelle initiative, dès que la température dépasse les 30 °C (86 °F), un avertissement est envoyé aux centres de contrôle de la circulation du CN, au site Web Weather Monitor (site de surveillance météo) du CN et au site du babillard électronique du CN. L'information est ensuite relayée aux équipes appropriées d'entretien de la voie. De plus, les agents du réseau d'ingénierie surveillent le site Web Weather Monitor et communiquent avec le directeur général de l'ingénierie ou les superviseurs de la voie pour vérifier s'ils sont informés de l'avertissement et de l'obligation d'imposer des inspections pour conditions de temps chaud et, le cas échéant, des limitations de vitesse appropriées.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .