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Rapport d'enquête ferroviaire R02M0050

Déraillement en voie principale
du train de marchandises Q13711-13
exploité par le Canadien National
au point milliaire 38,85 de la subdivision Bedford
à Milford (Nouvelle-Écosse)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 13 août 2002, à 16 h 36, heure avancée de l'Atlantique, le train de marchandises no Q13711-13 du Canadien National, qui était parti de Halifax (Nouvelle-Écosse) et roulait en direction ouest à destination de Montréal (Québec) avec 112 plates-formes porte-conteneurs chargées, a déraillé près de Milford (Nouvelle-Écosse), au point milliaire 38,85 de la subdivision Bedford. Le déraillement a endommagé sept plates-formes porte-conteneurs des deux derniers wagons porte-conteneurs de type five-pak, ainsi qu'un tronçon d'environ 2,85 milles de la voie ferrée. Personne n'a été blessé et aucune marchandise dangereuse n'a été en cause.

This report is also available in English.

Renseignements de base

Le train de marchandises no Q13711-13 (le train) du Canadien National (CN) part de Halifax (Nouvelle-Écosse) vers 14 h 10, heure avancée de l'AtlantiqueNote de bas de page 1, et roule en direction ouest à destination de Montréal (Québec) (figure 1). L'équipe de conduite du train compte un mécanicien et un chef de train, qui prennent tous deux place dans la locomotive de tête. Ils répondent tous deux aux exigences de leurs postes respectifs et satisfont aux normes en matière de repos et de condition physique. Tandis que les locomotives passent devant le point milliaire 42,60, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale se déclenche et cause l'immobilisation du train au point milliaire 42,90. Après avoir pris les mesures d'urgence nécessaires, l'équipe constate que sept plates-formes des deux derniers wagons porte-conteneurs de type five-pak ont déraillé et se sont arrêtées à la verticale sur l'emprise. La voie ferrée a été endommagée sur une distance d'environ 2,85 milles. On a constaté un gauchissement de la voie au point milliaire 38,85 (photo 1).

Figure 1. Schéma représentant la région géographique (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens)
Schéma représentant la région géographiqu
Photo 1. Gauchissement de la voie ferrée après le déraillement, vu de l'est au point milliaire 38,85
Gauchissement de la voie ferrée après le déraillement

Le train mesurait 7 540 pieds et pesait environ 6 230 tonnes, et il avait un groupe de traction formé de deux locomotives. Il comptait 33 wagons porte-conteneurs chargés, dont chacun comprenait une, trois, quatre ou cinq plates-formes, soit un total de 112 plates-formes. Une inspection de sécurité et un essai des freins à air no 1 avaient été faits avant que le train parte de Halifax et n'avaient révélé aucune anomalie.

La subdivision Bedford va de Fairview Junction (Nouvelle-Écosse), point milliaire 5,0, à Truro (Nouvelle-Écosse), point milliaire 64,0. Du point milliaire 15,6 au point milliaire 61,5, la circulation des trains est contrôlée par la commande centralisée de la circulation, en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, et est surveillée par un contrôleur de la circulation ferroviaire posté à Montréal. Dans la plus grande partie de la subdivision, la voie principale est simple et achemine le trafic voyageurs et le trafic marchandises. Chaque année, environ 15 millions de tonnes brutes sont acheminées sur les voies de la subdivision. Dans le secteur du déraillement, la voie descend une pente légère (0,5 %) dans le sens d'avancement du train. La voie décrit une contre-courbe d'environ trois degrés dans chaque direction, le point de déraillement initial étant situé dans le raccordement situé à la sortie de la première courbe (vers la droite).

La vitesse maximale autorisée par l'indicateur était de 65 mi/h pour les trains de voyageurs et de 50 mi/h pour les trains de marchandises. Les trains formés entièrement de matériel intermodal, qu'ils soient chargés ou vides, étaient autorisés à rouler à la vitesse des trains prioritaires, soit à 5 mi/h de plus que la vitesse permise dans la zone pour les trains de marchandises.

Renseignements consignés

La transcription des données du consignateur d'événements a indiqué que, dans les cinq minutes qui ont précédé le freinage d'urgence, la vitesse du train a varié entre 57 mi/h et 46 mi/h, la manette des gaz de la locomotive était à la position no 8, le frein rhéostatique n'était pas appliqué et les freins à air étaient desserrés. À 16 h 36 min 48 s, un freinage d'urgence provenant de la conduite générale s'est déclenché alors que la manette des gaz était à la position no 7 et que le train roulait à 45 mi/h. Le consignateur a enregistré une vitesse nulle (0 mi/h) à 16 h 37 min 29 s.

L'examen des données enregistrées par une installation du système de détection en voie située au point milliaire 22,2 n'a révélé aucune température anormale de roulements de roues et n'a pas signalé de pièces traînantes lors du passage du train à cet endroit. L'inspection des wagons déraillés n'a révélé aucune défaillance antérieure au déraillement.

Renseignements sur la voie et sur les lieux du déraillement

La voie était faite de longs rails soudés (LRS) de 115 livres à profil RE, qui ont été laminés et posés en 1989. Les rails, posés sur des selles de rail de 14 pouces à double épaulement, étaient fixés par sept crampons à chaque traverse de bois dur, et étaient encadrés par des anticheminants à toutes les deux traverses. Le ballast de pierre concassée était en bon état, il y avait des banquettes de quelque 18 pouces à l'extrémité des traverses, et les cases étaient pleines.

Les premières marques laissées par une roue déraillée ont été relevées à environ 45 pieds à l'ouest des premiers indices d'un déplacement latéral de la structure de la voie (c'est-à-dire au point milliaire 38,85). À cet endroit, la structure de la voie s'était déplacée d'environ 18 pouces vers l'extérieur de la courbe. On n'a pas relevé de signes d'un arrachement appréciable des crampons sur les 35 premiers pieds. En raison de la destruction de la voie dans la zone du déraillement, il a été impossible de déterminer s'il y avait des signes avant-coureurs d'un déraillement avant l'accident (p. ex. cheminement du rail). L'équipe du train n'a pas vu ni détecté de défaut de la structure de la voie quand les locomotives sont passées à cet endroit.

Caractéristiques du gauchissement de la voie

Un gauchissement de la voie, en l'occurrence un déplacement latéral de la voie, est un phénomène sur lequel l'industrie ferroviaire fait des études approfondies. Il se produit quand les contraintes de compression longitudinales qui s'accumulent dans le railNote de bas de page 2 sont supérieures à la résistance latérale de la structure de la voie. La plupart du temps, les gauchissements de la voie se produisent dans les courbes. Ils sont davantage susceptibles de se produire en présence d'au moins un des facteurs suivants :

La structure de la voie peut être affaiblie s'il manque du ballast dans les cases ou aux extrémités des traverses. Si le ballast est perturbé, par exemple après des travaux en voie, la stabilité latérale de la voie peut être réduite de plus de 50 %.

Les forces exercées par un train dans les pentes peuvent causer un accroissement du cheminement du rail et, partant, une augmentation des contraintes de compression exercées sur le rail. Le passage du train peut contribuer au gauchissement, du fait qu'il exerce des forces longitudinales supplémentaires pendant l'accélération et le freinage. Dans les courbes, le matériel roulant peut contribuer au gauchissement du fait qu'il exerce des forces latérales accrues sur le rail, surtout lorsque la plate-forme est instable. Il est déjà arrivé que des voies gauchissent avant le passage d'un train ou au moment de son passage, même si aucun indice visuel n'annonçait un risque de gauchissement ou de désalignement.

Inspection et entretien de la voie

Les employés affectés aux tournées de surveillance s'en sont remis aux inspections visuelles pour relever les indices d'un éventuel gauchissement. Le 11 août 2002, soit deux jours avant l'accident, un superviseur de la voie de relève a inspecté le tronçon où le déraillement a eu lieu. Auparavant, la dernière inspection avait eu lieu le 7 août 2002. Lors de ces deux inspections, on n'a relevé aucune anomalie dans le secteur général du point milliaire 38.

Une voiture TEST du CN a examiné la subdivision Bedford vers 11 h le jour de l'accident, soit plusieurs heures avant le passage du train. L'inspection n'a révélé aucune anomalie. Les résultats du mesurage de l'alignement et du profil de surface dans la contre-courbe étaient en deçà des limites tolérables.

En raison de l'alignement de la voie dans le secteur du déraillement et des effets causés par le passage des trains dans la contre-courbe, des travaux de nivellement étaient effectués tous les deux ans. Par le passé, le rail bas de ces courbes s'affaissait. Des travaux fréquents de nivellement s'avéraient nécessaires pour maintenir le dévers approprié. En 1999, on a réalisé des travaux de nivellement dans le secteur et on a installé quelque 500 traverses. Les travaux de nivellement les plus récents ont consisté en un « relevage de surface »Note de bas de page 3, qui a été réalisé les 5 et 6 juillet 2002, du point milliaire 38 au point milliaire 40, à l'aide d'une bourreuse de voies ferrées et d'une régaleuse à ballast.

À cette époque, les températures maximales quotidiennes étaient de 21 °C (70 °F). Après la fin des travaux de nivellement, un ordre de marche au ralenti à 30 mi/h a été imposé temporairement afin d'assurer la protection des trains. Entre les derniers travaux de nivellement et le jour de l'accident, le tronçon avait vu passer quelque 1 200 000 tonnes brutes de marchandises. Ce tonnage était de beaucoup supérieur à celui qui est demandé dans les circulaires sur les méthodes normalisées (CMN) du CN, qui exigent que, dans la plupart des cas, on assure une protection jusqu'à ce que le ballast soit bien compacté et qu'il permette ainsi une résistance latérale adéquate.

Au cours des cinq années précédentes, il n'y avait pas eu de réparations de rails brisés, de remplacements de rails ni de travaux de libération des contraintes dans les courbes où le déraillement a eu lieu.

La CMN 3706 du CN indique que, pendant les programmes de « renouvellement du ballast » et de « relevage du ballast », il faut libérer les contraintes conformément à la méthode recommandée 3205-0 du CN, si des indices donnent à penser que les contraintes exercées sur le rail sont inadéquates. Voici quelques-uns des signes précurseurs d'un « rail en compression »Note de bas de page 4 et d'un gauchissement de la voie :

Dans le Règlement sur la sécurité de la voie (RSV), partie II, section F (V), on lit :

Après un incendie, une inondation, une tempête importante ou d'autres phénomènes qui peuvent avoir endommagé la structure de la voie, on doit entreprendre une inspection spéciale de la voie, aussi rapidement que possible après l'événement.

Sur les lieux du déraillement, il n'y avait pas de signes précurseurs et il n'y avait pas eu de rapports antérieurs indiquant que les contraintes exercées sur le rail étaient inadéquates. Les travaux de nivellement avaient consisté en un relèvement de la surface, et non pas en un relevage du ballastNote de bas de page 5, lequel déstabilise davantage la structure de la voie.

Effet des températures ambiantes élevées sur le rail

Dès que la température d'un LRS est supérieure à la température de contrainte nulleNote de bas de page 6, à laquelle le rail a été posé ou a été libéré pour la dernière fois, des contraintes longitudinales de compression apparaissent et font en sorte que le rail est en compression. Plus la contrainte de compression exercée sur le rail est forte, plus l'effort latéral nécessaire pour causer un gauchissement de la voie est faible. Dans un LRS de 115 livres, chaque fois que la température du rail augmente de 8 °F, les contraintes de compression exercées sur le rail s'accroissent d'environ 2 200 livres. Un réchauffement du rail de 15,5 °C (28 °F), comme on peut en voir pendant les journées chaudes de l'été, peut occasionner une contrainte de compression de 61 425 livres sur un rail de 115 livres à profil RE. La température de contrainte nulle d'un rail peut être modifiée du fait du trafic ferroviaire, des travaux d'entretien de la voie (p. ex. programmes de criblage du ballast ou de renouvellement des traverses), et des conditions météorologiques extrêmes, comme des températures extrêmement hautes ou basses.

Le rail doit être posé ou réglé à une température qui lui permettra de résister aux contraintes dues aux fluctuations de température. Pour le secteur, la gamme des températures idéales de pose est de 27 à 35 °C (de 80 à 95 °F). La méthode recommandée 3205-0 exigeait qu'on prenne des mesures de sécurité supplémentaires quand la température ambiante dépassait la température idéale de pose de plus de 11 °C (20 °F); c'est-à-dire, limiter la vitesse à 40 mi/h entre 11 h et 20 h, et faire des tournées de surveillance entre 11 h et 17 h. Il a été impossible d'obtenir les dossiers de la compagnie indiquant la température à laquelle le dernier réglage du rail avait été fait.

Les données recueillies par Environnement Canada à sa station la plus rapprochée (à l'aéroport de Halifax) montrent qu'à l'heure du déraillement, la température ambiante était de 30 °C (86 °F), que le vent soufflait à 25 km/h et que le ciel était dégagé. Entre le 10 août et le 13 août 2002, la température maximale quotidienne avait varié entre 27 et 30 °C (de 80,6 à 86 °F), ce qui correspondait aux températures les plus élevées de l'été jusqu'à cette date. Plusieurs propriétaires qui habitaient près des lieux du déraillement ont dit que, ce jour-là, les températures locales avaient atteint les 35 °C (95 °F). Des stations de radio locales avaient signalé des températures similaires dans d'autres secteurs de la région. Après le déraillement, soit à 17 h, on a mesuré la température du rail et on a obtenu 40,5 °C (105 °F). Il se peut que la température du rail ait été plus élevée encore avant 17 h puisque les températures ambiantes maximales ont été enregistrées entre 15 h et 16 h.

Autres renseignements

L'examen des données du BST pour les années 1997 à 2002 montre que l'on a consigné 18 autres événements mettant en cause un gauchissement de la voie.

En plus d'enquêter sur le présent événement, le BST a mené des enquêtes sur deux autres événements (rapports R02D0069 et R02C0054). L'annexe A présente une brève explication de ces événements.

Nouvelles technologies

On a fait beaucoup de recherches et on continue d'en faire sur une méthode non destructive de mesurage des contraintes subies par les LRS. Voici quelques exemples des travaux en cours (pour plus d'information, voir l'annexe B) :

Certaines des nouvelles technologies permettent de contrôler à distance les contraintes internes subies par un LRS et sont munies de systèmes d'alarme connectés avec de nouveaux systèmes de contrôle de la circulation ferroviaire qui font appel aux communications, ou avec d'autres systèmes d'inspection en voie dont la surveillance est faite à partir des centres de contrôle de la circulation ferroviaire. Ces systèmes, mis à l'essai et mis en service par plusieurs compagnies ferroviaires des États-Unis et d'Europe, autorisent une surveillance en temps réel des contraintes exercées sur le rail dans les tronçons où ils sont installés et dans les tronçons adjacents. Quand les seuils prédéterminés sont atteints, les alarmes se déclenchent et permettent de prendre immédiatement des mesures correctives.

Analyse

Introduction

Même si le train a brièvement dépassé d'environ 2 mi/h la vitesse autorisée pour les trains prioritaires, il s'agit d'un excès de vitesse relativement mineur qui n'a vraisemblablement pas été un facteur contributif appréciable. Étant donné que, par ailleurs, la conduite du train a été conforme à toutes les exigences de la compagnie et de la réglementation, et qu'on n'a relevé aucune défaillance du matériel roulant, il n'y a pas lieu de considérer que la conduite du train ou l'état du matériel roulant ont joué un rôle important dans cet accident.

L'accident

L'accident est survenu à l'heure la plus chaude de la journée, pendant une période au cours de laquelle la température avait atteint les valeurs les plus élevées depuis la fin des travaux de nivellement réalisés en juillet 2002. Compte tenu des températures ambiantes extrêmes et des fréquents travaux de nivellement réalisés dans le secteur, il est vraisemblable que la température de contrainte nulle du rail a été réduite; la température ambiante supérieure à la normale a donc créé dans le LRS des contraintes de compression supérieures à la normale. Les travaux fréquents de nivellement ont aussi causé un épaississement excessif de la couche de ballast, ce qui a affecté la stabilité générale de la structure de la voie. En raison de ces facteurs, combinés aux forces latérales dues au passage successif des essieux montés des wagons dans la courbe, les conditions associées habituellement à un gauchissement de la voie étaient rassemblées. Le ballast n'a pas pu résister aux forces exercées sur la structure de la voie par le passage du train et par la compression du rail, si bien que la voie s'est désalignée et a gauchi. Le déraillement est survenu quand un tronçon de la voie s'est désaligné (de 18 pouces) sous le passage des deux derniers wagons de type five-pak du train qui circulait à la vitesse autorisée pour les trains prioritaires. Le fait que le gauchissement de la voie se soit produit dans une courbe et dans une pente descendante concorde avec les circonstances de ruptures similaires de la voie qui se sont produites par le passé. De même, le fait que le gauchissement de la voie ait eu lieu sous le passage d'un train et qu'il ait causé le déraillement des derniers wagons du train est un élément typique des accidents dus à un gauchissement de la voie.

Inspection et entretien réguliers de la voie

Rien ne donne à penser que les travaux fréquents de nivellement n'aient pas été conformes aux pratiques normalisées et aux exigences de la compagnie. Les inspections exigées par le RSV ont été faites conformément aux exigences, bien qu'elles aient été faites deux jours avant l'accident et à des températures ambiantes plus basses.

Les employés d'entretien de la voie étaient au courant des résultats favorables de l'inspection faite le jour de l'accident par une voiture TEST bien équipée. Toutefois, quand la voiture TEST a circulé dans le secteur, il était environ 11 h, soit de quatre à cinq heures avant que la température ambiante atteigne sa valeur maximale. La voiture TEST n'est pas conçue pour détecter des contraintes de compression nuisibles qui s'accumulent dans les rails; par ailleurs, le gauchissement de la voie est une instabilité dont les manifestations initiales peuvent passer inaperçues pendant les mesurages faits par la voiture d'évaluation de la voie.

En l'absence de rapports indiquant que les contraintes exercées sur le rail étaient inadéquates, et comme il y avait peu d'indices physiques manifestes de la présence de contraintes excessives dans le rail (comme le soulèvement de crampons, le cheminement du rail, le déplacement de traverses ou des perturbations du ballast) le jour de l'inspection, il y avait peu d'indices pour amener les équipes d'entretien à constater qu'il fallait libérer les contraintes, et que l'augmentation future des températures ambiantes aurait un effet négatif sur l'intégrité de la structure de la voie dans le secteur. Il en ressort que les inspections visant à découvrir des indices physiques d'une dégradation de la voie ne permettent pas de déceler les contraintes nuisibles tant que le rail ou la structure de la voie ne sont pas altérés.

Inspection de la voie lorsque la température ambiante est élevée

Il importe de maîtriser parfaitement les contraintes exercées sur le rail compte tenu des contraintes de compression qui peuvent apparaître par temps chaud. Les travaux de nivellement ont été exécutés à des températures ambiantes qui étaient inférieures de 6 °C (10 °F) à la température idéale de pose, et rien n'indique que le tracé de la courbe ait été réduit. Donc, cette intervention n'aurait pas dû faire augmenter la tension sur le rail. Toutefois, les températures ambiantes qui régnaient le jour du déraillement (soit environ 35°) et la température du rail mesurée à 17 h (40,5 °C, soit 105 °F) étaient supérieures à la normale. La température du rail au moment de l'accident était supérieure à la température idéale de pose, ce qui a accru les contraintes de compression exercées dans le rail; il s'ensuit que l'effort latéral nécessaire pour causer un gauchissement de la voie était réduit.

La compagnie ferroviaire n'a pas pris de mesures de sécurité, comme l'imposition de tournées de surveillance supplémentaires et de limitations de vitesse, parce qu'il n'y avait pas eu de rapports indiquant que la température ambiante (environ 35 °C, soit 95 °F) avait dépassé la température idéale de pose de la valeur précisée de 11 °C (27 °C + 11 °C = 38 °C, ou 100,4 °F). Il convient de noter que certaines compagnies ferroviaires exigent des tournées de surveillance supplémentaires à des températures ambiantes différentes. Par exemple :

Les signes indiquant que le rail était soumis à des forces de compression considérables auraient été plus évidents lors d'inspections faites pendant que la température du rail était à son maximum (c'est-à-dire du milieu jusqu'à la fin de l'après-midi). Si l'on avait fait une tournée de surveillance dans le secteur du déraillement au cours de ces périodes en se basant sur des températures de référence plus basses (c'est-à-dire quand la température dépasse 32,2 °C (90 °F) plutôt que les 38 °C (100 °F) précisés dans les CMN du CN), on aurait eu plus de chances de déceler les signes avant-coureurs (déplacement de la structure de la voie) d'un problème potentiel, ce qui aurait permis de prendre des mesures afin de prévenir le gauchissement de la voie.

La nécessité d'inspections spéciales additionnelles dont il est question dans la section F (V) du RSV est quelque peu ambiguë. Le RSV mentionne plusieurs situations susceptibles de justifier une inspection spéciale, mais il ne précise pas que les « températures élevées » constituent une de ces situations. Il faut en conclure que les températures élevées sont des « phénomènes qui peuvent avoir endommagé la structure de la voie ». De même, les CMN du CN exigeaient qu'on fasse des inspections spéciales lorsque la température dépassait d'une certaine valeur la température idéale de pose, plutôt que de préciser une température ambiante maximale, comme le font certaines autres compagnies ferroviaires. Les CMN du CN ne présentent pas de critères spécifiques à partir desquels les employés peuvent déterminer ce qui constitue une « température élevée ».

Comme le RSV ne mentionnait pas de critères précis relatifs à l'inspection des voies exposées à des températures ambiantes élevées, comme l'équipe d'entretien savait qu'un certain nombre de wagons avait circulé sans encombre dans le secteur après les derniers travaux de nivellement, et comme les résultats de l'examen fait par la voiture TEST du CN avaient été favorables, l'équipe n'a pas inspecté la voie pendant la période allant du milieu à la fin de l'après-midi, en l'occurrence la période pendant laquelle les indices signalant la présence de forces de compression élevées auraient été plus évidents.

Détermination des contraintes exercées sur les rails

Les méthodes d'inspection en vigueur laissent beaucoup de place aux inspections faites par les employés, lesquels doivent vérifier la structure de la voie pour y déceler des indices physiques de dégradation. Pour un employé averti, des indices comme le soulèvement de crampons ou le cheminement du rail peuvent indiquer que le rail est soumis à des contraintes de compression excessives. Ces méthodes d'inspection ont donné des résultats assez bons pendant des années, mais il faut que l'inspection ait lieu au bon moment de la journée et que les employés identifient les indices physiques d'un rail en compression. Normalement, les employés sur le terrain n'ont pas à portée de la main les outils qui leur permettraient de quantifier leur évaluation. Si les employés ne parviennent pas à voir un indice physique, ils ne seront pas en mesure de déceler la présence de contraintes de compression dommageables pour le rail. Par conséquent, ils sont susceptibles de ne pas soupçonner qu'il y a un problème potentiel, à plus forte raison s'ils ne disposent d'aucune information sur les températures de contrainte nulle des tronçons dont ils font l'inspection. Le fait de s'en remettre uniquement aux inspections visuelles pour déceler les indices physiques d'une dégradation de la voie n'offre pas une marge de sécurité maximale, car on n'est pas toujours en mesure de détecter à l'avance les contraintes de compression résiduelles qui affectent les rails ou la structure qui n'ont pas été altérés.

De plus, ces inspections visuelles représentent un défi pour les employés d'entretien de la voie, dans la mesure où des régions géographiques étendues sont affectées par les périodes de fortes chaleurs. La tâche est d'autant plus difficile du fait que les employés doivent inspecter sur place l'ensemble de ce territoire pendant les quelques heures que dure la période la plus chaude de la journée. Les indices visuels qui pourraient indiquer un risque de gauchissement sont aussi les indicateurs d'autres types de défauts de la voie, sans compter qu'ils ne sont pas toujours visibles à partir d'un véhicule rail-route qui roule aux vitesses prévues pour les inspections. Étant donné que les employés d'entretien de la voie ne disposent pas de méthodes qui leur permettraient de déterminer et d'évaluer facilement les contraintes exercées sur le rail, et qu'ils disposent de peu de temps pour parcourir les territoires voulus pendant les périodes où la température du rail est à son maximum, il y a un risque que les rails en compression (c'est-à-dire les rails soumis à des contraintes de compression anormales) ne soient pas détectés et que leur mauvais état donne lieu par la suite à des situations dangereuses.

Application des nouvelles technologies

Comme les nouvelles technologies décrites précédemment sont encore en grande partie en cours d'élaboration, leur emploi est encore limité. Elles sont destinées à une application ponctuelle, de sorte que leur application se limite aux endroits identifiés au préalable comme présentant des risques considérables. Cet événement fait ressortir combien il est hasardeux de s'en remettre uniquement aux méthodes d'inspection de la voie pour déceler les rails dont l'état ne correspond plus à ce qu'il était à la température idéale de pose. Tant que les employés d'entretien de la voie n'utiliseront pas régulièrement des appareils de mesure des contraintes pour déterminer les contraintes imposées aux rails, la détection des niveaux dangereux de contraintes demeurera largement tributaire des méthodes existantes d'inspection visuelle, lesquelles n'offrent qu'une marge de sécurité limitée.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. L'augmentation des contraintes de compression dans le long rail soudé, due à des températures ambiantes supérieures à la normale, combinée à une épaisseur excessive de la couche de ballast à la suite de travaux fréquents de nivellement, a créé des circonstances propices à un gauchissement de la voie.
  2. Le ballast n'a pas pu résister aux forces exercées sur la structure de la voie par le passage du train et par la compression du rail, si bien que la voie s'est désalignée et a gauchi.
  3. Le déraillement est survenu quand un tronçon de la voie s'est désaligné sous le passage de sept plates-formes des deux derniers wagons de type five-pak qui roulaient à la vitesse autorisée pour les trains prioritaires.

Faits établis quant aux risques

  1. Les inspections visant à découvrir des indices physiques d'une dégradation de la voie ne permettent pas de détecter à l'avance les contraintes nuisibles avant que le rail ou la structure de la voie ne soient altérés.
  2. La compagnie ferroviaire n'a pas pris de mesures de sécurité additionnelles, comme l'imposition de tournées de surveillance supplémentaires et de limitations de vitesse, parce qu'il n'y avait pas eu de rapports indiquant que la température ambiante avait dépassé la température idéale de pose de la valeur précisée par la compagnie ferroviaire.
  3. Étant donné que les employés d'entretien de la voie ne disposent pas de méthodes qui leur permettraient de déterminer et d'évaluer facilement les contraintes exercées sur le rail, et qu'ils disposent de peu de temps pour parcourir les territoires voulus pendant les périodes où la température du rail est à son maximum, il y a un risque que les rails soumis à des contraintes de compression anormales ne soient pas détectés et que leur mauvais état donne lieu par la suite à des situations dangereuses.
  4. En l'absence d'appareils de mesure des contraintes qui aideraient les employés d'entretien de la voie à déterminer les contraintes imposées aux rails, la détection des voies dangereuses demeurera largement tributaire des méthodes existantes d'inspection visuelle, lesquelles n'offrent qu'une marge de sécurité limitée.

Mesures de sécurité

Après l'accident, le Canadien National (CN) a pris les mesures correctives suivantes sur le tronçon de 1,8 mille de la subdivision Bedford dans lequel se trouve la contre-courbe affectée par le gauchissement de la voie :

Le 29 août 2003, le CN a fait savoir qu'il avait aussi :

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Autres enquêtes du BST portant sur des gauchissements de la voie - Rapports R02C0054 et R02D0069

Rapport no R02C0054 du BST

Le 23 juillet 2002, vers 17 h 22, heure avancée des Rocheuses, 15 wagons-citernes chargés du train de marchandises 771-23 en direction sud du Chemin de fer Canadien Pacifique ont déraillé au point milliaire 36,6 de la subdivision Red Deer, près de la ville de Carstairs (Alberta). Trois des wagons-citernes ont laissé fuir environ 200 litres d'éthylèneglycol. On a fermé la route 2A et les routes adjacentes dans un rayon de un demi-mille autour des lieux du déraillement. Personne n'a été blessé. L'enquête a révélé des lacunes relatives à l'inspection et à l'entretien de la voie, à l'emploi des freins rhéostatiques, à la formation des employés et au gauchissement de la voie.

Rapport no R02D0069 du BST

Le 3 juillet 2002, vers 12 h 10, heure avancée de l'Est, 14 wagons du train de marchandises 353-21-02 en direction sud du Canadien National ont déraillé au point milliaire 117,68 de la subdivision Joliette, près de L'Assomption (Québec). L'accident n'a fait aucune victime et n'a pas causé de déversement de marchandises dangereuses. Le déraillement a causé la destruction d'un tronçon de la voie principale d'environ 1 830 pieds, d'un tronçon d'une voie d'évitement de 660 pieds et d'un passage à niveau privé, et a causé la perte de 150 arbres ainsi que des dommages à des conduites d'alimentation en eau d'une pépinière voisine.

Annexe B - Nouvelles technologies de mesurage des contraintes dans les LRS

La liste ci-après présente quelques exemples des recherches qui ont été faites jusqu'ici et qui se poursuivent en vue de mettre au point un système non destructif de mesurage des contraintes imposées aux LRS :