Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A24Q0027

Toucher des roues avant la piste
Air Inuit Ltée
Boeing of Canada Limited de Havilland Division DHC-8-314, C-GAIW
Aéroport de Kangiqsujuaq (Wakeham Bay) (CYKG) (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu. Les pronoms et les titres de poste masculins peuvent être utilisés pour désigner tous les genres afin de respecter la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (L.C. 1989, ch. 3).

Table des matières

    Résumé

    Le 30 mars 2024, à 13 h 52, heure avancée de l’Est, l’aéronef Boeing of Canada Limited de Havilland Division DHC-8-314 (immatriculation C-GAIW, numéro de série 300) exploité par Air Inuit Ltée a décollé de l’aéroport de La Grande Rivière (CYGL) (Québec) pour effectuer un vol de fret de jour selon les règles de vol aux instruments à destination de l’aéroport de Kangiqsujuaq (Wakeham Bay) (CYKG) (Québec), avec 2 membres d’équipage de conduite et 1 agent de fret aérien à bord. Au moment de l’atterrissage, les roues ont touché le sol un peu avant la piste et la partie inférieure du train d’atterrissage principal gauche s’est détachée. L’aéronef a fait un rebond et a retouché le sol avec seuls les trains avant et droit. Le contrôle directionnel a été assuré et l’aéronef s’est immobilisé sur la piste. L’aéronef a subi des dommages importants au train d’atterrissage gauche, au fuselage et à l’hélice gauche. Il n’y a pas eu de blessé.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Déroulement du vol

    Le 30 mars 2024, à 13 h 52Les heures sont exprimées en heure avancée de l’Est (temps universel coordonné moins 4 heures)., l’aéronef Boeing of Canada Ltd. de Havilland Division DHC-8-314 (DH8C) exploité par Air Inuit Ltée (Air Inuit) a décollé de l’aéroport de La Grande Rivière (CYGL)Sauf indication contraire, tous les lieux mentionnés dans le présent rapport sont situés au Québec. pour effectuer un vol de fret de jour selon les règles de vol aux instruments à destination de l’aéroport de Kangiqsujuaq (Wakeham Bay) (CYKG) (figure 1), avec 2 membres d’équipage de conduite et 1 agent de fret aérien à bord.   

    Figure 1. Carte montrant le point d’origine et la destination du vol à l’étude (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
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    Vers 15 h 25, en vol de croisière vers CYKG, l’équipage a débuté sa préparation en vue de l’approche et de l’atterrissage. L’équipage a obtenu les conditions météorologiques à CYKG auprès du régulateur de vol d’Air Inuit. Le rapport indiquait à ce moment-là des vents du 080° vrai à 23 nœuds, une visibilité de ½ mille terrestre (SM) dans des précipitations de neige faible, une chasse-neige élevée, un plafond de nuages fragmentés à 400 pieds au-dessus du sol (AGL) et un ciel couvert à 1800 pieds AGL.

    L’équipage a établi un plan au cas où la météo se dégraderait et a choisi d’effectuer une approche surveillée par le pilote (PMA) en raison des conditions météorologiques. L’équipage a ensuite effectué l’exposé d’approche PMA pour l’approche navigation de surface guidée par le système mondial de navigation par satellite [RNAV (GNSS)] de la piste 15 à CYKG. À 15 h 37, l’aéronef a débuté sa descente et le premier officier, qui allait être le pilote aux commandes (PF) pour la PMA, a pris les commandes peu après.

    À 15 h 42, la personne responsable de la station radio d’aérodrome communautaire (CARS) de CYKG a donné une mise à jour des conditions météorologiques aux pilotes. Les vents rapportés étaient du 100° magnétique (M) à 24 nœuds, la visibilité de ½ SM un plafond de nuages fragmentés à 300 pieds AGL et un ciel couvert à 600 pieds AGL.

    À 15 h 47, l’aéronef se trouvait à 3 milles marins (NM) avant le point de cheminement d’approche finale (FAWP) KEGTI, sur l’alignement de descente et l’alignement horizontal de l’approche.

    À 15 h 48, la personne responsable de la CARS a rapporté que les vents étaient du 120°M à 24 nœuds.

    À 15 h 50, l’aéronef a franchi le FAWP avec les volets à 15°, les trains d’atterrissage sortis et les listes de vérification exécutées.

    À 15 h 52 min 09 s, l’aéronef, avec le pilote automatique en fonction, est passé au-dessus de l’alignement de descente pour revenir sur celui-ci 41 secondes plus tard. La vitesse de l’aéronef s’est ensuite stabilisée à 120 nœuds, soit à la vitesse d’approche.

    À 15 h 53 min 18 s, l’aéronef a franchi le point désigné d’approche stabilisée (approach gate) en étant sur l’alignement de descente et en respectant tous les critères d’approche stabilisée d’Air Inuit.

    À 15 h 53 min 32 s, l’aéronef, toujours avec le pilote automatique en fonction, est passé une 2e fois au‑dessus de l’alignement de descente (environ 100 pieds au-dessus). Treize secondes plus tard, le PF a déconnecté le pilote automatique pour rejoindre manuellement l’alignement de descente.

    À 15 h 53 min 54 s, l’aéronef était à 1 NM du seuil de la piste 15, avec une déviation d’environ 80 pieds au-dessus de l’alignement de descente (1 point sur l’indicateur d’alignement de descente) à 126 nœuds et un peu à gauche de l’alignement horizontal de l’approche. Le commandant de bord a donné quelques conseils au PF pour l’aider à regagner l’alignement de descente et l’alignement horizontal de l’approche.

    À 15 h 54 min 04 s, l’aéronef était à 0,75 NM du seuil, sur l’alignement de descente et l’alignement horizontal de l’approche, et 1 seconde plus tard, l’altitude de décision corrigée pour la température de 780 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL) a été atteinte. L’équipage, qui avait déjà la piste en vue depuis plusieurs secondes avant d’atteindre l’altitude de décision, a poursuivi le vol en vue de l’atterrissage.

    À 15 h 54 min 10 s, l’aéronef est passé sous l’alignement de descente de l’approche RNAV et est resté sous celui‑ci à partir de là.

    À 15 h 54 min 16 s, à 0,4 NM de la piste, les volets ont été baissés à 35°, le commandant de bord a pris les commandes et a débuté une réduction de vitesse pour l’atterrissage, tandis que l’aéronef se trouvait à environ 50 pieds sous l’alignement de descente de l’approche RNAV (environ 1,75 point de déviation). Cette déviation a été maintenue jusqu’au toucher des roues tandis que l’aéronef descendait sur une pente d’approche visuelle de 3°.

    À 15 h 54 min 31 s, à environ 450 pieds du seuil et 20 pieds au-dessus de l’altitude du seuil, l’assiette de l’aéronef est passée de 2,3° à 5,5° en cabré en 2 secondes.

    À 15 h 54 min 33 s, les trains d’atterrissage principaux ont touché le remblai de gravier qui délimite le bout de la piste et se trouve à 220 pieds avant le seuil (figure 2). La roue gauche a touché le sol environ 5 pouces sous le niveau de la piste, et la roue droite, environ 4 pouces sous ce niveau.

    Figure 2. Extrémité de la piste 15 incluant la fin de la surface nivelée, le remblai d’environ 30 pieds de hauteur et le terrain en pente non préparé (Source : Tierce partie, avec permission, et avec annotations du BST)
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    Le sous-ensemble du piston du train avec les roues s’est détaché du train d’atterrissage gauche à l’insu des pilotes. L’aéronef a rebondi et le commandant de bord a posé l’aéronef sur la piste tout en le maintenant au centre de la piste. L’aéronef s’est immobilisé à environ 2100 pieds au-delà du seuil de la piste 15 (figure 3).

    Figure 3. Aéronef de l’événement à l’étude immobilisé sur la piste (Source : Commandant de bord de l’aéronef)
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    1.2 Personnes blessées

    Il n’y a eu aucun blessé.

    1.3 Dommages à l’aéronef

    L’aéronef a subi des dommages importants au train d’atterrissage gauche, à l’hélice gauche ainsi qu’à la nacelle gauche. La partie inférieure arrière du fuselage présentait des dommages par frottements ainsi que des perforations du revêtement et des enfoncements de la structure.

    1.4 Autres dommages

    Il n’y a pas eu d’autres dommages.

    1.5 Renseignements sur le personnel

    Tableau 1. Renseignements sur le personnel

    Commandant de bord

    Premier officier

    Licence de pilote

    Licence de pilote de ligne (ATPL)

    Licence de pilote professionnel (CPL)

    Date d’expiration du certificat médical

    1er janvier 2025

    1er octobre 2024

    Heures totales de vol

    10 120

    1002

    Heures de vol sur type

    3984

    13,4

    Heures de vol au cours des 24 heures précédant l’événement

    6,5

    2,1

    Heures de vol au cours des 7 jours précédant l’événement

    11,5

    7,2

    Heures de vol au cours des 90 jours précédant l’événement

    119,4

    11,3

    Heures de vol sur type au cours des 90 jours précédant l’événement

    111,9

    11,3

    Heures de service avant l’événement

    8,2

    4,7

    Heures hors service avant la période de travail

    12,6

    22,5

    L’équipage avait les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol à l’étude conformément à la réglementation en vigueur.

    Le commandant de bord avait 8 ans d’expérience à titre de commandant de bord sur les DH8C. Il travaillait comme pilote pour le compte de l’entreprise depuis 2011. Son contrôle de la compétence du pilote (CCP) avait eu lieu en juin 2023. Son entraînement périodique semestriel et celui approuvé en tant que substitut au CCP avaient eu lieu en décembre 2023.

    Le premier officier travaillait comme pilote pour le compte de l’entreprise depuis janvier 2024. Il avait été affecté aux DH8C et avait terminé sa formation initiale et réussi son CCP en février 2024.

    1.6 Renseignements sur l’aéronef

    L’aéronef à l’étude est un DHC-8-314, soit une version du DHC-8-100 allongée de 11,3 pieds. Il avait été modifié pour le transport du fret et était équipé d’une porte d’accès arrière surdimensionnée.

    Tableau 2. Renseignements sur l’aéronef

    Constructeur

    Boeing of Canada Ltd. de Havilland Division*

    Type, modèle et immatriculation

    DHC-8-314, C-GAIW

    Année de construction

    1991

    Numéro de série

    300

    Date d’émission du certificat de navigabilité

    7 septembre 2016

    Total d’heures de vol cellule

    44 144,9 heures

    Type de moteur (nombre)

    Pratt & Whitney PW123B (2)

    Type d’hélice (nombre)

    Hamilton Sundstrand 14SF-23 (2)

    Masse maximale autorisée au décollage

    43 000 livres (19 505 kg)

    Masse maximale autorisée à l’atterrissage

    42 000 livres (19 051 kg)

    Types de carburant recommandés

    Jet A, Jet A1, JP5, JP8, Jet B, JP-4

    Type de carburant utilisé

    Jet A1

    L’aéronef a décollé de CYGL avec une masse de 42 998 livres et s’est posé à CYKG avec une masse estimée à 40 302 livres. La masse et le centrage de l’aéronef se trouvaient dans les limites prescrites par le constructeur.

    Aucune défectuosité non corrigée n’était consignée dans les dossiers techniques ni n’avait été rapportée par l’équipage au moment de l’événement. En outre, rien n’indique que la défaillance d’un composant ou d’un système a joué un rôle dans l’événement à l’étude.

    1.7 Renseignements météorologiques

    Le message d’observation météorologique spéciale d’aérodrome (SPECI) émis à 15 h 46 pour CYKG faisait état des conditions suivantes :

    • vents soufflant du 070° vrai à 24 nœuds;
    • visibilité de ½ SM dans de la neige et une chasse-neige élevée;
    • plafond de nuages fragmentés à 300 pieds AGL, et ciel couvert à 500 pieds AGL;
    • température de −4 °C et point de rosée de −5 °C;
    • calage altimétrique de 29,81 pouces de mercure (inHg).

    Environ 6 minutes avant l’atterrissage, soit 2 minutes après le SPECI ci-haut, les vents ont été rapportés soufflant du 120°M à 24 nœuds.

    1.7.1 Courants descendants

    CYKG est situé dans une région caractérisée par un relief rocheux et irrégulier. Dans la zone entourant l’aéroport, la végétation est clairsemée. L’aéroport lui-même est situé sur une colline rocheuse près du petit village côtier de Kangiqsujuaq.

    La publication MÉTAVI traite de façon détaillée des effets du vent en terrain montagneux :

    Lorsque l’air instable dépasse le sommet d’une montagne, qui agit comme barrière, il s’écoule alors vers le bas, souvent sous forme de courants descendants assez violents. Cette descente peut parfois excéder le potentiel ascensionnel d’un appareil et provoquer son écrasement sur le contrefort [figure 4]Environnement Canada, MÉTAVI : L’atmosphère, le temps et la navigation aérienne (janvier 2011), section 14.3.1 Envolées en terrain montagneux, p. 139-140, à l’adresse https://publications.gc.ca/collections/collection_2013/ec/En56-239-2011-fra.pdf (dernière consultation le 9 décembre 2025)..   

    Figure 4. Circulation du vent en régions montagneuses (Source : Environnement Canada, MÉTAVI : L’atmosphère, le temps et la navigation aérienne [janvier 2011])
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    En tenant compte de la topographie autour de CYKG et des vents présents lors de l’événement à l’étude, l’enquête a permis de déterminer qu’il est probable que des courants descendants, aussi appelés rabattants, se trouvaient dans la zone d’approche finale de la piste 15 à ce moment-là (figure 5).

    Figure 5. Illustration des courants de vents probables près de CYKG au moment de l’événement à l’étude (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
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    1.8 Aides à la navigation

    Sans objet.

    1.9 Communications

    Il n’y a pas eu, que l’on sache, de problème de communication.

    1.10 Renseignements sur l’aérodrome

    CYKG est situé à environ 1 km à l’est-sud-est de la municipalité de Kangiqsujuaq. L’aéroport et le seuil de la piste 15 se trouvent à une altitude topographique de 517 pieds ASL. L’aéroport est exploité par l’Administration régionale Kativik. Il possède une seule piste, la piste 15/33, qui est en gravier et mesure 3520 pieds de long et 100 pieds de large. La piste 15 est en pente descendante de 1,7 % sur les 2132 premiers pieds puis de 0,3 % sur les 1388 derniers piedsNAV CANADA, Supplément de vol – Canada (en vigueur du 21 mars 2024 au 16 mai 2024), p. B47..

    La piste 15/33 est équipée des feux suivants :

    • feux de bord de piste blancs à intensité variable, situés sur toute sa longueur à intervalles de 196,85 piedsCes intervalles correspondent à 60 m, comme cela est décrit dans le TP 312F, Aérodromes - Normes et pratiques recommandées de Transports Canada5e édition (en vigueur le 15 janvier 2020).;
    • feux de seuil et d’extrémité de piste qui apparaissent rouges dans le sens du décollage et verts pendant l’approche et l’atterrissage;
    • feux d’identification de piste stroboscopiques et unidirectionnels situés à chaque extrémité de la piste.

    Des indicateurs de vent sont placés à côté de la piste, à environ 200 pieds du bord et à environ 500 pieds au-delà de chaque seuil de piste. La piste a été aménagée sur le dessus d’une colline rocheuse et les 220 pieds avant le seuil de la piste 15 sont nivelés avec du gravier et sont à la même altitude topographique que la piste (figure 6). L’épaisseur de la couche de gravier crée un remblai jusqu’au terrain non préparé qui descend ensuite pour atteindre 90 pieds ASL à environ 2600 pieds du seuil de la piste 15 (figure 2, de la section 1.1, Déroulement du vol).

    Figure 6. Vue aérienne de l’aéroport de Kangiqsujuaq (Wakeham Bay) et de ses environs avec des images insérées qui montrent le dénivelé du terrain sur la trajectoire de l’approche finale pour la piste 15 (Source de l’image principale : Google Earth, avec annotations du BST. Source des images insérées : BST)
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    La topographie aux alentours de l’aéroport fait en sorte que lorsque les vents sont supérieurs à 20 nœuds, il y a un risque de turbulence et de cisaillement du vent. Le Supplément de vol – Canada met les pilotes en garde contre cette situationNAV CANADA, Supplément de vol – Canada (en vigueur du 21 mars 2024 au 16 mai 2024), p. B47..

    1.11 Enregistreurs de bord

    L’aéronef était doté d’un enregistreur de données de vol (FDR) et d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR). Les 2 enregistreurs ont été envoyés au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) pour en extraire les données enregistrées.

    Le FDR contenait les données de 133 vols, dont celles du vol à l’étude. L’analyse de ces données a permis d’établir la vitesse de l’aéronef, sa trajectoire, l’angle de tangage, les forces d’accélération verticales lors du toucher des roues, les angles d’inclinaison de virage, la position des volets, la vitesse de rotation des hélices, la puissance des moteurs, les alertes du système d’avertissement et d’alarme d’impact et l’utilisation des commandes de vol et des manettes des gaz par le PF.

    Selon les données de vol, quand l’aéronef était en phase finale d’approche au-dessus du relief ascendant, une composante de vent vertical négatif était présente. Un vent vertical descendant maximal d’environ 600 pi/min est survenu à environ 0,25 NM du seuil de piste, soit 12 secondes avant l’impact. L’assiette est ensuite passée de 2,3° à 5,5° en cabré. Cette manœuvre en cabré avait pour but d’arrêter la descente afin de ne pas poser l’aéronef avant le début de la piste. Durant cette manœuvre, des effets du vent vertical ont été ressentis et la descente de l’aéronef s’est poursuivie.

    Le CVR, qui contenait des enregistrements audio de bonne qualité, avait une durée nominale d’enregistrement de 30 minutes, ce qui était conforme à l’Exemption de l’application des articles 605.34 et 605.34.3 du Règlement de l’aviation canadien (RAC)Transports Canada, RCN-014-2023, Exemption de l’application des articles 604.34 et 605.34.3 du Règlement de l’aviation canadien (signée et entrée en vigueur le 21 juin 2023). au moment de l’événement. Le CVR a fourni l’enregistrement audio des communications entre les membres d’équipage avant et pendant l’événement.

    1.12 Renseignements sur l’épave et sur l’impact 

    Figure 7. Impact des trains d’atterrissage avec le remblai au début de la surface nivelée de la piste (Source : BST)
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    Lorsque le train d’atterrissage gauche a heurté le remblai environ 5 pouces en contrebas de la partie nivelée de la piste (figure 7), le cylindre de la jambe de train s’est fracturé (figure 8), ce qui a entraîné le détachement du sous-ensemble du piston du train avec les roues.

    Figure 8. Image illustrant l’impact du train d’atterrissage gauche avec le remblai et la ligne de fracture sur le cylindre de la jambe de train (Source : BST)
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    Lors de l’atterrissage, ce qui restait de la jambe de train s’est partiellement replié vers l’arrière et l’hélice a heurté la surface de la piste. L’aéronef s’est arrêté en reposant sur le train gauche replié et sur ses 2 autres trains d’atterrissage intacts. L’aile gauche n’a pas touché le sol (figure 3, de la section 1.1, Déroulement du vol).

    1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

    Rien n’indique que des facteurs médicaux ou physiologiques, y compris la fatigue, ont nui à la performance de l’équipage.

    1.14 Incendie

    Rien n’indique la présence d’un incendie soit avant ou après l’événement.

    1.15 Questions relatives à la survie des occupants

    Sans objet.

    1.16 Essais et recherche

    1.16.1 Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

    • LP058/2024 – FDR Analysis [Analyse des données du FDR]
    • LP059/2024 – CVR Recovery and Analysis [Récupération et analyse des données du CVR]
    • LP069/2024 – NVM Data Recovery - FMS [Récupération des données de la mémoire non volatile – système de gestion de vol]
    • LP079/2024 – Fractography of Landing Gear [Fractographie du train d’atterrissage]
    • LP093/2024 – Dash 8 Main Landing Gear Examination and Inventory [Examen et inventaire du train d’atterrissage principal du Dash 8]

    1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion

    1.17.1 Air Inuit Ltée

    Air Inuit est un transporteur aérien régional basé à Dorval, qui effectue des vols réguliers et nolisés vers 22 destinations, majoritairement au Nunavik (Nord-du-Québec).

    Au moment de l’événement, la flotte d’Air Inuit comprenait 33 aéronefs : 4 Boeing 737-200, 1 Boeing 737-300, 3 Boeing 737-800Les Boeing 737-800 faisaient partie de la flotte, mais ils n’étaient pas encore en exploitation au moment de l’événement., 3 Beechcraft 300, 7 De Havilland DHC-6 Twin Otter, 12 De Havilland DHC-8-300 et 3 De Havilland DHC-8-100.

    L’entreprise les exploitait en vertu des sous-parties 702 (Opérations de travail aérien), 703 (Exploitation d’un taxi aérien), 704 (Exploitation d’un service aérien de navette) et 705 (Exploitation d’une entreprise de transport aérien) du RAC. Le vol à l’étude était effectué en vertu de la sous-partie 705.

    L’entreprise surveille et gère les risques opérationnels à l’aide d’un système de gestion de la sécurité (SGS) approuvé par Transports Canada. Le système repose sur des instruments, comme un programme d’assurance de la qualité des opérations aériennes et des procédures d’exploitation normalisées, qui prévoient une boucle de rétroaction pour aider à cerner et à atténuer les risques en matière de sécurité.

    1.17.1.1 Atterrissage

    Après avoir constaté qu’il était recommandé de se poser dans le premier tiers de la piste sans réellement désigner un point cible ou une zone privilégiée pour le toucher des roues, Air Inuit a modifié la section sur les atterrissages de ses procédures d’exploitation normalisées en janvier 2024, afin d’y inclure une pratique exemplaireUne pratique exemplaire est une forme de ligne directrice, de conseil ou de principe, volontaire et non contraignante, qui décrit une méthode efficace sans entrer dans les détails spécifiques à la tâche. pour les opérations sur des pistes dépourvues d’indicateur visuel d’alignement de descente (VGSI). Selon cette pratique exemplaire [traduction] : « le point cible pour l’atterrissage sur des pistes de 3937 pieds (1200 m) et moins devrait être l’indicateur de vent lorsqu’il y en a à chaque extrémité de la pisteAir Inuit Ltée, Standard Operating Procedures Dash 8, amendement 3 (1er janvier 2024), section 2.7.2 : Normal Landing, p. 226.. »

    Cette pratique exemplaire repose sur les informations concernant les points cibles publiées dans le Manuel d’information aéronautique de Transports CanadaTransports Canada, TP 14371F, Manuel d’information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC), AGA - Aérodromes (21 mars 2024), sections 5.4 et 5.9. (AIM de TC). Dans le cas des aéroports du réseau d’Air Inuit, toutes les pistes sans VGSI sont munies d’indicateurs de vent à chaque extrémité de piste, ceux-ci étant positionnés à environ 500 pieds de chaque seuil, comme c’est le cas à CYKG.

    1.18 Renseignements supplémentaires

    1.18.1 Calcul de la distance d’atterrissage

    Les distances d’atterrissage publiées dans le manuel de vol de l’aéronef ont été calculées selon les normes contenues dans le chapitre 525 du Manuel de navigabilité (Avions de catégorie Transport). L’alinéa 525.125 a) définit la distance d’atterrissage comme suit :

    La distance horizontale nécessaire pour atterrir et amener à l’arrêt complet (ou à une vitesse approximative de 3 nœuds pour les amerrissages) à partir d’un point situé à 50 pieds au-dessus de la surface d’atterrissage doit être déterminée (pour les températures standards, à chaque masse, altitude, et vent, à l’intérieur des limites d’utilisation établies par le demandeur pour l’avion)Transports Canada, Manuel de navigabilité, chapitre 525 : Avions de catégorie transport, alinéa 525.125a). :

    La distance d’atterrissage publiée dans le manuel de vol de l’aéronef débute lorsque l’aéronef passe le seuil de la piste à une hauteur de 50 pieds, se poursuit sur 840 à 1050 pieds selon la configuration de l’aéronef (tandis que celui-ci est toujours dans les airs), et se termine avec le roulage au sol.

    D’après les limites de régulation relatives aux atterrissages à un aérodrome de destination stipulées dans le RAC,

    […] il est interdit d’effectuer la régulation ou le décollage d’un avion, à moins que la masse à l’atterrissage ne permette d’effectuer :

          a)   à l’aérodrome de destination, un arrêt complet : […]

                (ii)   dans le cas d’un avion à hélice, sur au plus 70 pour cent de la distance d’atterrissage utilisable (LDA)Transports Canada, DORS/96-433, Règlement de l’aviation canadien, paragraphe 705.60(1).;

    Pour vérifier si cette exigence est respectée, il faut calculer la distance d’atterrissage pondérée, qui correspond à la distance d’atterrissage sur piste sèche publiée dans le manuel de vol multipliée par 1,428. Cette distance pondérée est ensuite comparée à la longueur de piste déclarée comme étant utilisable (c’est-à-dire la LDA).

    Dans le cas à l’étude, la distance d’atterrissage (non pondérée) pour la piste 15 avait été calculée à 2220 piedsDistance qui prend en compte un facteur de 10 % pour une piste en gravier et une pente moyenne de −1,11 % pour la piste 15 à CYKG., ce qui est la distance selon les conditions de certification pour la piste.

    La distance pondérée ajoute une marge de sécurité afin de garantir une longueur de piste pour l’atterrissage suffisamment longue sur la piste choisie. Dans le cas à l’étude, celle-ci correspond à une distance d’atterrissage pondérée de 3170 piedsDistance calculée avec le logiciel utilisé par Air Inuit qui prend en compte la pondération exigée par le Règlement de l’aviation canadien, un facteur de 10 % pour une piste en gravier et une pente moyenne de −1,11 % pour la piste 15 à CYKG. pour une piste avec une LDA de 3520 pieds. L’équipage disposait uniquement de la distance pondérée dans ses documents de planification de vol.

    Tant pour la distance pondérée que pour la distance non pondérée, une portion de cette distance est parcourue quand l’aéronef est toujours en vol.

    1.18.2 Point cible

    Le point cible, aussi connu sous le nom de point de visée, est l’endroit désigné sur la piste sur lequel les pilotes fixent leur regard pendant l’approche finale. Il sert de guide visuel aux pilotes et les aide à maintenir une pente optimale de descente pour l’atterrissage.

    Le Airplane Flying Handbook de la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis donne l’information suivante sur le point cible [traduction] :

    Un avion en approche finale à un taux de descente constant et à une vitesse constante se déplace en ligne droite vers un endroit au sol à l’avant, communément appelé le point cible. Si l’avion maintient une pente de descente constante sans arrondi pour l’atterrissage, il touchera le sol au point cible. […]

    Pour le pilote, le point cible semble être stationnaire. Il ne semble pas se déplacer sous le nez de l’aéronef et ne semble pas s’éloigner de l’aéronef. […]

    Notez que le point cible n’est pas l’endroit où l’avion se pose réellement. Comme le pilote réduit le taux de descente pendant l’arrondi, le toucher des roues réel se produit plus loin sur la pisteFederal Aviation Administration (FAA), FAA-H-8083-3C, Airplane Flying Handbook, chapitre 9 : Approaches and Landings, section : Stabilized Approach Concept, p. 9-4 et 9-5, à l’adresse https://www.faa.gov/sites/faa.gov/files/regulations_policies/handbooks_manuals/aviation/airplane_handbook/10_afh_ch9.pdf (dernière consultation le 9 décembre 2025)..

    Le TP 312F, Aérodromes - Normes et pratiques recommandées (TP 312) de Transports Canada, contient des normes relatives aux aides visuelles aux aérodromes. Pour les pistes de 1200 m ou moins, le TP 312 indique qu’elles doivent être munies d’un indicateur de direction du vent situé soit au centre de l’aérodrome ou près de chaque extrémité de piste. Dans ce dernier cas, l’indicateur de direction du vent doit généralement être situé à proximité des marques de point cibleTransports Canada, TP 312F, Aérodromes – Normes et pratiques recommandées : aérodromes terrestres, 5e édition, amendement 1 (15 janvier 2020), article 5.1.1.5, p. 87.. Cette même information est également contenue dans l’AIM de TCTransports Canada, TP 14371F, Manuel d’information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC), AGA - Aérodromes (21 mars 2024), section 5.9..

    Selon les informations recueillies lors de l’enquête, sur des pistes en gravier de moins de 4000 pieds, il serait pratique courante pour de nombreux pilotes travaillant pour différents exploitants aériens d’utiliser un point cible qui correspond souvent à une zone juste après le seuil de piste et même parfois à un point avant le seuil de piste.

    1.18.2.1 Décision relative au point de toucher des roues

    En juillet 2024, le Dutch Safety Board a publié un rapport d’enquête sur un événement similaire à l’événement à l’étude qui impliquait un Airbus A330-300 qui a touché le sol 11 m avant le seuil de la piste. Dans ce rapport d’enquête, il est expliqué que les pilotes étaient préoccupés par la longueur de la piste, en particulier par la faible marge entre la longueur de la piste et la distance d’atterrissage nécessaire qu’ils avaient calculée.

    Cette perception de piste trop courte a mené les pilotes à vouloir réduire les risques de sortie en bout de piste en adoptant une pratique couramment utilisée sur des pistes courtes. Cette pratique consiste à descendre sous l’alignement de descente afin de viser un point de toucher des roues en tout début de piste. Cependant, à environ 60 pieds de hauteur, l’aéronef a subi les effets d’une rafale et d’un courant descendant, ce qui a modifié davantage sa trajectoire et entraîné un toucher des roues avant le seuil de la pisteDutch Safety Board, Touchdown before threshold: Risks associated with a large aircraft landing on a short runway (18 juillet 2024), à l’adresse https://onderzoeksraad.nl/en/onderzoek/touchdown-before-threshold-airbus-a330-300-amsterdam-airport-schiphol/ (dernière consultation le 9 décembre 2025)..

    1.18.3 Zone de poser

    Selon le Canada Air Pilot, la zone de poser est la « [z]one de la piste d’atterrissage qui s’étend sur la longueur des premiers 3000 pieds ou sur celle du premier tiers, selon la moindre valeurNAV CANADA, Canada Air Pilot (CAP), CAP GÉN : Pages Générales (en vigueur le 21 mars 2024), p. 14.. » Dans le cas de la piste 15 à CYKG, la zone de poser s’étend du seuil jusqu’à 1173 pieds (357 m).

    1.18.4 Hauteur entre les yeux du pilote et les roues de l’aéronef

    La circulaire d’information 700-026 de Transports Canada définit la hauteur entre les yeux et les roues (EWH) comme suit :

    Distance verticale existant entre les yeux du pilote et la partie la plus basse de son aéronef à la hauteur de survol du seuil, à la masse maximale autorisée à l’atterrissage en vertu du certificat et en configuration d’atterrissage normale pour ce type d’aéronef et une pente de descente donnée.

    Remarque : Il est important d’indiquer qu’il ne s’agit pas ici de la dimension d’un aéronef immobilisé sur l’aire de trafic. Il s’agit en fait de la distance verticale en configuration d’atterrissage alors que l’aéronef adopte un angle de cabrage permettant à la trajectoire des roues de suivre l’angle de la pente de descente. L’EWH est habituellement indiquée pour une pente de descente de trois degrés, mais elle peut être différente pour d’autres pentes de descenteTransports Canada, circulaire d’information (CI) No 700-026 : Information sur la hauteur entre les yeux du pilote et les roues d’un aéronef (numéro d’édition 01 : 7 août 2012), à l’adresse https://tc.canada.ca/fr/aviation/centre-reference/circulaires-information/circulaire-information-ci-ndeg-700-026 (dernière consultation le 9 décembre 2025).[gras et italique dans l’original]

    Le rapport d’enquête aéronautique A12Q0161 du BST sur un accident où un DH8C  avait effectué un atterrissage brutal suivi d’un contact entre la partie arrière du fuselage et la piste explique qu’au moment où les yeux du pilote passent le seuil de la piste, les roues de l’aéronef n’ont pas encore atteint le seuil. Il est donc essentiel de tenir compte de la distance horizontale et verticale que les roues doivent parcourir pour atteindre le seuil. Cette hauteur verticale entre les yeux du pilote et la trajectoire des roues (EWPH) est de 11,9 pieds pour le DH8C avec un angle de tangage de 2°. Cette hauteur varie en fonction de l’angle de tangage de l’aéronef.

    Pour le DH8C, les EWH et EWPH pour différents angles de tangage sont indiquées dans le tableau 3.

    Tableau 3. Hauteurs entre les yeux et les roues et entre les yeux et la trajectoire des roues selon l’angle de tangage pour le Boeing of Canada Ltd. de Havilland Division DHC-8-314

    Angle de tangage

    Hauteur entre les yeux et les roues (EWH)

    Hauteur entre les yeux et la trajectoire des roues (EWPH)

    9,4 pi

    10,9 pi

    10,4 pi

    11,9 pi

    5,5°

    12,2 pi

    13,6 pi

    Le rapport d’enquête aéronautique A12Q0161 du BST indiquait également qu’en configuration pour un atterrissage normal sur une pente de descente de 3° avec un point cible situé à 300 pieds du seuil de la piste, les roues du DH8C franchiraient le seuil à une hauteur de 3,8 pieds.

    Dans les mêmes conditions, si le point cible est déplacé vers le seuil de la piste, les roues toucheront le sol 228 pieds avant le seuil si la descente n’est pas stoppée.

    1.18.5 Relief et illusions d’optique

    CYKG est situé dans une région caractérisée par un relief rocheux et irrégulier avec une zone d’approche en pente ascendante (variant de 3,2 % à 14,7 % selon les segments). Ce type de relief en pente ascendante dans la zone d’approche peut créer une illusion d’optique qui influence la perception du pilote par rapport à la trajectoire de descente de l’aéronef.

    Selon un rapport de la Flight Safety Foundation sur son initiative de sécurité des pistes (le Runway Safety Initiative), une pente ascendante dans la zone d’approche peut créer l’illusion que l’aéronef est trop haut. Cette illusion peut amener l’équipage à corriger sa trajectoire en augmentant le taux de descente prévu (par exemple, avoir une pente de descente supérieure à 3°), ou empêcher l’équipage de reconnaître une pente de descente trop basse (par exemple, avoir une pente de descente inférieure à 3°)Flight Safety Foundation, Reducing the Risk of Runway Excursions: Report of the Runway Safety Initiative (mai 2009), p. 105..

    Fait établi : autre

    Dans le cas à l’étude, même si l’aéronef était sous l’alignement de descente de l’approche, le commandant de bord était conscient des illusions possibles à cet endroit et il maintenait visuellement une pente de descente constante de 3°.

    2.0 Analyse

    L’enquête n’a permis de révéler aucun signe de panne d’un système de l’aéronef ni de défaillance de la cellule ou du moteur qui auraient pu être des facteurs contributifs pendant le vol à l’étude. De plus, la performance de l’aéronef n’a pas été retenue comme un facteur contributif. Les pilotes détenaient les licences et les qualifications requises pour le vol, et rien n’indique que la fatigue ou des facteurs médicaux ont nui à leur performance.

    Dans l’événement à l’étude, le pilote a fait comme à l’habitude et l’aéronef a été descendu sous l’alignement de descente de l’approche afin de cibler un atterrissage plus près du seuil de la piste. Par conséquent, l’analyse portera sur cette pratique d’approche, y compris la descente sous l’alignement de descente, le point cible utilisé et les effets du relief et des conditions environnementales propres à l’aéroport de Kangiqsujuaq (Wakeham Bay) (CYKG).

    2.1 Descente sous l’alignement de descente et point cible

    Lors de la portion visuelle d’une approche finale, les pilotes concentrent leur regard sur un point cible spécifique sur la piste. En l’absence de marques de point cible ou de zone de poser, les pilotes ont tendance à cibler le seuil pour poser l’aéronef le plus tôt possible sur les pistes en gravier, qui sont susceptibles de réduire l’efficacité du freinage en hiver. Cette pratique vise à réduire les risques de sortie en bout de piste. L’enquête a permis de déterminer que cette pratique était très répandue dans les opérations sur des pistes en gravier de moins de 4000 pieds.

    Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette pratique utilisée dans le but de maximiser la distance disponible pour le roulage au sol lors de l’atterrissage. Les calculs de performance d’atterrissage du constructeur de ce modèle d’aéronef sont basés sur un aéronef qui franchit le seuil à 50 pieds de hauteur et touche le sol de 840 à 1050 pieds plus loin. Sur une piste de 3520 pieds en gravier comme à CYKG, le toucher des roues se trouve ainsi dans le dernier quart de la zone de poser. Les pilotes peuvent avoir l’impression que cette distance entre le seuil et le toucher des roues est en quelque sorte perdue pour le roulage au sol et qu’elle réduit leur marge de sécurité pour éviter une sortie en bout de piste.

    Air Inuit avait publié une pratique exemplaire basée sur le TP 312 de Transports Canada et le Manuel d’information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC) dans ses procédures d’exploitation normalisées. Cette pratique recommandait d’utiliser l’indicateur de vent comme point cible pour les pistes comme celle à CYKG, et ce, pour permettre un toucher des roues à partir de 500 pieds au-delà du seuil de piste. Un peu comme pour les calculs du constructeur de l’aéronef, les pilotes peuvent avoir l’impression que cette distance est également perdue pour le roulage au sol, et que la marge de sécurité est limitée.

    Chez Air Inuit, les pilotes disposaient uniquement des distances d’atterrissage pondérées dans leur planification de vol. Ces distances, qui sont calculées lors de la préparation du vol et prévoient une marge de sécurité, sont plus longues que la distance indiquée dans le manuel de vol de l’aéronef. Par ailleurs, les distances pondérées comprennent la portion de la distance où l’aéronef est encore en vol une fois passé le seuil de piste, distance qui est inconnue des pilotes. Pour ce vol, la distance pondérée calculée était de 3170 pieds, soit seulement 350 pieds de moins que la longueur de la piste (3520 pieds). Cela a pu maintenir l’impression qu’avait l’équipage de ne disposer que d’une petite marge de sécurité, surtout avec des conditions de piste changeantes.

    Le BST a déjà relevé les risques liés à une approche basse avec un point cible proche du seuil de la piste. Dans le rapport d’enquête aéronautique A12Q0161, le BST indiquait que si les pilotes descendent sous la pente d’approche optimale de 3°, il y a un risque accru en approche de collision avec des obstacles et un risque accru d’atterrissage avant la surface de la piste.

    Dans le cas de l’événement à l’étude, l’intention du commandant de bord était d’effectuer un arrondi de façon à toucher le sol après les feux de seuil de piste.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le pilote, pour minimiser les risques de sortie en bout de piste, faisait comme à l’habitude pour ce genre d’opérations en ciblant un atterrissage près du seuil de la piste. Il avait comme point cible une zone juste après le seuil de la piste et suivait visuellement une pente de descente de 3°. Ainsi, l’aéronef était sous l’alignement de descente de l’approche et sur une trajectoire où les roues allaient toucher le sol environ 228 pieds avant le seuil si la descente n’était pas stoppée avant.

    2.2 Effet du relief et des conditions environnementales sur l’approche

    CYKG est situé dans une région au relief rocheux et irrégulier avec une zone d’approche sujette à des courants descendants. À la fin de l’approche, la lecture de vent négatif captée par l’enregistreur de données de vol (FDR) confirme que l’aéronef a subi les effets d’un courant descendant qui l’ont fait commencer à se rabattre vers le sol. Le commandant de bord a réagi en cabrant l’aéronef et en ajoutant de la puissance. Lorsque l’aéronef a atteint 5,5° en cabré, le train d’atterrissage était environ 12 pieds plus bas que les yeux du pilote. Bien que cette manœuvre ait ralenti la descente inopinée, elle ne l’a pas stoppée et n’a pas suffi à empêcher un toucher des roues avant le début de la piste.

    À CYKG, la construction de la piste a nécessité un nivelage du terrain accidenté sur le dessus de la colline, et ce, en formant un remblai de gravier environ 220 pieds avant le seuil. Lorsque l’aéronef a heurté ce remblai, la roue gauche a touché le sol environ 5 pouces sous le niveau de la piste, et la roue droite, environ 4 pouces sous ce niveau. Ce contact a entraîné la fracture par surcharge de la jambe du train gauche et le détachement de son ensemble de roues.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    L’utilisation d’une zone juste après le seuil comme point cible a placé l’aéronef sur une trajectoire de descente menant à un toucher des roues avant le seuil de la piste. La descente n’a pas été stoppée en raison des effets d’un courant descendant. Le toucher s’est alors produit à environ 220 pieds du seuil, les roues ont heurté le remblai sous le niveau de la piste, et le train d’atterrissage gauche s’est fracturé.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. Le pilote, pour minimiser les risques de sortie en bout de piste, faisait comme à l’habitude pour ce genre d’opérations en ciblant un atterrissage près du seuil de la piste. Il avait comme point cible une zone juste après le seuil de la piste et suivait visuellement une pente de descente de 3°. Ainsi, l’aéronef était sous l’alignement de descente de l’approche et sur une trajectoire où les roues allaient toucher le sol environ 228 pieds avant le seuil si la descente n’était pas stoppée avant.
    2. L’utilisation d’une zone juste après le seuil comme point cible a placé l’aéronef sur une trajectoire de descente menant à un toucher des roues avant le seuil de la piste. La descente n’a pas été stoppée en raison des effets d’un courant descendant. Le toucher s’est alors produit à environ 220 pieds du seuil, les roues ont heurté le remblai sous le niveau de la piste, et le train d’atterrissage gauche s’est fracturé.

    3.2 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. Dans le cas à l’étude, même si l’aéronef était sous l’alignement de descente de l’approche, le commandant de bord était conscient des illusions possibles à cet endroit et il maintenait visuellement une pente de descente constante de 3°.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Air Inuit Ltée

    À la suite de l’événement, la direction des opérations aériennes d’Air Inuit Ltée (Air Inuit) a effectué un examen de sécurité détaillé des constatations et des causes profondes au terme de l’enquête effectuée dans le cadre de son système de gestion de la sécurité (SGS).

    Cette enquête avait conclu que les pilotes de l’entreprise avaient tendance à tenter de se poser près du seuil de piste sur les pistes en gravier. L’enquête avait aussi conclu que les équipages de conduite ne comprenaient pas toujours bien les calculs de performance d’atterrissage, à savoir ce que ces calculs incluaient déjà comme marge de sécurité, et qu’ils étaient basés sur un franchissement du seuil à 50 pieds de hauteur.

    À la suite de ces constats, Air Inuit a publié une alerte de sécurité à l’interne sur les risques associés aux atterrissages courts, plus précisément sur la phase de vol lorsque la piste est en vue, et sur la marge d’altitude sécuritaire lors du franchissement du seuil de piste. Les plans de vol pour les opérations de DH8C ont été modifiés pour inclure les distances d’atterrissage non pondérées du manuel de vol de l’aéronef pour différentes positions de volets, en plus des distances d’atterrissage pondérées.

    Air Inuit a ensuite créé un diagramme de zone de poser des roues pour les pistes en gravier en prenant en considération tous les types d’aéronefs utilisés pour ses opérations. Ce diagramme a ensuite été inclus dans les procédures de l’entreprise et une campagne de formation auprès de tous les pilotes de l’entreprise a été effectuée.

    Les critères d’atterrissage stabilisé de l’entreprise ont été mis à jour afin de préciser que la trajectoire verticale de vol mène vers la « zone de poser souhaitée » (« Desired Touch Down Zone – DTDZ »). Air Inuit définit la zone de poser souhaitée comme suit [traduction] :

    À l’exception des opérations hors-piste, la zone de poser souhaitée est définie comme une zone mesurée à partir du seuil de piste dans le sens de l’atterrissage et comprise entre les 500 et 1100 premiers pieds de la piste [emphase dans l’original], ou comprise dans le premier tiers de celle-ci si cette distance est moindre [figure 9]Air Inuit Ltée, Landing Performance & Landing Geometry (2024) [document de formation].. 

    Figure 9. Diagramme et définition de la zone de poser souhaitée (Source : Air Inuit Ltée Landing Performance & Landing Geometry [document de formation])
    Image

    Air Inuit a par ailleurs apporté les modifications suivantes à ses programmes de formation :

    • explication détaillée des calculs de performance d’atterrissage selon différents points cibles et angles d’approche;
    • explication des hauteurs entre les yeux et les roues (EWH) et entre les yeux et la trajectoire des roues (EWPH) selon l’angle de tangage et l’angle d’approche pour les DH8C, les Boeing 737 et les Beechcraft 300;
    • intégration du diagramme de la zone de poser souhaitée dans la formation en vol et sur simulateur pour tous les aéronefs exploités.

    Air Inuit n’a reçu aucun rapport interne indiquant que cette procédure donne l’impression aux pilotes qu’ils pourraient manquer de piste.

    Air Inuit a effectué un suivi de la mise en œuvre de la procédure et tous ses pilotes ont adhéré à cette pratique sans effet négatif sur les opérations de vol. Cette procédure ne semble nécessiter aucun ajustement.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 4 décembre 2025. Le rapport a été officiellement publié le 18 décembre 2025.