Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R23D0108

Collision et déraillement en voie principale
Train de marchandises X37631-20 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et
Train de banlieue EXO 1212 du transporteur Réseau de transport métropolitain (exo)
Point milliaire 135,89, subdivision de St-Laurent
Montréal (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu. Les pronoms et les titres de poste masculins peuvent être utilisés pour désigner tous les genres afin de respecter la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (L.C. 1989, ch. 3).

Table des matières

    Résumé

    Le 21 novembre 2023, vers 18 h 27, heure normale de l’Est, le train X37621‑20 (CN 376) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), un mouvement haut-le-pied, circulait vers le sud sur la voie est de la subdivision de St-Laurent lorsqu’il est entré en collision à 32 mi/h avec la queue du train de banlieue EXO 1212 à l’arrêt du transporteur Réseau de transport métropolitain (exo). Lors de l’impact, le train EXO 1212 était en gare à Saint-Léonard–Montréal-Nord (point milliaire 135,89) à Montréal (Québec). Quatre des 8 passagers qui se trouvaient à bord du train EXO 1212 ainsi que les 2 membres de l’équipe de ce train ont subi des blessures mineures. Les 2 membres de l’équipe du train CN 376 n’ont subi aucune blessure. La locomotive EXO 1346 et la voiture voyageurs EXO 3062 ont subi des dommages, de même que les 2 locomotives du train CN 376.

    L’enquête a permis d’établir les faits suivants :

    • Avant la collision, le train CN 376 avait franchi un signal de marche à vue qui limitait sa vitesse à 15 mi/h jusqu’au signal suivant.
    • L’équipe du train CN 376 a vraisemblablement présumé que le canton gouverné par l’indication du signal de marche à vue était libre et s’attendait à ce que le signal suivant devienne permissif pour son mouvement.
    • Le serrage d’urgence des freins du train CN 376 a été initié alors que le train roulait 26 mi/h au-dessus de la vitesse maximale permise par l’indication d’un signal de marche à vue. Le train CN 376 n’a pu s’arrêter à temps et a percuté la queue du train EXO 1212 à environ 32 mi/h.

    Mesures de sécurité à prendre

    Moyens physiques de commande des trains à sécurité intégrée

    Le BST a formulé en 2000 et 2013 2 recommandations (respectivement R00‑04 et R13‑01) exhortant Transports Canada (TC) à adopter des moyens de défense physiques à sécurité intégrée. En février 2022, TC a publié un avis d’intention indiquant qu’il entendait exiger que les corridors les plus à risque du Canada soient dotés d’un système de protection automatique des trains à sécurité intégrée (appelé commande des trains améliorée, ou CTA) conformément aux objectifs de son plan stratégique intitulé Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au Canada (plan stratégique Transports 2030). Malgré l’initiation de plusieurs activités et projets visant la conception et l’élaboration d’un tel système au Canada, peu de mesures concrètes ont été prises à cet effet.

    En 2022, à la suite de son enquête sur une collision survenue entre 2 trains du CN en 2019 près de Portage la Prairie (Manitoba), le BST a recommandé que

    le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.

    Recommandation R22‑04 du BST

    De plus, le 17 avril 2024, à la suite de 3 autres événements faisant l’objet d’une enquête, le BST a envoyé au ministre des Transports une lettre concernant l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains exploités au Canada dans laquelle il a exhorté le ministre des Transports d’accélérer la mise en œuvre d’un tel système dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays. En date de la publication du présent rapport, le BST n’avait pas reçu de réponse.

    En décembre 2024, TC a indiqué qu’il prévoit rédiger un projet de règlement en 2025 destiné à être publié dans la Partie I de la Gazette du Canada en 2026. Cependant, les détails concernant les corridors ferroviaires et itinéraires particuliers qui nécessiteraient un système CTA et la forme finale d’un tel système n’ont pas été encore déterminés. Pendant ce temps, la sécurité entourant la circulation ferroviaire au Canada continue de reposer uniquement sur des moyens de défense administratifs.

    Compte tenu des événements récents liés au non-respect des indications des signaux qui continuent de survenir au Canada, le BST exhorte TC à accélérer les activités menant à l’adoption de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains, notamment sur les corridors à grande vitesse et les itinéraires clés, afin de mieux protéger les passagers, les biens et l’environnement.

    Conséquemment, le BST réitère la recommandation R22‑04.

    Mesures provisoires supplémentaires

    Les défenses administratives actuelles reposent uniquement sur la reconnaissance et le respect des indications des signaux par les équipes de train. Cependant, de nombreuses enquêtes du BST ont identifié différentes circonstances dans lesquelles ces défenses administratives ont échoué. Comme le soulignent l’avis de sécurité ferroviaire 01/24 et la lettre au ministre des Transports, les risques associés au non-respect des indications des signaux restent élevés et il est peu probable que le niveau de risque soit réduit de manière significative avant la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée.

    Toutefois, dans les dernières années, plusieurs compagnies de chemin de fer opérant au Canada ont, de leur propre initiative, introduit des mesures visant à compenser, en partie, l’absence d’une telle réglementation de la part de TC. Certaines compagnies ont procédé à l’ajout de moyens de défense administratifs supplémentaires alors que d’autres ont eu recours à l’intégration de technologies de géolocalisation par satellite (voir la section 4.2.2).

    Cet échantillon des initiatives mises en place par certaines compagnies de chemin de fer représente un pas dans la bonne direction en attendant la mise en œuvre de la CTA, que TC affirme avoir l’intention de mettre en œuvre conformément aux objectifs de son plan stratégique Transports 2030.

    En date de la publication du présent rapport, de nombreuses activités nécessaires à la mise en œuvre de la CTA au Canada, y compris l’évaluation des risques liés aux corridors, n’avaient pas encore été complétées par TC. Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de certaines de ces activités essentielles, il est peu probable qu’un tel système puisse être élaboré et mis en œuvre d’ici les prochaines années. Si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, il n’y aura pas d’intervention automatique pour arrêter les trains si les équipes de train ne suivent pas les signaux ou commettent une erreur d’interprétation, ce qui augmente les risques d’accident.

    D’ici la mise en œuvre de la CTA, aucune mesure provisoire n’est requise ou prévue par TC pour réduire les risques de collisions entre trains. Ceci signifie que, pour les années à venir, il y aura peu ou pas de moyens de défense physiques exigés par la réglementation permettant d’arrêter un train lorsqu’une équipe ne respecte pas l’indication d’un signal.

    Le Bureau recommande donc que

    Le ministère des Transports mette immédiatement en place des mesures provisoires supplémentaires pour pallier les risques liés au non-respect des indications des signaux ferroviaires par les équipes de train, tels que les collisions entre trains, jusqu’à la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée adéquats et permanents.

    Recommandation R25‑01 du BST

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L’événement

    Le 21 novembre 2023, vers 18 h 04Toutes les heures sont exprimées en heure normale de l’Est., le train de marchandises X37621-20 (CN 376) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), un mouvement haut-le-piedUn train en marche haut-le-pied est un train qui consiste uniquement de locomotives, sans wagons., s’apprêtait à quitter le triage du CN de Rivière-des-Prairies en direction du triage Taschereau après y avoir laissé tous ses wagons. Le train CN 376, composé de 2 locomotives (CN 3100, la locomotive menante du mouvement, et CN 3201), pesait environ 426 tonnesDans le présent rapport, « tonne » désigne une tonne courte, soit 2000 livres ou environ 907 kg. et mesurait 146 pieds. Avant le départ, l’équipe du train CN 376, composée d’un mécanicien de locomotive (ML) et d’un chef de train, a été informée par le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) qu’elle obtiendrait les signaux requis pour quitter le triage, en suivant le train de banlieue EXO 1212 après le passage de ce dernier.

    Vers 18 h 13, le train EXO 1212, qui circulait vers le sud sur la voie principale est de la subdivision de St-Laurent, est passé à la hauteur du triage du CN de Rivière-des-Prairies. Ce train était composé de 3 voitures multiniveaux Bombardier, soit une voiture-logeLa voiture-loge EXO 3008 compte 127 places sur 2 étages et possède une cabine à l’avant d’où le mécanicien de locomotive peut contrôler une locomotive située à la queue du train en mouvement de pousse. et 2 voitures voyageursLes voitures voyageurs EXO 3082 et EXO 3062 comptent 142 places sur 2 étages., et d’une locomotive diesel-électriqueLa locomotive EXO 1346, de modèle F59PH, avait été construite en 1990 par la General Motors Diesel Division. attelée à l’arrière. Il pesait environ 335 tonnes et mesurait quelque 313 pieds. Huit passagers et 2 membres de l’équipe étaient à bord. Le train était contrôlé le ML à partir de la cabine de conduite de la voiture-loge alors que le chef de train se trouvait à bord de la voiture EXO 3062. Le train se dirigeait vers son prochain arrêt, la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord à Montréal (Québec) (figure 1).   

    Figure 1. Carte du lieu de l’événement (Source : Google Maps, avec annotations du BST)
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    Vers 18 h 17, après le passage du train EXO 1212 à Rivière-des-Prairies, le train CN 376 a obtenu les signaux nécessaires et a quitté le triage pour s’engager vers le sud, sur la voie principale est, la même voie que celle sur laquelle le train de banlieue circulait. Vers 18 h 24, le train CN 376 a franchi un signal de marche à vueUn signal de marche à vue autorise les trains à se déplacer à la vitesse de « marche à vue ». Cette vitesse permet l’arrêt non seulement en deçà de la moitié de la distance de visibilité d’un matériel roulant, mais aussi avant un aiguillage mal orienté. La vitesse de « marche à vue » commande l’attention aux ruptures de rail et ne doit jamais dépasser la « petite vitesse » (15 mi/h). (Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada [1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022], Définitions). (signal 1349E) situé à environ 1 mille de la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord, où le train EXO 1212 était déjà à l’arrêt. À l’approche du quai de la gare, l’équipe du train CN 376 a aperçu au loin, sur la voie ouest, un autre train de banlieue, le train EXO 1211, qui circulait en direction opposée. Le ML du train CN 376 a alors diminué l’intensité du phare avant et éteint les phares de fossé de la locomotive menante avant de croiser le train EXO 1211, conformément à la règle 17 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF).

    Après avoir croisé le train EXO 1211, le ML du train CN 376 a remis les phares de la locomotive à pleine intensité. Il a alors aperçu la queue du train EXO 1212 (la locomotive EXO 1346) immobilisée sur la même voie, à quelque 500 pieds au-devant. Le ML a immédiatement effectué un serrage d’urgence des freins du train alors que ce dernier roulait à environ 41 mi/h. Le train CN 376 avait ralenti à environ 32 mi/h lorsqu’il est entré en collision avec le train EXO 1212 (figure 2), vers 18 h 27.

    Figure 2. Lieu de la collision (Source : Google Maps, avec annotations du BST)
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    Quatre des 8 passagers qui se trouvaient à bord du train EXO 1212 ainsi que les 2 membres de l’équipe de ce train ont subi des blessures mineures.

    Au moment de l’événement, il faisait nuit, le ciel était couvert et la température était de 1 °C.

    1.2 Examen des lieux

    À la suite de l’impact, les dispositifs d’attelage entre les locomotives CN 3100 et CN 3201 du train CN 376 se sont rompus, entraînant la séparation des 2 locomotives. La locomotive CN 3100 s’est enfoncée dans la locomotive du train EXO 1212 et a poussé ce train vers le sud sur une distance d’environ 150 pieds. Un bogie de la voiture EXO 3062 a déraillé. Les locomotives CN 3100 et CN 3201 ont subi des dommages principalement à leurs systèmes d’attelage alors que la locomotive EXO 1346 ainsi que la voiture EXO 3062 du train EXO 1212 ont subis des dommages structurels au point où elles sont considérées comme étant des pertes totales (figures 3 et 4).

    Figure 3. Dommages subis par les parties avant des locomotives EXO 1346 et CN 3100 (Source : BST)
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    Figure 4. Dommages subis par la voiture EXO 3062 et par la partie arrière de la locomotive EXO 1346 (Source : BST)
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    La voiture EXO 3062, qui était attelée à la locomotive EXO 1346, a subi des dommages à la zone vestibule et à la zone intermédiaire, lorsque la partie arrière de la locomotive EXO 1346 s’est enfoncée dans le bout ALes voitures voyageurs ont des extrémités (bouts) désignées « A » et « B », le bout « B » étant généralement l’extrémité où est situé le réservoir à air comprimé du système de freinage., entraînant le déraillement des roues du premier essieu. La zone multiniveau n’a pas subi de déformations apparentes et toutes les fenêtres sont demeurées intactes et fixées à leur cadre.

    La deuxième voiture du train (EXO 3082) ainsi que la voiture-loge (EXO 3008) n’ont subi aucun dommage apparent.

    Après une interruption de la circulation ferroviaire normale, celle-ci a été rétablie vers 5 h 41 le lendemain matin, après que la voiture EXO 3062 a été remise sur les rails et que le matériel roulant des 2 trains en cause a été déplacé vers la gare de triage du CN de Rivière-des-Prairies, située à environ 3 milles du lieu de la collision.

    1.3 Panne d’alimentation électrique et évacuation des passagers

    À la suite de l’impact :

    • L’alternateur principal de la locomotive EXO 1346 a cessé de fonctionner, ce qui a coupé le circuit d’alimentation électrique du train. Les batteries de la locomotive qui alimentent ses systèmes auxiliaires (radio, éclairage, etc.) ont été délogées de leur support, coupant l’alimentation électrique de ces systèmes.
    • Les batteries de secours de la voiture EXO 3062 ont aussi été délogées de leur support, coupant son alimentation électrique d’urgence et entraînant la panne du système d’éclairage d’urgence, de l’ouverture électrique des portes et du système d’interphone d’urgence.
    • Le disjoncteur de protection du circuit d’alimentation électrique d’urgence de la voiture-loge EXO 3008, à partir de laquelle le ML manœuvrait le train, s’est déclenché à la suite d’un court-circuit survenu dans le câblage électrique, dont l’origine n’a pu être déterminée avec certitude. Ceci a entraîné la coupure de l’alimentation électrique d’urgence de cette voiture et mis la radio ferroviaire de bord hors service. Le ML a alors été dans l’impossibilité de faire les appels d’urgence nécessaires à l’aide de la radio ferroviaireLes appels d’urgence ont été placés par le ML du train EXO 1211. Au moment de l’événement, ce train était arrêté sur la voie adjacente, au quai ouest de la gare Saint-Léonard–Montréal-Nord..
    • L’éclairage intérieur d’urgence de la voiture EXO 3082 est demeuré en fonction.

    Après la collision, les passagers à bord du train EXO 1212 ont été évacués vers le quai de la gare par les portes des voitures qui étaient déjà ouvertes. En l’absence d’éclairage d’urgence, qui était hors fonction dans 2 des 3 voitures (la voiture EXO 3062 et la voiture-loge EXO 3008), les passagers ont été guidés dans l’obscurité par la signalisation phosphorescente à bord (figure 5).

    Figure 5. Signalisation phosphorescente à bord des voitures d’exo (Source : BST)
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    1.4 Renseignements consignés

    La séquence des événements (annexe A) a été établie à partir de l’examen des informations disponibles, y compris les données des consignateurs d’événements et des caméras orientées vers l’avant des locomotives en cause, les enregistrements des écrans du CCF, les données des enregistreurs audio et vidéo de locomotive (EAVL) de la locomotive CN 3100 et de la voiture-loge EXO 3008, ainsi que les données provenant des caméras de surveillance de la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord.

    À la suite de l’examen des différentes données consignées recueillies, les points d’intérêt suivants ont été relevés :

    • Le train EXO 1212 était immobilisé sur la voie est à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord avec les freins à air serrés à fond.
    • Le train CN 376 roulait à 41 mi/h et se trouvait à environ 514 pieds de la queue du train EXO 1212 lorsqu’un serrage d’urgence des freins a été déclenché.
    • La collision est survenue alors que le train CN 376 avait décéléré à 32 mi/h.
    • À la suite de l’impact, un freinage d’urgence provenant de la conduite générale du train EXO 1212 s’est déclenché.
    • La collision a entraîné le déplacement du train EXO 1212 vers le sud sur une distance approximative de 150 pieds.
    • Le système de signalisation fonctionnait comme prévu et la progression de l’indication des signaux pour le train CN 376 était conforme aux règles applicables du REF. Le dernier signal franchi par le train, le signal 1349E, affichait une indication de « marche à vue » (règle 436).
    • Avant le départ du triage de Rivière-des-Prairies, aucun essai de frein n’a été effectué sur les locomotives du train CN 376Au moment de repartir du triage de Rivière-des-Prairies, la locomotive CN 3100 a été configurée comme étant la locomotive menante du mouvement. Lorsqu’une locomotive devient menante, un essai de frein sur voie d’atelier doit être effectué. (Source : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Guide du mécanicien de locomotive, imprimé 8960 [1er mai 2016], section F9.1.2, p. 77)..

    1.4.1 Données de l’enregistreur audio et vidéo de la locomotive CN 3100

    Lors de l’analyse des données de l’EAVLTransports Canada, DORS/2020-178, Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive (23 août 2020, en vigueur le 2 septembre 2022). de la locomotive CN 3100, le BST a constaté que les 2 caméras qui se trouvaient à l’intérieur de la cabine avaient été obstruées par des feuilles de papier (figure 6)Il n’a pas été possible de déterminer à quel moment et par qui les caméras avaient ainsi été obstruées.. Cependant, l’enregistrement audio n’avait pas été affecté par l’obstruction des caméras et les conversations entre les membres de l’équipe étaient demeurées intelligibles.  

    Figure 6. Vue obstruée des 2 caméras de la cabine de la locomotive CN 3100 (Source : BST)
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    Selon les dispositions réglementaires en vigueur :Transports Canada, DORS/2020-178, Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive (23 août 2020, en vigueur le 2 septembre 2022), paragraphe 16(1).,Transports Canada, Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.), (2 septembre 2022), paragraphe 17.31(3).

    • Les EAVL doivent être munis de mesures de protection physiques conçues de manière à prévenir toute altération, y compris la réduction du champ de visibilité des caméras.
    • L’altération des EAVL dans l’intention d’empêcher l’enregistrement des renseignements est interdite.

    Au moment de l’événement, la réglementation en vigueur ne prévoyait pas d’interdiction explicite, pour les équipes de train, d’exploiter une locomotive dont l’EAVL est altéré ou est non fonctionnel, comme quand les caméras EAVL sont obstruées.

    Le 22 décembre 2023, le BST a émis l’Avis de sécurité du transport ferroviaire 07/23 (Obstruction des caméras du système d’enregistreurs audio et vidéo des locomotives [EAVL]) à TC.

    En vertu de cet avis, le BST a demandé à TC de s’assurer que les EAVL soient opérationnels et saisissent les données requises.

    1.5 Renseignements sur les équipes

    Les équipes des 2 trains en cause dans l’événement étaient composées chacune d’un ML et d’un chef de trainLes membres de l’équipe du train EXO 1212 étaient employés par Alstom Transport Canada Inc., entreprise mandatée par le Réseau de transport métropolitain pour l’exploitation de l’ensemble de ses lignes de trains de banlieue.. Les membres des équipes étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et d’aptitude au travail, et connaissaient bien le territoire.

    Les données recueillies dans le cadre de l’enquête ont permis de constater qu’aucun facteur pouvant engendrer de la fatigue pour les 2 équipes de train n’était présent au moment de l’événement.

    1.5.1 Équipe d’exo

    Le ML du train EXO 1212 possédait environ 43 ans d’expérience aux chemins de fer. De son côté, le chef de train avait acquis plus de 32 années d’expérience dans l’exploitation des trains. Les 2 travaillaient sur la ligne 15 Mascouche d’exo depuis plus de 2 ans.

    Le jour de l’événement, les membres de l’équipe ont débuté leur quart de travail vers 12 h 45 à la gare de Mascouche.

    1.5.2 Équipe de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Le ML du train CN 376 avait acquis plus de 16 années d’expérience dans l’exploitation des trains. Le chef de train possédait environ 9 ans d’expérience aux chemins de fer.

    Le jour de l’événement, les membres de l’équipe ont débuté leur quart de travail vers 13 h 30. Ils ont été assignés comme équipe de relève pour le train CN 376 qui se trouvait alors à la gare de Dorval. Leur tâche consistait à manœuvrer ce train jusqu’à la gare de triage du CN de Rivière-des-Prairies, à y laisser la totalité des wagons de leur convoi, et à ramener les 2 locomotives jusqu’à la gare de triage du CN de Taschereau où leur quart de travail devait prendre fin.

    Selon l’information obtenue au cours de l’enquête, rien n’indique que des facteurs médicaux ou physiologiques ont nui à la performance de l’un ou l’autre des membres de l’équipe.

    1.6 Renseignements sur la subdivision et sur la voie

    La subdivision de St-Laurent s’étend de la gare de Pointe-aux-Trembles au nord (point milliaire 127,8) jusqu’à la gare de Josy au sud (point milliaire 144,4).

    Chaque semaine, quelque 112 trainsRépartis comme suit : 26 trains de marchandises du CN, 6 trains de voyageurs de VIA Rail Canada Inc. et 80 trains de banlieue d’exo. empruntent les voies ferrées de cette subdivision, dans l’une ou l’autre des directions, pour un tonnage annuel approximatif de 17 millions de tonnes brutes. La subdivision de St-Laurent est considérée comme un itinéraire clé« Itinéraire clé [caractères gras dans l’original] : Sur une période d’un an, voie sur laquelle sont acheminés au moins 10 000 wagons-citernes chargés ou citernes mobiles intermodales chargées de marchandises dangereuses, comme le définit la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses, ou toute combinaison de ces transports comprenant au moins 10 000 wagons-citernes chargés et citernes mobiles intermodales chargées. » (Source : Transports Canada, Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés (2016), paragraphe 3.3)., de nombreux trains transportant des marchandises dangereuses y circulant de façon régulière.

    Cette subdivision est une voie de catégorie 4 selon le Règlement concernant la sécurité de la voie. Dans le secteur où l’événement est survenu, la vitesse maximale permise est de 60 mi/h pour les trains de voyageurs et de 50 mi/h pour les trains de marchandises.

    La voie principale simple devient double entre les gares de Grou (point milliaire 128,2) et de Montréal-Nord (point milliaire 136,3). Les 2 voies sont alors désignées « voie ouest » et « voie est », conformément à la règle 81 du REF. La circulation des trains y est régie par la commande centralisée de la circulation (CCC), en vertu du REF. Tous les mouvements sont supervisés par un CCF du CN en poste à Edmonton (Alberta).

    1.7 Système de commande centralisée de la circulation

    Les systèmes de contrôle de la circulation ferroviaire assurent la sécurité de la marche des trains, des travaux en voie ainsi que de l’entretien des voies ferrées. La CCC, en particulier, utilise des circuits de voie interconnectés avec les signaux installés le long de la voie dont l’indication contrôle les mouvements des trains.

    Le système de CCC comporte 2 types d’installations de signaux :

    • Les signaux contrôlés, qui consistent en des installations fixes situées sur le terrain à l’entrée d’un cantonPartie de voie, d’une longueur déterminée, dont l’occupation par un mouvement est commandée par des signaux de canton (Source : Transports Canada, Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada [9 mai 2022], Définitions). pour régler la marche d’un mouvement. Ces signaux présentent par défaut une indication « arrêt absolu » (tous les feux du signal présentent un aspect rouge). Ils affichent une indication moins restrictive selon l’itinéraire programmé par le CCF. Le système de signalisation détermine le degré de permissivité de chaque indication de signal.
    • Les signaux avancés consistent en des installations fixes qui ne sont pas contrôlés par le CCF, mais qui sont reliées à un ou plusieurs autres signaux. L’indication présentée par ces signaux dépend notamment de l’occupation du prochain canton, de l’indication du signal suivant et de l’intégrité du circuit de voie.

    Les indications des signaux établissent la vitesse maximale à laquelle les mouvements peuvent franchir les emplacements contrôlés et la vitesse à laquelle ils devront approcher le signal suivant. Elles fournissent aussi des renseignements sur l’état de la voie. Ces indications permettent aux équipes de savoir si le prochain canton est occupéPar « occupé », on entend soit qu’un tronçon de voie est occupé par du matériel, soit que le circuit de voie est brisé. Un circuit de voie peut être brisé pour de nombreuses raisons (par exemple, un rail rompu ou un aiguillage laissé en position ouverte). par un autre mouvement et elles offrent une protection contre certaines situations, comme la présence de matériel roulant, d’un rail brisé ou d’un aiguillage laissé ouvert.

    Les indications des signaux sont progressives : lorsqu’un mouvement s’approche d’un signal, l’indication de ce dernier dépend de l’indication possible du signal suivant. Par exemple, si un mouvement rencontre une indication « de vitesse normale à arrêt », il doit s’attendre à ce que le signal suivant présente une indication « arrêt absolu », à moins que les conditions du circuit de CCC aient changé entre-temps. La marche des mouvements à l’intérieur des cantons est gouvernée par la règle 401.1 du REFRèglement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 401.1. qui stipule que : « [l]es indications données par les signaux de canton et d’enclenchement règlent la marche jusqu’au prochain signal ou panneau indicateur de fin de canton ».

    1.7.1 Indication des signaux sur le parcours du train CN 376

    Lorsque le train CN 376 a quitté la gare de triage du CN de Rivière-des-Prairies, il a franchi 4 signaux de CCC situés sur son parcours jusqu’à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord (figure 7) :

    Figure 7. Parcours du train CN 376 entre la gare de triage de Rivière-des-Prairies et le lieu de la collision (Source : BST)
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    • Le 1er signal, 1322, affichait une indication « de petite vitesse à vitesse moyenneIbid., règle 433. » permettant au train de sortir du triage en direction nord et d’entrer sur la voie principale est de la subdivision de St-Laurent.
    • Le 2e signal, 1321E, affichait une indication « de vitesse normale à arrêtIbid., règle 411. » permettant au train d’inverser le sens de son mouvement pour se diriger vers le sud.
    • Le 3e signal, 1333E, qui indiquait au préalable « arrêt absoluIbid., règle 439. », a changé pour afficher une indication « de vitesse normale à arrêt » permettant au train de continuer sa route vers le sud.
    • Le 4e signal, 1349E, affichait une indication de « marche à vue » permettant au train de poursuivre sa route à la vitesse de marche à vue.

    Le signal suivant, 1363E, est situé au sud de la gare. Ce signal à diodes électroluminescentes (DEL) devient visible environ 1400 pieds après avoir passé le signal 1349E, à la sortie d’une courbe vers la gauche. Ce signal, qui indiquait initialement « arrêt absolu », a changé pour afficher une indication de « vitesse normaleIbid., règle 405. »Ce signal était destiné au train EXO 1212, qui était alors en gare, afin qu’il puisse poursuivre sa route vers le sud selon son horaire régulier.. Ce changement d’indication, qui était destiné au train EXO 1212, est survenu alors que le train CN 376, qui se dirigeait vers le sud, était situé à environ 900 pieds du quai de la gare.

    1.8 Vitesse du train CN 376

    Bien que la vitesse maximale autorisée dans la subdivision de St-Laurent soit de 50 mi/h pour les trains de marchandises, un bulletin d’exploitation du CN en vigueurSelon le bulletin d’exploitation 010, émis le 19 octobre 2023 par le CN, les trains de marchandises rencontrant un signal de vitesse normale à arrêt doivent réduire leur vitesse de 10 mi/h sous la vitesse maximale autorisée. Cette réduction de vitesse doit commencer avant de franchir un tel signal. imposait une réduction de vitesse de 10 mi/h sous la vitesse maximale autorisée après le franchissement de tout signal affichant une indication « de vitesse normale à arrêt ». Dans l’événement à l’étude, après que le train CN 376 a franchi le signal 1333E, sa vitesse a atteint 52 mi/h à l’intérieur du canton.

    À l’approche du signal 1349E, qui affichait une indication de « marche à vue », le train a réduit sa vitesse à environ 4 mi/h. Après avoir franchi ce signal, le train a initialement accéléré jusqu’à 20 mi/h. Le signal 1363E de l’emplacement contrôlé Montréal-Nord, qui présentait une indication « arrêt absolu », est alors devenu visible. Au même moment, l’équipe a aperçu le train EXO 1211 qui s’engageait vers le nord sur la voie ouest à partir de ce même emplacement contrôlé. Le ML du train CN 376 a alors ralenti le train à approximativement 8 mi/h. Par la suite, en voyant que le train EXO 1211 avait libéré l’emplacement contrôlé Montréal-Nord, le train CN 376 a accéléré pour atteindre la vitesse de 41 mi/h avant même d’arriver à la hauteur du signal 1363E (figure 8).

    Figure 8. Fluctuation de la vitesse du train CN 376 après le franchissement du signal 1349E (Source : Consignateur d’événements de la locomotive CN 3100)
    Image

    1.8.1 Simulations effectuées par le BST

    Des simulationsLes simulations ont été effectuées à l’aide du logiciel Freight Train Operations Simulator (FTOPS). ont été effectuées par le BST afin d’estimer la distance d’arrêt approximative d’un train ayant les mêmes caractéristiques que le train en cause dans l’événement à l’étude (train type). L’objectif des simulations était de déterminer la distance d’arrêt approximative d’un train type roulant à 15 mi/h, soit la vitesse maximale autorisée par la règle 436 (marche à vue) du REF, dans les mêmes conditions d’opération que le train en cause dans l’événement à l’étude.

    La figure 9 présente la courbe de décélération établie par les simulations au cours desquelles un serrage progressif maximal du frein indépendant a été effectué.    

    Figure 9. Courbe de décélération d’un train type établie par les simulations (Source : BST)
    Image

    Les simulations ont permis d’établir que la distance requise pour arrêter un train type est inférieure à 200 pieds.

    1.9 Règles et instructions relatives à l’observation des signaux

    L’observation des signaux par les équipes de train est régie par le REF et par les instructions spéciales particulières à chaque compagnie de chemin de fer. Ces règles constituent des défenses administratives qui aident les équipes de train à se conformer à l’indication de chaque signal. Les règles et instructions concernant les signaux de canton comprennent notamment :

    • La règle 34 du REF (« Reconnaissance et observation des signaux fixes ») – Cette règle exige que les membres de l’équipe qui sont à portée de voix les uns des autres se communiquent d’une manière claire et audible le nom de chaque signal fixe qu’ils sont tenus d’annoncer. Tout signal influant sur un mouvement doit être nommé à haute voix dès l’instant où il est reconnu formellement; cependant, les membres de l’équipe doivent surveiller les changements d’indication et, le cas échéant, s’en faire part rapidement et agir en conséquence.
    • La règle 578 du REF (« Exigences relatives aux messages radio ») – Cette règle exige qu’un membre de l’équipe de chaque train et transfert transmette un message radio sur les ondes du canal d’attente désigné précisant l’indication donnée par le signal avancé du prochain emplacement contrôlé, point contrôlé ou enclenchement. Le 3 avril 2023, le CN a ajouté une instruction spéciale à cette règle spécifiant qu’elle s’applique aussi en voies multiples.

    Dans l’événement à l’étude, au départ du triage du CN de Rivière-des-Prairies, les membres de l’équipe du train CN 376 se sont communiqué de vive voix les indications de chaque signal sur leur parcours. Toutefois, aucune indication des signaux n’a été transmise sur la radio ferroviaire.

    1.9.1 Zone de vigilance absolue

    Le 23 août 2022, le CN a émis un bulletin d’exploitation modifiant la règle 34 du REF afin d’introduire le concept de zone de vigilance absolue (ZVA).

    Une ZVA est un environnement créé dans la cabine de la locomotive de commande qui permet au ML de se concentrer sur la vitesse de son mouvement à l’approche de restrictions. L’objectif de la ZVA est de réduire et d’éliminer les distractions lorsque le mouvement s’approche d’une situation potentiellement dangereuse. Les instructions relatives à la ZVA précisent notamment que :

    […] les équipes de trains de marchandises commencent à réduire leur vitesse avant de franchir des signaux indiquant de normale à arrêt et qu’elles passent en mode cerveau lent[D. Kahneman, « Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée », 2011. Théorie selon laquelle le cerveau humain possède deux vitesses de pensée. Le mode « cerveau lent » intervient dans la résolution de problèmes complexes, grâce à son approche plutôt analytique.].

    Pendant que cette réduction de vitesse se produit, le chef de train doit s’assurer que le lieu d’arrêt est discuté et déterminé avec le mécanicien de locomotive. Cette conversation DOIT avoir lieu au moins 1 mile avant l’endroit à s’arrêter conformément aux instructions de la zone de vigilance absolue (ZVA)Chemin de fer Canadien National, Bulletin d’exploitation no 010 (19 octobre 2023)..

    Dans l’événement à l’étude, il n’y a eu aucune discussion relative au lieu d’arrêt entre les membres de l’équipe du train CN 376 avant le franchissement des signaux qui présentaient une indication « de vitesse normale à arrêt ». De plus, lorsque l’équipe a franchi le signal 1349E indiquant « marche à vue » (ce qui constitue une restriction assujettie aux règles de la ZVA), aucune discussion relative à cette restriction n’a eu lieu.

    À la suite de cet événement, le CN a étendu les conditions de la ZVA pour y inclure les situations où des trains doivent circuler à vitesse de marche à vue.

    Le CN a également introduit une nouvelle instruction spéciale en vertu de la règle 411 du REFRèglement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 411 : De vitesse normale à arrêt – Avancer, être prêt à s’arrêter au signal suivant.. Dorénavant, les trains de marchandises doivent réduire leur vitesse de 10 mi/h en dessous de la vitesse maximale permise à l’approche d’un signal de vitesse normale à arrêt, cette réduction commençant avant le franchissement du signal.

    1.10 Signaux de queue du train EXO 1212

    1.10.1 Exigences relatives aux signaux de queue

    Les signaux de queue permettent de désigner le dernier matériel roulant d’un train. Ces signaux sont constitués de feux lumineux rouges fixes ou clignotants ou de plaques rouges réfléchissantes et sont contrôlés par l’équipe de train. Il n’y a pas d’exigence particulière au Canada par rapport à l’utilisation des signaux de queue. Ce sont les compagnies de chemin de fer qui déterminent, selon leurs besoins, s’ils équipent leurs trains de signaux de queue ainsi que le type de signaux utilisés.

    Selon le Manuel d’exploitation ferroviaire d’exoExo, Manuel d’exploitation ferroviaire (juin 2021), article 6 : Matériel roulant, paragraphe 6.3 : Signaux de queue., tous les trains de la compagnie doivent être munis de signaux de queue lumineux rouges pour identifier l’extrémité du dernier matériel roulant par rapport au sens de la marche. Ces signaux doivent être obligatoirement utilisés en tout temps.

    Les règles d’exo ne comportent toutefois pas d’exigences techniques particulières, comme le niveau de luminosité minimal requis, l’alignement et l’orientation du faisceau lumineux.

    1.10.2 Résultats des simulations du laboratoire du BST

    Dans le cadre de l’événement à l’étude, le laboratoire du BST a examiné les signaux de queue de la locomotive EXO 1346 pour déterminer leur bon fonctionnement et a effectué des simulations pour déterminer leur visibilité dans des conditions similaires à celles prévalant au moment de la collision.

    Les simulations ont établi que les signaux de queue fonctionnaient correctement. Elles ont aussi permis de déterminer que l’éclairage ambiant de la gare, combiné à celui provenant des signaux ferroviaires qui se trouvaient au-delà de celle-ci, faisait en sorte que les signaux de queue du train EXO 1212 n’étaient pas visibles du point de vue de la cabine de la locomotive menante du train CN 376 alors que ce dernier se dirigeait vers la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord avec l’intensité du phare avant de la locomotive menante réduite.

    1.11 Voitures multiniveaux du Réseau de transport métropolitain

    Les voitures multiniveaux d’exo, des Bombardier série 3000, ont été conçues et fabriquées par Bombardier TransportBombardier Transport a été acquis par Alstom en janvier 2021. au début des années 2000.

    Ces voitures avaient été originalement conçues pour la New Jersey Transit Authority (NJT). Leur conception est conforme aux règlements applicables de la Federal Railroad Administration des États-UnisCode of Federal Regulations des États-Unis, Title 49, Part 238: Passenger Equipment Safety Standards., aux normes techniques de l’American Public Transportation AssociationAmerican Public Transportation Association APTA SS-C&S-034-99, Rev. 1 Standard for the Design and Construction of Passenger Railroad Rolling Stock (28 septembre 2003)., ainsi qu’aux exigences particulières supplémentaires de la NJT.

    Afin d’assurer la robustesse et la sécurité en cas de collision, ces voitures voyageurs présentent, entre autres, les caractéristiques suivantes :

    • La structure de la caisse est conçue pour résister à une charge de compression statique de 800 000 livres appliquée longitudinalement sur l’axe de traction, sans qu’il y ait déformation permanente.
    • La structure de la caisse est conçue pour résister à une charge de compression de 500 000 livres appliquée sur une zone mesurant 6 pouces de haut sur 24 pouces de large, centrée sur le seuil d’extrémité ou sur la poutre tampon, sans qu’il y ait déformation permanente.
    • Les voitures sont équipées de 2 montants anticollision sur toute la hauteur des extrémités du véhicule, résistant à différentes charges horizontales. La connexion supérieure est également conçue pour résister à des charges longitudinales et verticales spécifiques.

    Les voitures multiniveaux Bombardier série 3000 ne sont pas dotées d’un système de gestion de l’énergie en cas de collision. Toutefois, selon une des exigences de la NJT, lors d’une collision, les extrémités des voitures doivent céder avant la zone multiniveau réservée aux passagers, entre les traverses de la carrosserie et la zone d’embarquement (figure 10).  

    Figure 10. Identification des zones d’une voiture multiniveau d’exo (Source : BST)
    Image

    1.12 Conscience de la situation et modèle mental

    La conscience de la situation est la perception des éléments dans l’environnement, la compréhension de leur signification et la projection de leur état dans le futurM.R. Endsley, « Design and evaluation for situation awareness enhancement » dans Proceedings of the Human Factors Society: 32nd Annual Meeting (Santa Monica [California]: 1988), p. 97 à 101.. Dans un environnement dynamique, la conscience de la situation requiert l’extraction continue d’information, l’intégration de celle-ci avec l’information déjà à la disposition afin de se faire un modèle mental cohérent, et à partir de là, l’anticipation des événements futurs. Des membres d’une équipe de train qui ont une conscience de la situation commune peuvent anticiper et coordonner leurs actions et ainsi agir avec cohésion et efficacité.

    Un modèle mental est une structure interne organisée qui permet à une personne de décrire, expliquer et prédire les événements dans leur environnement et construire des attentes de ce qui surviendra dans le futurE. Salas, F. Jentsch et D. Maurino, Human Factors in Aviation, 2e édition, Academic Press, 2010, p. 266.. Quand un modèle mental est adopté, il est résistant au changement. Des informations nouvelles, saillantes et convaincantes doivent être perçues et assimilées afin de modifier un modèle mental existant. Un modèle mental inexact nuira à la conscience de la situation, notamment à la perception des éléments critiques ou à la compréhension de leur importanceM.R. Endsley, « Situation Awareness in Aviation Systems », dans J.A. Wise, V.D. Hopkin et D.J. Garland, Handbook of Aviation Human Factors, 2e édition (Boca Raton [Floride] : CRC Press, 2010), partie II : Human Capabilities and Performance, chapitre 12, p. 12..

    Dans l’événement à l’étude, l’équipe du train CN 376 savait qu’elle suivait le train EXO 1212 en direction sud sur la voie est. L’équipe a anticipé la position du train de banlieue et a vraisemblablement conclu, à tort, que le canton suivant le signal de marche à vue (signal 1349E) était libre jusqu’au signal suivant.

    1.13 Adaptations

    Les adaptations sont des déviations intentionnelles aux règles ou aux procédures. Les adaptations routinières sont des écarts répétés. Elles peuvent avoir vu le jour parce que la règle ou la procédure est jugée inutile, redondante ou simplement parce qu’elle n’est pas appliquée. Lorsque des adaptations sont effectuées sans conséquences négatives, elles peuvent persister et devenir des pratiques courantes. Cette façon de travailler devient normalisée et peut éroder les marges de sécurité que les règles et les procédures étaient censées fournir.

    La surveillance organisationnelle de conformité aux procédures peut permettre d’identifier certaines adaptations, comme celles à l’égard de l’appel des signaux ferroviaires sur la radio. Cette surveillance consiste en des écoutes aléatoires des communications radio, de l’accompagnement des équipes de train durant les conduites, de l’entraînement et des certifications périodiques.

    Dans l’événement à l’étude, l’équipe du train CN 376 ne s’est pas conformée à certaines règles en vigueur lors de sa manœuvre entre le triage du CN de Rivière-des-Prairies et le lieu de l’événement. Le train a quitté le triage alors qu’aucun essai de frein n’avait été effectué sur le groupe de locomotives, l’indication des signaux rencontrés n’a pas été communiquée sur le canal d’attente de la radio ferroviaire, l’équipe ne s’est pas conformée à la vitesse de marche à vue commandée par l’indication du signal 1349E et il n’y a eu aucune discussion relative à cette restriction comme prescrit par la ZVA.

    1.14 Méthodes de surveillance utilisées par Transports Canada

    Dans le cadre de ses activités de surveillance, TC effectue des inspections sur le terrain au cours desquelles les procédures de supervision de la compagnie de chemin de fer sont examinées afin de s’assurer qu’elles sont conformes aux règlements pertinents en vigueur et qu’elles semblent efficaces.

    Lorsque des écarts sont constatés entre l’application des procédures et les observations résultant d’inspections, TC avise la compagnie de chemin de fer des écarts identifiés et lui demande de présenter et de mettre en œuvre un plan d’action correctif. Des activités de rétroaction sont effectuées par TC à la suite de l’évaluation des mesures prises ou du plan d’action soumis.

    Entre 2019 et 2024, au Québec, TC a effectué auprès du CN des vérifications de conformité sur plusieurs règles d’exploitation ferroviaire telles que décrites dans le REF. Le tableau 1 présente les règles les plus pertinentes en ce qui a trait à l’observation des signaux ferroviaires.

    Tableau 1. Règles d’exploitation ferroviaire vérifiées par Transports Canada auprès du CN, entre 2019 et 2024

    Règle

    Vérifications

    Non-conformités relevées

    Taux de conformité (%)

    Règle 33

    Observation de la vitesse

    153

    1*

    99,3

    Règle 34

    Reconnaissance et observation des signaux fixes**

    147

    2

    98,6

    Règle 401.1

    Indication de signal

    64

    0

    100

    Règle 436

    Marche à vue

    57

    1*

    98,2

    * Cette non-conformité est liée à l’événement à l’étude et a été relevée après ce dernier.
    **  Cet item inclut les dispositions de la règle 34(b) en ce qui a trait à l’obligation des membres de l’équipe de communiquer verbalement entre eux les renseignements requis.

    La plupart du temps, les inspections effectuées par TC sur le terrain portant sur la conformité des équipes de train sont inopinées. Généralement, les inspecteurs accompagnent et observent les employés durant leurs activités régulières en fonction des opérations ferroviaires ciblées, comme la vérification de la reconnaissance et de l’observation des signaux fixes.

    1.14.1 Vérification de la conformité au Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive

    TC effectue aussi les vérifications de conformité au Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive (Règlement sur les EAVL), qui est entré en vigueur en septembre 2022. En date du 1er mars 2024, TC a effectué plus de 660 inspections auprès des compagnies de chemin de fer. Ces inspections portaient principalement sur les éléments suivants :

    • conformité de l’installation des équipements d’enregistrement;
    • affichage informant les personnes se trouvant dans la locomotive de commande qu’elles font l’objet d’un enregistrement audio et vidéo;
    • absence d’altération des EAVL;
    • vérification de la conformité aux politiques et procédures visant à garantir le respect des exigences en matière de protection de la vie privée.

    Lors de ces inspections, 85 cas de non-conformité ont été constatés :

    • 55 non-conformités pour ne pas avoir installé un EAVL sur les locomotives de commande;
    • 29 non-conformités pour absence de la signalisation requise à l’intérieur des locomotives de commande équipées d’un EAVL;
    • 1 non-conformité pour avoir altéré les systèmes d’enregistrement, empêchant la collecte d’informations (cette non-conformité, où les caméras du système d’enregistrement audio et vidéo de locomotive avaient été obstruées, est liée à l’événement à l’étude et a été relevée après ce dernier).

    Les données provenant des consignateurs d’événements de locomotive ou d’autres systèmes embarqués disponibles ne sont pas présentement utilisées de façon systématique par TC pour ses activités de surveillance réglementaire et de vérification de conformité des appareils d’enregistrement EAVL.

    1.15 Gestion de la conformité des employés par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Selon le système de gestion de la sécurité (SGS)Un système de gestion de la sécurité (SGS) est un cadre reconnu à l’échelle internationale qui permet aux entreprises de cerner les dangers, de gérer les risques et d’améliorer la sécurité de leurs activités. Un SGS améliore la sécurité en s’appuyant sur les processus existants, en démontrant la diligence raisonnable de la compagnie et en développant la culture générale de sécurité. du CN, il incombe à tous les employés de la compagnie de respecter les lignes de conduite, règles, normes et procédures de sécurité de la compagnie. Entre autres, les membres du personnel doivent s’engager à assurer leur propre sécurité et leur bien‑être, à veiller les uns sur les autres et à accorder la priorité au transport sécuritaire des marchandises.

    1.15.1 Surveillance des employés par les superviseurs de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Le SGS prévoit que les activités de surveillance des employés soient effectuées par les superviseurs de la compagnie. La plupart du temps, ces activités prennent la forme de contrôles effectués pour vérifier la capacité des employés sur le terrain à appliquer les règles, règlements et instructions spéciales dans l’exercice de leurs fonctions. Ces contrôles font partie du programme de mesures de conformité aux règles (PMRC) et incluent des vérifications dynamiques et des observations directes des employés afin d’évaluer leur capacité à effectuer leur travail selon les règles applicables. Ces activités de surveillance peuvent se dérouler à l’insu ou non des employés et, une fois les observations effectuées, il est prévu que le personnel de supervision rencontre les employés pour leur fournir une rétroaction sur leur performance.

    Le tableau 2 présente les taux de conformité aux règlements et aux instructions pour les employés du CN œuvrant dans la division Transport, au Canada, lors des contrôles effectués par les superviseurs de la compagnie, pour les années 2021 à 2023.

    Tableau 2. Taux de conformité des employés du CN dans la division Transport lors des contrôles effectués au Canada dans le cadre du programme de mesures de conformité aux règles

    Année

    Taux de conformité (%)

    2021

    96,2

    2022

    96,4

    2023

    96,4

    En qui concerne plus spécifiquement la conformité à la règle 34Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 34 : Reconnaissance et observation des signaux fixes. du REF, en 2023, les ML, les chefs de train et les chefs de train adjoints ont obtenu un taux moyen de 98,1 % lors des vérifications effectuées par les superviseurs du CN (tableau 3).
     

    Tableau 3. Taux de conformité à la règle 34 lors des vérifications effectuées par les superviseurs du CN (2023)

    Règle

    Nombre d’observations

    Non-conformités relevées

    Taux de conformité (%)

    Règle 34

    Reconnaissance et observation des signaux fixes*

    1525

    29

    98,1

    * Cet item inclut les dispositions de la règle 34(b) en ce qui a trait à l’obligation des membres de l’équipe de communiquer verbalement entre eux les renseignements requis.

    Lorsque les superviseurs du CN observent des comportements « à risque » de la part des employés, ils sont tenus d’intervenir et de mettre en œuvre des mesures correctives, en fonction de la gravité et de la répétition des comportements, le cas échéant. Ces interventions pourraient inclure du mentorat, de la formation additionnelle ou des convocations pour des enquêtes internes.

    1.15.2 Examen aléatoire des données audio et vidéo de locomotive par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Conformément aux dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire et du Règlement sur les EAVL en vigueur depuis septembre 2022, CN peut effectuer de manière ponctuelle des choix de données audio et vidéo aléatoiresTransports Canada, DORS/2020-178, Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive (23 août 2020, en vigueur le 2 septembre 2022), article 27. réservés uniquement afin de cerner des préoccupations en matière de sécurité. Le but est d’utiliser ces données pour vérifier la conformité des employés aux règles d’exploitation ainsi que d’effectuer des analyses de tendance. Ceci afin de fournir des lignes directrices aux superviseurs de premier niveau quant aux règles spécifiques à cibler lors des discussions avec les équipes de train de leurs régions respectives, en accord avec les dispositions prévues dans le SGS du CN.

    Le Règlement sur les EAVL identifie certains risques spécifiques pour la sécurité ferroviaire qui, lorsqu’ils sont observés, permet aux compagnies de chemin de fer d’utiliser les données EAVL afin de traiter ces risques. Ces risques spécifiques sont :

    a) l’utilisation d’un téléphone cellulaire par un membre du personnel de l’exploitation en service lorsque les systèmes de communications radio ferroviaires habituels sont disponibles, sauf si l’utilisation est prévue dans les politiques de la compagnie;

    b) la prise d’une position de sommeil par un membre du personnel de l’exploitation pendant qu’il est en service, sauf si elle est prévue dans les politiques de la compagnie;

    c) l’utilisation par un membre du personnel de l’exploitation pendant qu’il est en service d’un appareil de divertissement personnel, sauf si l’utilisation est prévue dans les politiques de la compagnie;

    d) la présence d’une personne non autorisée dans la locomotive de commande;

    e) la consommation ou l’utilisation de substances intoxicantes ou de drogues affaiblissant les facultés par un membre du personnel de l’exploitation;

    f) la lecture par un membre du personnel de l’exploitation en service de documents qui ne sont pas requis pour exécuter ses tâches, sauf si cela est prévu dans les politiques de la compagnie;

    g) les membres du personnel de l’exploitation qui sont à portée de voix les uns des autres, mais qui ne communiquent pas verbalement entre eux, de manière claire et audible, les renseignements qu’ils sont tenus de communiquer verbalement conformément aux règles approuvées ou établies par le ministre en vertu des articles 19 et 20 de la Loi.Ibid., article 30.

    Au CN, lorsqu’un de ces risques est observé, un suivi est initié et les interventions appropriées peuvent être mises en œuvre.

    Dans les 12 mois précédant l’événement à l’étude, soit entre novembre 2022 et octobre 2023, le CN a effectué plusieurs observations aléatoires auprès des équipes de trains. Les données ainsi recueillies aux fins d’analyse de tendances ont permis d’observer le comportement des employés dans un contexte où ils accomplissent leurs tâches régulières sans la présence de superviseurs.

    Ces observations ont aussi identifié certains comportements posant des risques pour la sécurité ferroviaire, tels que définis dans le Règlement sur les EAVL. Entre autres, les observations ont permis de relever des manquements à l’obligation des membres de l’équipe de communiquer verbalement entre eux les renseignements requisIbid., paragraphe 30 g)., comme prescrit par les dispositions de la règle 34(b) du REFRègle 34(b) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada : « Les membres de l’équipe qui sont à portée de voix les uns des autres se communiqueront d’une manière claire et audible le nom de chaque signal fixe qu’ils sont tenus d’annoncer [….] ».

    Ainsi, lors de ces observations, seulement 75,2 % des ML, des chefs de train et des chefs de train adjoints ont correctement appliqué les exigences de la règle 34(b) du REF (tableau 4).

    Tableau 4. Taux de conformité à l’obligation des membres de l’équipe de communiquer verbalement les renseignements requis, tel qu’identifié lors des observations aléatoires des enregistreurs audio et vidéo de locomotive

    Risque pour la sécurité ferroviaire

    Nombre d’observations

    Non-conformités identifiées

    Taux de conformité (%)

    Obligation des membres de l’équipe de communiquer verbalement les renseignements requis (règle 34(b) du REF)

    475

    118

    75,2

    De plus, lors de ces observations, le CN a aussi identifié 4 situations où les caméras des EAVL avaient été volontairement obstruées, empêchant la capture des images vidéo de l’intérieur de la cabine de la locomotive. Cependant, selon la réglementation en vigueur, l’altération des EAVL (incluant l’obstruction des caméras) n’est pas identifiée comme étant un des risques spécifiques pour la sécurité ferroviaire.

    1.16 Système de commande avancé des trains

    Au Canada, les systèmes de commande des trains ne disposent que de moyens de défense administratifs. Aux États-Unis, les compagnies de chemin de fer de catégorie 1 ont mis en place un système physique de commande des trains à sécurité intégrée, appelé commande intégrale des trains (CIT). Le système CIT a été mis en œuvre depuis le 29 décembre 2020 sur tous les itinéraires à risque élevé, qui s’étendent sur un total de 57 536 milles, soit environ 41 % des près de 140 000 milles de parcours du réseau ferroviaire des États-Unis. Le système CIT est décrit dans le Manual of Standards and Recommended Practices de l’Association of American Railroads (AAR) comme suit [traduction] :

    2.0 DESCRIPTION DU SYSTÈME CIT

    2.1 Théorie du fonctionnement

    2.1.1 Le système CIT comporte une interface reliée au système de freins à air de la locomotive permettant de commander un freinage de contrôle afin d’arrêter un train avant la violation d’une autorisation ou advenant un dépassement de la vitesse autorisée.

    2.1.2 Le système CIT utilise les données relatives à la composition du train, au profil de la voie ferrée et celles provenant des différents systèmes opérationnels pour calculer une distance d’arrêt sécuritaire pour le train. L’application prédictive du système CIT permet d’évaluer la distance d’arrêt qui serait obtenue avec un serrage à fondUn serrage à fond des freins du train correspond à une réduction de la pression dans la conduite générale équivalant à un facteur de 0,72 fois la pression d’opération du réglage de la soupape d’alimentation. Par exemple, pour les systèmes de freins à air dont la pression dans la conduite générale est de 90 lb/po2, ceci correspond à une réduction de 25,2 lb/po2. des freins du train et compare cette distance aux cibles à venir sur le parcours du train. Si une cible à venir nécessite un arrêt et que le conducteur du train n’a pas répondu aux avertissements fournis par le système CIT, une commande est alors envoyée au système de freinage pour amorcer un freinage de contrôleLe freinage de contrôle effectué par le système CIT produira une réduction de la pression de la conduite générale de 3 à 9 lb/po2 supplémentaire comparativement au serrage à fond.. Pendant que ce freinage est en cours, le système CIT continue de surveiller la réduction de la vitesse du train et déclenchera un serrage d’urgence des freins advenant que le freinage de contrôle initial s’avère insuffisant pour arrêter le train avant d’atteindre la cible.Association of American Railroads, Manual of Standards and Recommended Practices (mars 2017), norme S‑4047, article 2.

    Depuis 1995, le BST souligne, dans ses rapports d’enquête, l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pouvant arrêter un train lorsqu’il circule en territoire CCC, ainsi que l’absence de systèmes d’avertissement passifsUn système d’avertissement passif peut alerter les équipes de train circulant en territoire non signalisé advenant un dépassement des limites de circulation ou un dépassement de la vitesse autorisée. à bord des trains pouvant alerter les équipes de train lorsqu’elles s’approchent de leurs limites d’autorisation. Des moyens de défense inadéquats en cas d’indications de signal mal appliquées ou mal interprétées ont été cités comme une cause ou un facteur contributif dans de nombreuses enquêtes menées par le BSTRapports d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19W0002, R18D0096, R16T0162, R16E0051, R15D0118, R15V0183, R14T0294, R13C0049, R12T0038, R11E0063, R10Q0011, R10V0038, R09V0230, R07E0129, R99T0017, R98V0148 et R95V0174 du BST., et cet enjeu figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2012Liste de surveillance du BST, « Respect des indications des signaux ferroviaires », à l’adresse https://www.tsb.gc.ca/fra/surveillance-watchlist/rail/2022/rail-01.html (dernière consultation le 8 août 2025)..

    Le système CIT comporte certaines limitations lorsque les trains circulent à vitesse de marche à vue. Il ne peut intervenir pour prévenir une collision lorsque le train circule sans dépasser la petite vitesse, soit la limite maximale imposée par la vitesse de marche à vue. Toutefois, le système CIT pourra intervenir si les mouvements dépassent la vitesse maximale prescrite par la vitesse de marche à vue.

    À la fin de 2020, le CN et le Chemin de fer Canadien Pacifique (faisant maintenant affaire sous le nom de CPKCLe 14 avril 2023, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) et Kansas City Southern (KCS) se sont fusionnées pour former une seule et même compagnie de chemin de fer, connue sous le nom de CPKC.) avaient entièrement mis en œuvre un système CIT dans leurs subdivisions aux États-Unis respectives où cela était requis. Au Canada, l’infrastructure requise pour appuyer les systèmes CIT est actuellement inexistante. Cependant, TC indique qu’il continue de travailler avec les compagnies de chemin de fer et les intervenants de l’industrie pour mener à bien le développement et le déploiement d’un système de commande des trains améliorée (CTA) au Canada, conformément aux objectifs de son plan stratégique intitulé Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au CanadaTransports Canada, Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au Canada, à l’adresse https://tc.canada.ca/fr/initiatives/transports-2030-plan-strategique-avenir-transports-canada (dernière consultation le 8 août 2025). (plan stratégique Transports 2030).

    De leur côté, certaines compagnies ferroviaires ont pris les devants et procédé au développement de leur propre système d’avertissement. Par exemple, le Chemin de fer QNS&L a mis en place un moyen de défense combinant les aspects administratif et physique en introduisant, dès 1997, des appareils de détection de proximité (ADP). Les ADP sont munis d’un GPS qui permet de déterminer la position, la direction et la vitesse des locomotives et des véhicules d’entretien équipés de ces appareils. Ils sont configurés pour recevoir des alertes de mouvements qui s’approchent. Les conducteurs des 2 mouvements doivent confirmer sur un écran avoir pris connaissance de l’alerte et doivent communiquer entre eux par radio afin de vérifier leurs positions respectives. Un freinage de contrôle est automatiquement déclenché sur la locomotive d’un train dont l’équipe n’aurait pas confirmé la réception de l’alerte.

    Malgré l’évolution des technologies présentes dans ce domaine, aucune mesure intérimaire n’est envisagée par TC pour renforcer les défenses existantes liées à l’observation des signaux ferroviaires.

    1.16.1 Recommandation du BST sur les moyens de défense physiques supplémentaires

    Le 3 janvier 2019, 2 trains du CN sont entrés en collision après que l’un d’entre eux a franchi un signal d’arrêt près de Portage La Prairie (Manitoba)Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19W0002 du BST.. À la suite de cet événement, le Bureau a recommandé que :

    le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.

    Recommandation R22‑04 du BST

    Dans sa réponse de décembre 2024, TC a indiqué qu’il avait fait d’importants progrès dans l’élaboration de sa méthodologie d’évaluation des risques dans les corridors qui orientera la mise en œuvre de la CTA dans le réseau ferroviaire canadien. Il a également informé le BST qu’il continuait de collaborer avec l’industrie et d’autres intervenants afin de finaliser la méthodologie. Des consultations sont également en cours pour évaluer les effets cumulatifs de ces exigences auprès des parties réglementées. TC a aussi fait savoir que la rédaction réglementaire était prévue pour 2025, et que la publication dans la Partie I de la Gazette du Canada était prévue pour 2026. L’échéancier pour la mise en œuvre de la CTA sera établi au fur et à mesure que le règlement sera élaboré.

    Dans l’évaluation de la réponse de TC en mars 2025, le Bureau reconnaît que l’élaboration et la mise en œuvre de la CTA représentent un projet complexe qui nécessite des investissements importants et que TC et l’industrie ont pris des mesures en ce sens. Toutefois, le Bureau prend note que la méthodologie d’évaluation des risques dans les corridors n’est pas encore achevée, ce qui remet en question le moment où un système de commande des trains à sécurité intégrée sera mis en œuvre. Compte tenu des risques pour les personnes, les biens et l’environnement, le Bureau a exhorté TC et l’industrie ferroviaire d’accélérer la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intrinsèque dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays. Bien que le Bureau estime que la réponse à la recommandation R22‑04 dénote une intention satisfaisanteRecommandation du BST R22‑04 : Commande de trains améliorée pour les itinéraires clés, https://www.tsb.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/rail/2022/rec-r2204.html (dernière consultation le 8 août 2025)., si la mise en œuvre de la recommandation continue d’être retardée, l’évaluation pourrait être révisée à la baisse dans le futur.

    1.16.2 Lettre au ministre des Transports

    Le 17 avril 2024, à la suite de 3 autres événementsÉvénements du BST R23H0006, R23E0079 et R23V0205. faisant l’objet d’une enquête, le BST a envoyé au ministre des Transports une lettre concernant l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains exploités au Canada. Le BST y indiquait que, malgré ses appels répétés depuis 2000 et la mise en œuvre d’une telle solution aux États-Unis depuis 2020, sous la forme du système CIT, la sécurité du réseau ferroviaire canadien continue de dépendre de moyens de défense administratifs centrés sur le respect des règles par les équipes de train.

    Depuis 2013, TC et l’industrie ferroviaire continuent de discuter des pistes de solution à la réalisation d’un système de CTA. Compte tenu de la lenteur du rythme de progression envers la mise en œuvre de cette solution et étant donné les risques encourus, le BST a exhorté le ministre des Transports d’accélérer la mise en œuvre d’un tel système dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays. À la fin de l’année 2024, le BST demeurait toujours dans l’attente d’une réponse de la part du ministre à ce sujet.

    1.17 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    Le respect des indications des signaux ferroviaires figure sur la Liste de surveillance 2022. Comme l’événement à l’étude l’a démontré, les signaux ferroviaires ne sont pas reconnus et/ou respectés de façon uniforme, ce qui crée un risque de collisions ou de déraillements graves.

    MESURES À PRENDRE

    L’enjeu du respect des indications des signaux ferroviaires demeurera sur la Liste de surveillance du BST jusqu’à ce que TC exige des compagnies de chemin de fer qu’elles mettent en place des moyens de défense physiques supplémentaires pour veiller à ce que les signaux ferroviaires gouvernant la vitesse et les limites de fonctionnement des trains soient reconnus et respectés de façon uniforme.

    L’enjeu de la surveillance réglementaire dans le transport ferroviaire figure sur la Liste de surveillance 2022. Comme l’événement à l’étude l’a démontré, la surveillance réglementaire ne s’est pas toujours avérée efficace pour vérifier si des exploitants sont conformes aux règlements et s’ils sont capables de gérer la sécurité de leurs activités.

    MESURES À PRENDRE

    L’enjeu de la surveillance réglementaire dans le transport ferroviaire demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que la surveillance effectuée par TC permette d’évaluer et de déterminer si les systèmes de gestion de la sécurité des exploitants sont efficaces, c.-à-d. que les exploitants cernent les dangers et évaluent les risques, que des mesures efficaces d’atténuation des risques sont mises en œuvre et que les exploitants valident l’efficacité des mesures de sécurité mises en œuvre. Lorsque des exploitants ne sont pas en mesure de gérer efficacement la sécurité, TC doit démontrer qu’il est en mesure d’intervenir et qu’il intervient de manière à modifier les pratiques d’exploitation non sécuritaires.

    1.18 Rapport de laboratoire du BST

    Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

    • LP022/2024 – R23D0108-Light Analysis [Analyse des feux]

    2.0 Analyse

    Les données recueillies dans le cadre de l’enquête indiquent que les 2 membres de l’équipe du train CN 376 étaient aptes au travail. Aucune condition médicale ou physiologique, incluant la fatigue, n’aurait affecté leur performance. L’analyse se concentrera sur la séquence des événements ayant mené à la collision entre les 2 trains, le modèle mental et les attentes de l’équipe du train CN 376, la visibilité de la queue du train EXO 1212, les moyens de défense physiques à sécurité intégrée assurant le respect des indications des signaux, la panne d’alimentation électrique, les dommages à la suite de la collision, les données consignées par les enregistreurs audio et vidéo de locomotive (EAVL), et les activités de surveillance effectuées par Transports Canada (TC) et par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN).

    2.1 L’événement

    Le 21 novembre 2023, vers 18 h 27, le train X37621-20 (CN 376), composé de 2 locomotives du CN, circulait vers le sud sur la voie est de la subdivision de St-Laurent lorsqu’il est entré en collision avec la queue d’un train de banlieue du transporteur Réseau de transport métropolitain (exo) à l’arrêt. Au moment où l’équipe du train CN 376 a aperçu la queue du train de banlieue EXO 1212 à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord, le mécanicien de locomotive (ML) a immédiatement effectué un serrage d’urgence des freins. Le train CN 376 avait ralenti à environ 32 mi/h lorsqu’il est entré en collision avec la queue du train EXO 1212. Quatre des 8 passagers qui se trouvaient à bord ont été blessés, de même que les 2 membres de l’équipe du train EXO 1212. Les 2 membres de l’équipe du train CN 376 n’ont subi aucune blessure.

    La vitesse du train au moment du serrage d’urgence des freins (41 mi/h) ne permettait pas d’arrêter le train comme prescrit par les dispositions de vitesse de marche à vue définies par la règle 436 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), soit une vitesse qui permet l’arrêt du train en deçà de la moitié de la distance de visibilité, sans dépasser 15 mi/h.

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Après qu’un serrage d’urgence des freins du train CN 376 a été effectué, ce dernier a heurté la queue du train de banlieue EXO 1212 qui était à l’arrêt à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord. Au moment de l’impact, le train CN 376 roulait à 32 mi/h.

    Avant la collision, le train CN 376 était entré dans le même canton que le train EXO 1212, après avoir franchi un signal de marche à vue (signal 1349E) qui limitait sa vitesse à 15 mi/h jusqu’au signal suivant (signal 1363E).

    Le serrage d’urgence des freins du train CN 376 a été initié alors que le train roulait 26 mi/h au-dessus de la vitesse maximale permise et se trouvait à 514 pieds du train EXO 1212, ce qui ne permettait pas d’arrêter le train CN 376 à temps et celui-ci a percuté la queue du train EXO 1212.

    Les simulations effectuées par le BST ont permis d’établir que la distance requise pour arrêter un train type ayant les mêmes caractéristiques que le train en cause dans l’événement à l’étude et circulant à 15 mi/h est inférieure à 200 pieds.

    2.2 Modèle mental et attentes de l’équipe du train CN 376

    Avant son départ du triage du CN de Rivière-des-Prairies, l’équipe du train CN 376 avait été informée par le contrôleur de la circulation ferroviaire qu’elle obtiendrait les signaux requis pour quitter le triage après le passage du train EXO 1212 sur la voie est de la subdivision de St-Laurent, en direction sud. En attendant l’obtention du signal pour sortir du triage, l’équipe du train CN 376 a aperçu le train EXO 1212 qui circulait en direction sud.

    Après avoir obtenu le signal lui permettant de sortir du triage, le train CN 376 s’est engagé en direction sud sur la voie est. Au-delà du signal 1349E, l’équipe a manœuvré le train à des vitesses supérieures à celle prévue par l’indication de « marche à vue » de ce signal. Cela suggère que l’équipe avait comme modèle mental que le train EXO 1212 avait dégagé le canton. Ce modèle mental a été renforcé lorsqu’elle a aperçu le train EXO 1211 qui s’engageait vers le nord sur la voie ouest à partir de l’emplacement contrôlé Montréal‑Nord. Une fois cet emplacement libéré, l’équipe du train CN 376 a vraisemblablement présumé que la voie principale au-delà du signal 1364 était inoccupée. À l’approche de la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord, la vitesse du train a atteint 41 mi/h, suggérant que ce modèle mental persistait toujours.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    L’équipe du train CN 376 a vraisemblablement présumé que le canton gouverné par l’indication du signal de marche à vue (signal 1349E) était libre et s’attendait à ce que le signal suivant (signal 1363E) devienne permissif pour son mouvement. Par conséquent, l’équipe a accéléré le train jusqu’à la vitesse de 41 mi/h.

    2.3 Visibilité de la queue du train EXO 1212

    Le train EXO 1212 était à l’arrêt à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord avec ses signaux de queue illuminés. En raison de l’éclairage ambiant de la gare, combiné à celui provenant des signaux ferroviaires qui se trouvaient au-delà de celle-ci, les signaux de queue du train EXO 1212 n’étaient pas visibles du point de vue de la cabine de la locomotive menante du train CN 376 alors que ce dernier se dirigeait vers la gare, avec l’intensité du phare avant de la locomotive réduite. C’est lorsque les phares de la locomotive ont été remis à pleine intensité, à un peu plus de 500 pieds de la queue du train EXO 1212, que celle-ci est devenue visible du point de vue de la cabine de la locomotive du train CN 376. Compte tenu de la vitesse à laquelle le train CN 376 se déplaçait alors, cette distance était insuffisante pour éviter la collision.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    En raison des conditions de luminosité environnantes qui prévalaient au moment de l’événement, la queue du train EXO 1212 à l’arrêt à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord est devenue visible à l’équipe du train CN 376 seulement lorsque les phares de la locomotive ont été remis à pleine intensité, à un peu plus de 500 pieds de celle-ci, une distance insuffisante pour éviter la collision compte tenu de la vitesse du train.

    2.4 Moyens de défense physiques à sécurité intégrée assurant le respect des indications des signaux

    Le concept de base des systèmes de signalisation de commande centralisée de la circulation (CCC) au Canada est bien établi depuis un certain temps. Bien que des circuits de signalisation plus récents aient été intégrés aux systèmes de CCC au fil des ans, les activités ferroviaires comptent toujours principalement sur des moyens de défense administratifs. Ces moyens de défense, s’ils ne sont pas complémentés par des moyens de défense physiques à sécurité intégrée, entraînent une dépendance excessive quant au respect par les employés de règles et de procédures qui, souvent, ne tiennent pas compte des facteurs humains qui influent sur le comportement.

    Cependant, comme les moyens de défense administratifs ne se sont pas révélés pleinement efficaces pour garantir que les indications des signaux sont systématiquement reconnues et respectées, l’enjeu du non-respect des indications des signaux figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2012. Depuis 1995, le BST souligne, dans ses rapports d’enquête, l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intégrée capables d’intervenir en arrêtant un train lorsqu’il circule en territoire CCC. Le BST souligne aussi l’absence de systèmes d’avertissement passifs pour alerter les membres d’une équipe lorsqu’ils approchent de leurs limites d’autorisation.

    Depuis le 29 décembre 2020, des moyens de défense physiques à sécurité intégrée, sous la forme de la technologie de système de commande intégrale des trains (CIT), ont été mis en œuvre aux États-Unis sur tous les itinéraires à risque élevé, qui s’étendent sur un total de 57 536 milles, soit environ 41 % de près des 140 000 milles que compte le réseau ferroviaire des États-Unis. Le système CIT est conçu de manière à intervenir automatiquement pour arrêter un train si une équipe d’exploitation ne réagit pas correctement à l’indication d’un signal. En février 2022, TC a publié un avis d’intention où il indiquait sa volonté d’exiger que les corridors les plus à risque du Canada soient dotés d’un système de protection automatique des trains à sécurité intégrée (appelé commande des trains améliorée, ou CTA), conformément aux objectifs de son plan stratégique Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au Canada (plan stratégique Transports 2030). Dans sa réponse de décembre 2024 à la recommandation R22‑04 du BST, TC a déclaré qu’il avait fait d’importants progrès dans l’élaboration de sa méthodologie d’évaluation des risques dans les corridors qui orientera la mise en œuvre de la CTA dans le réseau ferroviaire canadien et qu’il continuait de collaborer avec l’industrie et d’autres intervenants afin de finaliser la méthodologie. Cependant, les détails concernant les itinéraires particuliers qui nécessiteraient l’implantation de la CTA et les conséquences de celle-ci n’ont pas été déterminés. Aucune mesure provisoire visant à mettre en place des moyens de défense physiques supplémentaires n’a été mise en œuvre pour faire face au risque actuel.

    Dans l’événement à l’étude, au moment où le train CN 376 a franchi le signal 1349E pour entrer dans le canton occupé par le train EXO 1212, sa vitesse a rapidement dépassé la vitesse maximale de 15 mi/h prescrite par l’indication de « marche à vue ». Cette adaptation des membres de l’équipe n’a pas été corrigée et la vitesse du train a atteint 41 mi/h au moment du freinage d’urgence. Un système de commande avancé des trains, tel que le CIT, émet des alertes à l’attention du ML dès que la vitesse imposée par un signal est dépassée. Si le ML ne réagit pas à ces alertes, le système CIT peut déclencher un freinage de contrôle du train.

    En l’absence d’un moyen de défense physique, il n’y a pas eu d’intervention automatique pour arrêter le train CN 376 lorsqu’il a dépassé la vitesse de marche à vue indiquée par le signal 1349E.

    À la suite des recommandations du BST au sujet des moyens de défense physiques à sécurité intégrée, TC a élaboré le concept de CTA et a déclaré avoir entamé plusieurs activités conjointement avec des partenaires de l’industrie pour faire progresser sa mise en œuvre :

    • En février 2022, TC a publié un avis d’intention décrivant la voie à suivre pour mettre en œuvre les technologies CTA au Canada, conformément aux objectifs de son plan stratégique Transports 2030.
    • En 2023, une méthodologie d’évaluation des risques visant à guider la mise en œuvre de la CTA au Canada a été élaborée et des consultations à ce sujet ont été entreprises.
    • En 2023, des lignes directrices pour l’interopérabilité des applications CTA ont été publiées par l’Association canadienne de normalisation (CSA).

    En date de la publication du présent rapport, plusieurs des activités susmentionnées n’avaient pas encore été complétées par TC. L’ampleur et la complexité de certaines de ces activités essentielles pourraient faire en sorte que plusieurs années soient nécessaires avant leur réalisation, ce qui remet en question l’échéancier anticipé par TC en vertu de son plan stratégique Transports 2030. Ceci signifie que, pour les années à venir, il y aura peu ou pas de moyens de défense physiques permettant d’arrêter un train lorsqu’une équipe ne respecte pas l’indication d’un signal.

    Fait établi quant aux risques

    Si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, il n’y aura pas d’intervention automatique pour arrêter les trains si les équipes de train ne suivent pas les signaux ou commettent une erreur d’interprétation, ce qui augmente les risques d’accident.

    2.5 Panne d’alimentation électrique

    La collision a également provoqué une panne de l’alimentation électrique affectant le train EXO 1212.

    Les batteries de secours de la voiture EXO 3062 ayant été délogées de leur support, le système d’alimentation électrique de secours de la voiture n’a pu prendre la relève. Cette situation a entraîné une panne au niveau de l’éclairage d’urgence, de l’ouverture électrique des portes et du système d’interphone d’urgence de la voiture.

    La voiture-loge EXO 3008, à partir de laquelle le ML manœuvrait le train, a aussi subi une coupure de courant dont l’origine n’a pu être déterminée avec certitude. Par conséquent, la radio ferroviaire de cette voiture n’étant plus opérationnelle en raison de cette défaillance, le ML n’était pas en mesure d’effectuer les appels d’urgence à l’aide de cet équipement à la suite de l’événement.

    Lors d’une urgence, il est important que les équipements essentiels à la sécurité à bord des trains (par exemple, l’éclairage d’urgence, le système d’interphone et le matériel de communication radio) demeurent fonctionnels et accessibles.

    Fait établi quant aux risques

    Si l’équipement essentiel à la sécurité à bord des trains de voyageurs devient inopérant à la suite d’un accident, la mise en œuvre des mesures d’urgence nécessaires pourrait être compromise, affectant la sécurité des passagers et du personnel de bord.

    2.6 Dommages à la suite de la collision

    Au cours d’une collision, la déformation de la charpente du matériel roulant peut être bénéfique, puisque l’énergie est absorbée et dissipée au lieu d’être transmise directement aux occupants. Les voitures Bombardier série 3000 sont conformes aux règlements applicables de la Federal Railroad Administration des États-Unis, aux normes techniques de l’American Public Transportation Association ainsi qu’aux exigences particulières supplémentaires de la New Jersey Transit Authority.

    Bien qu’elles ne soient pas dotées d’un système de gestion de l’énergie en cas de collision, les voitures Bombardier série 3000 sont conçues de sorte que leurs extrémités se déforment avant la zone réservée aux passagers, entre les traverses de la carrosserie et la zone d’embarquement.

    Au moment de la collision, la locomotive EXO 1346 et la première voiture voyageurs (EXO 3062) ont subi la plus grande partie des déformations. Les dommages subis par la voiture EXO 3062 étaient confinés à la zone d’embarquement (zone vestibule et zone intermédiaire). La structure de cette voiture s’est comportée telle que conçue : la zone centrale multiniveau, réservée aux passagers, n’a pas subi de déformations apparentes et toutes les fenêtres de la voiture sont demeurées intactes.

    Fait établi : Autre

    À la suite de la collision, la structure de la voiture EXO 3062 s’est comportée de façon conforme aux paramètres de sa conception.

    2.7 Enregistreurs audio et vidéo de locomotive

    Les données consignées par les EAVL fournissent aux enquêteurs du BST des renseignements complémentaires sur les causes et les facteurs contributifs des accidents ou des incidents. Elles contribuent à déterminer, de façon objective et fiable, le rôle des facteurs humains lors d’un événement ferroviaire. Ces renseignements peuvent permettre d’établir si des mesures correctives s’imposent pour améliorer la sécurité ferroviaire au Canada. Il est donc primordial que les équipements des systèmes EAVL soient opérationnels et dans un état de fonctionnement inaltéré en tout temps.

    Dans cet événement, les 2 caméras du système d’enregistrement audio et vidéo de la locomotive menante du train CN 376 avaient été obstruées avec des feuilles de papier, empêchant la capture d’images vidéo de l’intérieur de la cabine. Cette situation a été découverte par le BST lors de l’analyse des données du système EAVL recueillies dans le cadre de l’enquête. L’altération des EAVL est interdite par la réglementation en vigueur.

    L’absence de données vidéo provenant du système EAVL peut limiter le BST dans son analyse de certaines des activités qui seraient survenues à bord de la locomotive dans les minutes précédant l’événement. Par exemple, il n’a pas été possible de déterminer la présence ou l’absence de distractions et si les membres de l’équipe se trouvaient à leur poste de travail respectif. Dans cet événement, comme l’enregistrement audio n’avait pas été affecté, les conversations entre les membres de l’équipe étaient intelligibles, ce qui a permis au BST de valider l’analyse du déroulement des événements ayant mené à la collision, malgré l’absence d’images vidéo.

    Fait établi : Autre

    Les caméras du système d’enregistrement audio et vidéo de la locomotive menante du train CN 376 avaient été obstruées, ce qui a eu pour effet d’empêcher la capture d’images vidéo de l’intérieur de la cabine et a limité l’analyse des activités des membres de l’équipe dans les minutes précédant l’événement.

    2.8 Activités de surveillance

    Les activités de surveillance réglementaire de TC consistent à s’assurer que les employés des compagnies de chemin de fer accomplissent leur travail en conformité avec la Loi sur la sécurité ferroviaire et leREF. Pour ce faire, TC procède à des inspections et des vérifications sur le terrain. Lorsque des déviations sont identifiées, TC exige que les compagnies de chemin de fer fournissent un plan d’action et mettent en place les mesures correctives requises.

    Les activités de surveillance de TC à l’égard des dispositions du Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive consistent essentiellement à vérifier la conformité de l’installation du matériel EAVL à bord des locomotives, de valider l’absence d’altération du matériel et de veiller au respect des dispositions en matière de protection de la vie privée. TC n’effectue pas d’échantillonnage aléatoire des données captées par les systèmes EAVL aux fins de ces vérifications. Par conséquent, des situations similaires à celle de l’événement à l’étude, où le matériel du système EAVL de bord avait été altéré, pourraient ne pas être identifiées par TC.

    De son côté, CN effectue aussi des activités de surveillance auprès de ses employés en vertu de son système de gestion de la sécurité, notamment par le biais de son programme de mesures de conformité aux règles. Ces activités consistent en général à vérifier la conformité des employés dans l’application des règles, règlements et instructions spéciales dans l’exercice de leurs fonctions.

    De plus, CN procède à un échantillonnage aléatoire des données captées par les systèmes EAVL, conformément aux dispositions du Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive. Ces données sont utilisées par le CN à des fins d’analyse de tendances pour améliorer la sécurité. Comme prévu au règlement, lorsque des risques spécifiques pour la sécurité ferroviaire sont observés, ces données peuvent aussi être utilisées par le CN pour traiter ces risques et prendre les mesures appropriées.

    Lors des activités de surveillance effectuées par les inspecteurs de TC ou par les superviseurs du CN, des taux de conformité avoisinant les 100 % étaient relevés lorsque les employés étaient, dans la plupart des cas, directement accompagnés et observés dans l’exercice de leurs fonctions.

    Cependant, lorsque des échantillons aléatoires des données captées par les systèmes EAVL ont été analysés par le CN, alors que les employés ne sont pas observés en temps réel, le taux de conformité pour un des risques spécifiques pour la sécurité ferroviaireObligation des membres de l’équipe de communiquer verbalement les renseignements requis. était d’environ 75 %.

    L’écart entre les 2 approches suggère que les activités de surveillance directe peuvent engendrer une plus grande motivation de la part des employés, améliorant temporairement leurs performances et la conformité aux règles en vigueur dans l’exécution de leurs fonctions. Cet effet de motivation, appelé « effet Hawthorne »J.G. Adair, « Hawthorne effect » dans A.E. Kazdin (Ed.), Encyclopedia of Psychology (vol. 4, Oxford University Press, p. 66. se produit lorsqu’un employé, dans l’exercice de ses fonctions, modifie son comportement quand il se rend compte qu’il est observé. Ceci pourrait fausser les résultats des activités de surveillance effectuées de manière directe et biaiser leur validité.

    La probabilité d’identifier les problèmes de sécurité diminue lorsque les employés savent qu’ils sont directement observés. Cette situation pourrait empêcher d’identifier les possibles manquements à la sécurité, notamment les déviations intentionnelles et les adaptations routinières, qui auraient autrement pu survenir.

    Par conséquent, il est important que l’effet Hawthorne soit pris en compte lors de l’élaboration et la mise en œuvre des mesures de surveillance.

    Fait établi : Autre

    L’approche de TC en matière de vérification de conformité pourrait avoir une incidence sur la fiabilité des résultats des inspections et des vérifications, entraînant ainsi une diminution de la probabilité d’identifier d’éventuels manquements à la sécurité.  

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. Après qu’un serrage d’urgence des freins du train CN 376 a été effectué, ce dernier a heurté la queue du train de banlieue EXO 1212 qui était à l’arrêt à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord. Au moment de l’impact, le train CN 376 roulait à 32 mi/h.
    2. Avant la collision, le train CN 376 était entré dans le même canton que le train EXO 1212, après avoir franchi un signal de marche à vue (signal 1349E) qui limitait sa vitesse à 15 mi/h jusqu’au signal suivant (signal 1363E).
    3. Le serrage d’urgence des freins du train CN 376 a été initié alors que le train roulait 26 mi/h au-dessus de la vitesse maximale permise et se trouvait à 514 pieds du train EXO 1212, ce qui ne permettait pas d’arrêter le train CN 376 à temps et celui-ci a percuté la queue du train EXO 1212.
    4. L’équipe du train CN 376 a vraisemblablement présumé que le canton gouverné par l’indication du signal de marche à vue (signal 1349E) était libre et s’attendait à ce que le signal suivant (signal 1363E) devienne permissif pour son mouvement. Par conséquent, l’équipe a accéléré le train jusqu’à la vitesse de 41 mi/h.
    5. En raison des conditions de luminosité environnantes qui prévalaient au moment de l’événement, la queue du train EXO 1212 à l’arrêt à la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord est devenue visible à l’équipe du train CN 376 seulement lorsque les phares de la locomotive ont été remis à pleine intensité, à un peu plus de 500 pieds de celle-ci, une distance insuffisante pour éviter la collision compte tenu de la vitesse du train.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, il n’y aura pas d’intervention automatique pour arrêter les trains si les équipes de train ne suivent pas les signaux ou commettent une erreur d’interprétation, ce qui augmente les risques d’accident.
    2. Si l’équipement essentiel à la sécurité à bord des trains de voyageurs devient inopérant à la suite d’un accident, la mise en œuvre des mesures d’urgence nécessaires pourrait être compromise, affectant la sécurité des passagers et du personnel de bord.

    3.3 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. À la suite de la collision, la structure de la voiture EXO 3062 s’est comportée de façon conforme aux paramètres de sa conception.
    2. Les caméras du système d’enregistrement audio et vidéo de la locomotive menante du train CN 376 avaient été obstruées, ce qui a eu pour effet d’empêcher la capture d’images vidéo de l’intérieur de la cabine et a limité l’analyse des activités des membres de l’équipe dans les minutes précédant l’événement.
    3. L’approche de Transports Canada en matière de vérification de conformité pourrait avoir une incidence sur la fiabilité des résultats des inspections et des vérifications, entraînant ainsi une diminution de la probabilité d’identifier d’éventuels manquements à la sécurité.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

    Le 22 décembre 2023, le BST a envoyé à Transports Canada (TC) l’Avis de sécurité du transport ferroviaire 07/23 concernant l’obstruction des caméras de l’enregistreur audio et vidéo de locomotive (EAVL). Le BST suggérait alors à TC de s’assurer que les systèmes EAVL puissent demeurer opérationnels en tout temps afin qu’ils puissent saisir les données requises.

    Le 27 février 2024, le BST a envoyé à TC l’Avis de sécurité du transport ferroviaire 01/24 concernant des collisions récentes mettant en cause des trains circulant en vertu de signaux de marche à vue en territoire régi par le système de commande centralisée de la circulation. Le BST suggérait alors à TC de travailler avec l’industrie ferroviaire pour remédier aux limites des moyens de défense administratifs existants.

    4.1.2 Transports Canada

    Dans sa réponse du 26 mars 2024 à l’Avis de sécurité 07/23, TC a indiqué qu’il avait entrepris une inspection de conformité par suite de l’avis de sécurité du BST. Dans le cadre de sa surveillance continue, TC a demandé à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) de mettre en œuvre des mesures d’atténuation pour s’assurer que les EAVL sont libres de toute obstruction avant de faire fonctionner les locomotives.

    Dans sa réponse du 14 mai 2024 à l’Avis de sécurité 01/24, TC a indiqué qu’il avait rapidement effectué des inspections de conformité dès la notification de chaque événement. Dans chaque cas, des violations de la règle 436 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada ont été identifiées, ce qui a mené à l’envoi de lettres de non-conformité. TC reste activement engagé auprès des compagnies ferroviaires pour s’assurer que les mesures correctives appropriées ont été prises et s’engagera activement dans un dialogue constructif avec les parties prenantes de l’industrie afin d’explorer des solutions d’atténuation potentielles.

    4.1.3 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Le 12 décembre 2023, le CN a émis un bulletin d’exploitation réseau modifiant les instructions sur les zones de vigilance absolue (ZVA). Dorénavant, la ZVA s’applique aussi lorsqu’un train effectue des manœuvres à la vitesse de marche à vue.

    Le 12 avril 2024, par suite d’une lettre envoyée par TC au sujet de l’inspection de conformité, le CN a indiqué qu’avant l’événement à l’étude, il était déjà préoccupé par la problématique de l’obstruction des caméras du système EAVL. Par conséquent, le 18 août 2023, le CN avait émis la circulaire réseau 938‑23 au sujet de l’obstruction des caméras du système EAVL.

    Le 29 mai 2024, le CN a émis une autre circulaire réseau à l’intention des membres des équipes de train, les avisant qu’ils doivent dorénavant effectuer une inspection des caméras du système EAVL de la locomotive menante de leur train avant de débuter leurs manœuvres. Si des obstructions sont constatées, elles doivent être retirées et la situation doit être rapportée immédiatement à l’autorité compétente. Les employés ayant altéré le fonctionnement des caméras EAVL ou opérant une locomotive avec des caméras EAVL altérées ou obstruées feront l’objet de mesures de suivi appropriées.

    4.2 Mesures de sécurité à prendre

    Le 21 novembre 2023, le train CN 376, qui se déplaçait en direction sud sur la voie principale est de la subdivision de St-Laurent, a franchi un signal de marche à vue situé à environ 1 mille de la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord, où était arrêté le train de banlieue EXO 1212.

    Après le franchissement du signal, la vitesse du train CN 376 a augmenté jusqu’à 41 mi/h, soit 26 mi/h au-dessus de la vitesse maximale permise par l’indication d’un signal de marche à vue. Alors que le train CN 376 se trouvait à une distance d’environ 514 pieds du train de banlieue EXO 1212, le serrage d’urgence des freins a été effectué et le train CN 376 est entré en collision avec la queue du train de banlieue à environ 32 mi/h.

    Quatre des 8 passagers qui se trouvaient à bord du train EXO 1212 ainsi que les 2 membres de l’équipe de ce train ont subi des blessures mineures.

    L’enquête a permis d’établir les faits suivants :

    • Avant la collision, le train CN 376 avait franchi un signal de marche à vue qui limitait sa vitesse à 15 mi/h jusqu’au signal suivant.
    • L’équipe du train CN 376 a vraisemblablement présumé que le canton gouverné par l’indication du signal de marche à vue était libre et s’attendait à ce que le signal suivant devienne permissif pour son mouvement.
    • Le serrage d’urgence des freins du train CN 376 a été initié alors que le train roulait 26 mi/h au-dessus de la vitesse maximale permise par l’indication du signal de marche à vue. Le train CN 376 n’a pu s’arrêter à temps et a percuté la queue du train EXO 1212 à environ 32 mi/h.

    4.2.1 Moyens physiques de commande des trains à sécurité intégrée

    Le système ferroviaire canadien repose principalement sur des moyens de défense administratifs, tels que des règlements, instructions et procédures, pour assurer la sécurité des opérations. Ces moyens de défense administratifs dépendent du respect des règles par les équipes de train. Dans les situations où une équipe de train perçoit mal, interprète mal ou ne respecte pas une indication de signal, l’ensemble de ces moyens de défense fait défaut.

    Comme le démontrent le présent événement et d’autres événements récentsÉvénements sur la sécurité du transport ferroviaire R24D0070, R24T0064, R24C0020, R23V0205, R23E0079 et R23H0006 du BST. liés au non-respect des indications de signaux, lorsqu’un moyen de défense administratif fait défaut et qu’il n’existe aucun moyen de défense physique supplémentaire à sécurité intégrée, il peut se produire un accident qui aurait pu être évité. L’événement à l’étude s’est produit sur une subdivision considérée comme un itinéraire clé où circulent des trains de banlieue, des trains de voyageurs ainsi que des trains de marchandises, dont certains transportent des marchandises dangereuses. Il n’y a eu aucune intervention automatique pour arrêter le train CN 376 après qu’il a dépassé la limite de vitesse prescrite dans le canton avant la collision avec la queue du train EXO 1212.

    Depuis décembre 2020, les États-Unis ont rendu obligatoire l’utilisation de la commande intégrale des trains (CIT), un système de commande automatique qui peut intervenir pour arrêter un train en cas de non-respect des conditions de circulation de trains, prévenant ainsi les collisions, les déraillements et autres accidents.

    Au Canada, le BST a formulé en 2000 et 2013 deux recommandations (respectivement R00‑04 et R13‑01) exhortant TC à adopter des moyens de défense physiques à sécurité intégrée. Malgré l’initiation de plusieurs activités et projets visant la conception et l’élaboration d’un tel système au Canada, peu de mesures concrètes ont été prises à cet effet. En 2022, à la suite de son enquête sur une collision survenue entre 2 trains du CN en 2019 près de Portage la Prairie (Manitoba), le BST a recommandé que :

    le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.

    Recommandation R22‑04 du BST

    Le 17 avril 2024, à la suite de 3 autres événements faisant l’objet d’une enquête, le BST a envoyé au ministre des Transports une lettre concernant l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains exploités au Canada. Dans sa lettre, le BST a exhorté le ministre des Transports à accélérer la mise en œuvre d’un tel système dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays. En date de la publication du présent rapport, le BST n’avait toujours pas reçu de réponse.

    En février 2022, TC a publié un avis d’intention indiquant qu’il entendait exiger que les corridors les plus à risque du Canada soient dotés d’un système de protection automatique des trains à sécurité intégrée (appelé commande des trains améliorée, ou CTA) conformément aux objectifs de son plan stratégique intitulé Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au Canada (plan stratégique Transports 2030). En décembre 2024, TC a indiqué qu’il prévoit rédiger un projet de règlement en 2025 destiné à être publié dans la Partie I de la Gazette du Canada en 2026. Cependant, les détails concernant les corridors ferroviaires et itinéraires particuliers qui nécessiteraient un système CTA et la forme finale d’un tel système n’ont pas été encore déterminés, et la sécurité entourant la circulation ferroviaire au Canada continue de reposer sur des moyens de défense administratifs.

    En conséquence, si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, les trains ne peuvent être automatiquement arrêtés en cas de non-conformité aux indications des signaux, ce qui augmente les risques d’accident.

    Compte tenu des événements récents liés au non-respect des indications des signaux qui continuent de survenir au Canada, le BST exhorte TC à accélérer les activités menant à l’adoption de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains, notamment sur les corridors à grande vitesse et les itinéraires clés, afin de mieux protéger les passagers, les biens et l’environnement.

    Conséquemment, le BST réitère la recommandation R22‑04.

    4.2.2 Mesures provisoires supplémentaires

    À la suite de la recommandation R22-04 et des autres recommandations du BST au sujet des moyens de défense physiques à sécurité intégrée, TC a élaboré le concept de CTA et a déclaré avoir pris plusieurs mesures conjointement avec des partenaires de l’industrie pour faire progresser la mise en œuvre de la CTA. Ainsi, en février 2022, TC a publié un avis d’intention décrivant la voie à suivre pour mettre en œuvre les technologies CTA au Canada.

    En 2023, une méthodologie d’évaluation des risques visant à guider la mise en œuvre de la CTA au Canada a été élaborée et des consultations à ce sujet ont été entreprises. Cette méthodologie évalue différents facteurs, notamment le service de transport de passagers, le tonnage brut annuel et le statut des itinéraires clés. La même année, des lignes directrices pour l’interopérabilité des applications CTA ont été publiées par l’Association canadienne de normalisation (CSA).

    Selon TC, un projet de réglementation visant la mise en œuvre des technologies CTA au Canada devrait être prépublié dans la Gazette du Canada, Partie I, en 2026. TC a également déclaré que l’échéancier de mise en œuvre de la CTA dépendra de l’élaboration de la réglementation.

    Les défenses administratives actuelles reposent uniquement sur la reconnaissance et le respect des indications des signaux par les équipes de train. Cependant, de nombreuses enquêtes du BST ont identifié différentes circonstances dans lesquelles ces défenses administratives ont échoué. Comme le soulignent l’Avis de sécurité ferroviaire 01/24 et la lettre au ministre des Transports, les risques associés au non-respect des indications des signaux restent élevés et il est peu probable que le niveau de risque soit réduit de manière significative avant la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée.

    Toutefois, dans les dernières années, plusieurs compagnies de chemin de fer opérant au Canada ont, de leur propre initiative, introduit des mesures visant à compenser, en partie, l’absence d’une telle réglementation de la part de TC. Certaines compagnies ont procédé à l’ajout de moyens de défense administratifs supplémentaires alors qu’au moins une autre a eu recours à l’intégration de technologies de géolocalisation par satellite (GPS).

    Ainsi, à titre d’exemple, afin de réduire et d’éliminer les distractions lorsqu’un mouvement s’approche d’une situation critique pour la sécurité, VIA Rail Canada Inc. et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) ont chacun mis en place la zone de vigilance absolue (ZVA). Cette dernière correspond à un ensemble de procédures spéciales à appliquer lorsque la vigilance de l’équipe est de la plus haute importance. Lorsqu’une ZVA est en vigueur, les employés qui se trouvent dans la cabine d’une locomotive de commande doivent cesser toute communication ou toute autre tâche ne se rapportant pas à l’exploitation immédiate du train.

    À la suite de l’événement à l’étude, CN a étendu les conditions de ZVA pour y inclure dorénavant les situations où des trains doivent circuler à vitesse de marche à vue. Par contre, pour que la ZVA soit efficace, les membres de l’équipe doivent reconnaître les conditions qui font qu’ils s’y trouvent. La ZVA est donc soumise aux mêmes limites que les autres moyens de défense administratifs en place.

    CN a aussi introduit une nouvelle instruction spéciale en vertu de la règle 411 du REFRègle 411 : De vitesse normale à arrêt - Avancer, être prêt à s’arrêter au signal suivant.. Dorénavant, les trains de marchandises doivent réduire leur vitesse de 10 mi/h en dessous de la vitesse maximale permise à l’approche d’un signal de vitesse normale à arrêt, cette réduction commençant avant le franchissement du signal.

    Quant à lui, le Chemin de fer QNS&L a mis en place un moyen de défense combinant les aspects administratif et physique en introduisant, dès 1997, des appareils de détection de proximité (ADP). Les ADP sont munis d’un GPS qui permet de déterminer la position, la direction et la vitesse des locomotives et des véhicules d’entretien équipés de ces appareils. Ils sont configurés pour recevoir des alertes de mouvements qui s’approchent. Les conducteurs des 2 mouvements doivent confirmer sur un écran avoir pris connaissance de l’alerte et doivent communiquer entre eux par radio afin de vérifier leurs positions respectives. Un freinage de contrôle est automatiquement déclenché sur la locomotive d’un train dont l’équipe n’aurait pas confirmé la réception de l’alerte. Malgré cette technologie, un ADP n’empêchera pas une collision si l’équipe de train confirme la réception d’une alerte sans réduire la vitesse ou arrêter le mouvement à temps.

    Cet échantillon des initiatives mises en place par certaines compagnies de chemin de fer représente un pas dans la bonne direction en attendant la mise en œuvre de la CTA, que TC affirme avoir l’intention de mettre en œuvre conformément aux objectifs de son plan stratégique Transports 2030.

    En date de la publication du présent rapport, de nombreuses activités nécessaires à la mise en œuvre de la CTA au Canada, y compris l’évaluation des risques liés aux corridors, n’avaient pas encore été complétées par TC. Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de certaines de ces activités essentielles, il est peu probable qu’un tel système puisse être élaboré et mis en œuvre d’ici les prochaines années. Si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, il n’y aura pas d’intervention automatique pour arrêter les trains si les équipes de train ne suivent pas les signaux ou commettent une erreur d’interprétation, ce qui augmente les risques d’accident.

    D’ici la mise en œuvre de la CTA au Canada, aucune mesure provisoire n’est requise ou prévue par TC pour réduire les risques de collisions entre trains. Ceci signifie que, pour les années à venir, il y aura peu ou pas de moyens de défense physiques exigés par la réglementation permettant d’arrêter un train lorsqu’une équipe ne respecte pas l’indication d’un signal.

    Le Bureau recommande donc que

    le ministère des Transports mette immédiatement en place des mesures provisoires supplémentaires pour pallier les risques liés au non-respect des indications des signaux ferroviaires par les équipes de train, tels que les collisions entre trains, jusqu’à la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée adéquats et permanents.

    Recommandation R25‑01 du BST

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 4 juin 2025. Le rapport a été officiellement publié le 16 septembre 2025.

    Annexes

    Annexe A — Déroulement des événements

    Le tableau A1 présente le déroulement des événements.

    Heure*

    Événement

    16 h 36 min 24 s

    Le train CN 376 quitte la gare de Dorval en direction est. Le mécanicien de locomotive (ML) et le chef de train ont relevé l’équipe de train précédente.

    17 h 17 min

    (environ)

    Le train EXO 1212 quitte la gare de Mascouche en direction sud sur les subdivisions de Mascouche et de St-Laurent, jusqu’à la gare d’Ahuntsic.

    17 h 29 min 07 s

    Le train CN 376 arrive au triage du CN de Rivière-des-Prairies.

    18 h 04 min 24 s

    L’équipe du train CN 376 indique au contrôleur de la circulation ferroviaire qu’elle est prête à partir du triage de Rivière-des-Prairies

    18 h 13 min 30 s

    Le train EXO 1212 franchit l’emplacement contrôlé RDP Nord (Rivière-des-Prairies Nord).

    18 h 14 min

    (environ)

    Le train EXO 1211 quitte la gare d’Ahuntsic en direction nord sur les subdivisions de St-Laurent et de Mascouche, jusqu’à la gare de Mascouche.

    18 h 17 min 35 s

    Le train CN 376 franchit l’emplacement contrôlé de RDP Nord en direction sud sur la voie est avec une indication de vitesse normale à arrêt au signal 1321E.

    18 h 20 min 41 s

    L’indication d’arrêt du signal 1333E à l’emplacement contrôlé de RDP Sud (Rivière-des-Prairies Sud) change pour une indication de vitesse normale à arrêt.

    18 h 21 min 48 s

    La vitesse du train CN 376 atteint 50 mi/h aux environs du point milliaire 134,0.

    18 h 22 min 52 s

    Le train EXO 1212 se déplaçant en direction sud s’arrête au quai de la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord sur la voie est. Les freins automatiques du train sont serrés.

    18 h 23 min 55 s

    La vitesse du train CN 376 est réduite jusqu’à 4,5 mi/h environ 100 pieds avant le signal intermédiaire 1349E affichant une indication de marche à vue.

    18 h 25 min 08 s

    Le signal 1363E à l’emplacement contrôlé Montréal-Nord est visible au loin par l’équipe du train CN 376. Il présente une indication d’arrêt absolu.

    18 h 26 min 21 s

    Le train EXO 1211 se déplaçant en direction nord s’arrête au quai de la gare de Saint-Léonard–Montréal-Nord sur la voie ouest. L’intensité du phare avant de la locomotive menante avait été réduite plus tôt avant d’arriver à la hauteur de la locomotive du train EXO 1212.

    18 h 26 min 25 s

    Le manipulateur de traction de la locomotive menante du train CN 376 est placé au cran 8.

    18 h 26 min 27 s

    L’intensité du phare avant de la locomotive menante du train CN 376 est réduite.

    18 h 26 min 38 s

    Le phare avant de la locomotive menante du train EXO 1211 est éteint.

    18 h 26 min 56 s

    Le signal 1363E à l’emplacement contrôlé Montréal-Nord change pour une indication de vitesse normale.

    18 h 26 min 57 s

    La locomotive menante du train CN 376 arrive à la hauteur de la locomotive du train EXO 1211.

    18 h 26 min 58 s

    Le phare avant de la locomotive menante du train CN 376 est remis à pleine intensité.

    18 h 27 min 01 s

    Le freinage d’urgence du train CN 376 est actionné. Le train roule à 41 mi/h.

    18 h 27 min 09 s

    Le ML du train CN 376 active le sifflet de la locomotive au moment de la collision avec la queue du train EXO 1212. Le train CN 376 roule à 32 mi/h.

    18 h 27 min 10 s

    Le freinage d’urgence provenant de la conduite générale du train EXO 1212 est déclenché.

    18 h 27 min 18 s

    Les 2 trains s’immobilisent à environ 150 pieds au sud du point d’impact.

    18 h 28 min

    (environ)

    Le ML du train EXO 1211 effectue un appel d’urgence.

    18 h 34 min 37 s

    Les premiers intervenants arrivent sur les lieux.

    * Les événements pour lesquels il a été impossible de vérifier l’heure ou les circonstances exactes sont indiqués par la mention « environ ».